FREDDE ROTBART

DU JEUNE AVEC DES VIEUX

Jean-Fabien
SHOOTANDTALK

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Lorsque je suis venu rendre visite au plasticien Fredde Rotbart dans l’optique de réaliser un portrait de lui, je suis resté un temps exceptionnellement long par rapport à mes habitudes de pratiques photographiques où, généralement, je ne fais que 3 ou 4 clichés de mon sujet avant de tourner les talons.
J’aime ce risque : celui de ne pas avoir la photo, de ne pas avoir su trouver la bonne distance par rapport à celui ou celle que je photographie. Car, je le ressens de plus en plus, en matière de portraits tout est question de distance. C’est vrai pour mes portraits pris sur le vif, pour les Portraits Chinois réalisés à l’arrache, dans le fumoir de la salle de concert montreuilloise de la croix de chavaux. Quand je photographie un inconnu repéré parmi les fumeurs, les fêtards, les buveurs de bières, les piliers de concerts.
Dans le cas de Fredde Rotbart, il s’est plus agit de conversation que de photographie. Lui et moi ne nous connaissons pas si bien. Se croiser dans un vernissage, à Paris ou à Romainville, liker un post Facebook ne suffit pas. Il faut parler, écouter, trouver un instant propice, donner du temps : comprendre l’autre. Ce fut le cas ce matin là du côté de la Porte des Lilas. Je déclenchais autant que j’écoutais, que je racontais. Je regardais Fredde sans insistance, je le photographiais sans urgence.
Au final je suis reparti en connaissant mieux ce garçon et surtout son art, sa tendresse, son visage tranquille.
Je ne peux finalement pas choisir un seul portrait, j’en ai trop et cela me dérange.
Alors je vous présente ce visage. Ce n’est pas celui de quelqu’un qui pose car il fait plutôt écho à un moment de notre conversation. Son front se plisse. Je m’approche et, au final, c’est lui qui me dévisage.

Je dois mon premier “choc” émotionnel concernant Fredde à la plasticienne Isabelle Cochereau qui l’a sublimé dans son art et a renforcé mon envie de le photographier… Notamment le regard baissé.
Il se dégage une gravité et une profondeur dans l’expression de son visage lorsque ses yeux échappent à l’horizon pour venir s’éteindre sous le rideau des paupières.

Et puis il y a ces portraits un peu étranges. Ceux qui “décadrent” légèrement la personne. On l’identifie sans toutefois la reconnaître totalement. L’angle, la lumière, l’expression, le moment.
Lorsque que je regarde cette photo de Fredde j’ai ce sentiment particulier d’avoir capté “un autre lui”, plus grave et introverti. Son regard s’est durcit, il heurte la lumière. Le sourire s’est éteint.

Alors que nous discutons du fond des choses, je remarque que Fredde se met à jouer nerveusement avec ses mains. Il tient un petit élastique qui finit par s’ancrer sur la bague de son annulaire droit. Tout en parlant, je l’observe d’un œil étonné dans cet exercice discret de physique appliquée : la main gauche tend l’élastique, le déforme mécaniquement jusqu’à son point de rupture, puis le raccompagne afin qu’il reprenne sa forme et son diamètre originels.

À un moment je lui demande pourquoi autant de “fantômes” d’un autre siècle apparaissent dans ses œuvres. Beaucoup de poilus, des casques à pointes, des ancêtres à larges moustaches, des personnages au rendu sépia… Il me dit “j’aime les vieux, les anciens. Je suis fasciné par la première guerre mondiale parce que mes arrières grands pères l’ont faites. Deux y sont morts, les deux autres en sont revenus vivants.” Il me raconte la maison de retraite où, plus jeune, il passait du temps avec ces vieux que les familles plaçaient comme on se débarrasse d’un encombrant. Lui écoutait leurs histoires, les aventures de souvenirs chauves. Il fumait des clopes en leur compagnie. Lorsqu’aujourd’hui, au hasard d’une brocante, dans la rue, dans une poubelle, il tombe sur des photos d’un passé ignoré de tous, il récupère ces destins de cartes postales jaune sale. Lui croit aux forces de l’esprit, à la douceur de ces sourires de trentenaires morts à 85 ans, à la vérité de ces destins d’hommes simples. Il convie avec beaucoup d’amour ces gens de peu, ces héros oubliés et leur propose de rejoindre un récit qui sera aimé des publics d’aujourd’hui.

Matériels utilisés

Fujifilm XT10
Fujinon FX35 F1.4
Fujinon FX56 F1.2

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Jean-Fabien
SHOOTANDTALK

Photographe • Auteur • Journaliste • Enseignant