Rencontre avec Marie-Claire Moraldo, fondatrice des Orchidées Rouges

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8 min readNov 25, 2022

Marie-Claire Moraldo est une militante de la lutte contre les violences faites aux femmes, notamment sur le thème des mutilations génitales et des mariages forcés. Elle-même victime de ce fléau, elle a ouvert à Bordeaux un centre, les Orchidées Rouges, pour accueillir et accompagner les femmes dans leur reconstruction…

D’où vous vient l’idée de votre projet, les Orchidées Rouges ?

Les orchidées rouges sont nées de ma propre histoire. J’ai été victime de mutilations sexuelles à l’âge de 9 ans et par la suite j’ai décidé de me reconstruire. Pendant mon processus de reconstruction je me suis aperçue qu’il n’y avait aucune structure d’accompagnement des victimes de ces violences à Bordeaux et sa région et il n’y avait pas non plus de structure qui militait pour l’éradication de ces pratiques. Ma reconstruction m’a apporté un tel bien être, que je me suis dit “je ne peux pas rester sans rien faire. Il faut que je crée une structure qui non seulement milite pour que cela n’arrive plus aux petites filles mais aussi pour dire aux survivantes qu’il n’y a pas de fatalité, elles peuvent s’en sortir”. C’est comme ça que les Orchidées Rouge ont vu le jour.

Notre objectif, la finalité, c’est la libération des femmes, clairement. On a différentes missions bien sûr. Nos missions s’articulent autour de 3 grands axes. Nous militons pour l’éradication des mutilations sexuelles, des mariages forcés, de toutes les violences sexistes et sexuelles. Nous sommes basés en France mais aussi en Côte d’ivoire, d’où je suis originaire. On articule nos actions autour de 3 grands axes. Il y a l’information et la sensibilisation qui vont passer par des conférences, des séminaires, des ateliers artistiques, des interventions en milieu scolaire, auprès des communautés aussi. Et il y a aussi la prévention qui passe par la formation des professionnels de santé, de l’éducation nationale, des travailleurs sociaux, et toute la société civile.

Et le 3ème axe, c’est l’accompagnement global des femmes et des filles qui ont subi les mutilations, les mariages forcés, et les violences qui en découlent. Notre but, c’est de les accompagner à se reconstruire psychologiquement, se réapproprier leur corps et leur sexualité et développer leur pouvoir d’agir. Ce développement de leur pouvoir d’agir va passer par le renforcement de l’estime de soi et l’insertion sociale et professionnelle.

Est-ce que vous savez combien de femmes en France et dans la région de Bordeaux sont concernées ?

En France, il y a plus de 125 000 femmes qui ont subi des mutilations sexuelles féminines selon le bulletin épidémiologique hebdomadaire. A Bordeaux, on n’a pas de chiffres arrêtés, mais la région Nouvelle Aquitaine est la 3ème région de France la plus concernée par les mutilations sexuelles féminines après l’ile de france et la région auvergne rhône alpes. En ce qui concerne les chiffres il faut savoir aussi que parmi les filles des 125 000 femmes qui sont sur le territoire français, sur 10 qui vont partir en vacances dans le pays d’origine de leurs parents, 3 risquent de revenir excisées.

Est ce que vous avez été critiquée pour l’action que vous menez ?

Oui ! Vous devez vous en douter. Je m’attaque à quelque chose de millénaire, son historique en tout cas à ce jour, les découvertes qui ont été faites datent quand même de l’égypte ancien. Certains se sentent agressés par des personnes comme moi qui dénoncent. Et c’est déjà arrivé qu’on me demande si je me prends pour une blanche parce qu’on estime qu’à partir du moment où je suis d’origine africaine et que je m’attaque à ça, c’est que quelque part je suis une aliénée.

J’ai reçu aussi des commentaires pas sympas suite à des publications de femmes qui estiment que j’aime le sexe, et que c’est pour cela que je me suis faite réparée. Des choses comme ça. Moi je ne me laisse pas décourager par cela ni par les menaces d’ailleurs. C’est déjà arrivé que je me fasse prendre à partie après des interventions télé en côte d’ivoire ou même après des conférences en France. Mais je ne me laisse pas impressionner, on ne fait rien dans la peur.

Vous avez créé “happy business woman”. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que vous faites ?

Happy business woman c’est un réseau de femmes entrepreneuses ou en tout cas qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat ou des femmes qui ne sont pas satisfaites de leur vie professionnelle et qui souhaitent se reconvertir. C’est vraiment un réseau qui a pour but de fédérer les forces des femmes, créer une véritable sororité entre les femmes pour pouvoir mieux vivre leur vie en tant qu’entrepreneuse.

J’ai eu l’idée de ce projet parce qu’avant même les Orchidées rouge, j’avais créé une entreprise qui existe encore mais dont je m’occupe beaucoup moins parce que l’associatif a pris la place mais je me suis aperçue que tous les réseaux ou j’allais, je n’y trouvais pas forcément ma place. On échangeait des cartes de visite mais il ne se passait rien derrière. Donc j’ai pensé happy business woman comme un réseau ou on va venir non seulement échanger des compétences, se soutenir moralement -parce qu’il y a des moments de découragement — sortir les entrepreneuses de l’isolement et faire du business. Donc je m’explique. C’est un réseau ou une comptable et quelqu’un qui est spécialiste de la communication peuvent échanger des compétences. C’est-à-dire que la spécialiste de la communication si elle a besoin d’informations sur la comptabilité ou une information générale, la comptable pourra lui donner un coup de main et elle à son tour pourra lui donner des conseils. C’est un troc de compétences en fait.

Ensuite il y a des femmes dans le groupe qui souhaitent trouver des partenaires. Dernièrement c’est une femme qui voulait créer une entreprise d’aide à la personne, une autre qui voulait créer une entreprise, qui n’avait pas trop d’idée, et ca lui a plu. Elles se sont associées pour monter l’entreprise ensemble. Il y a aussi comme je vous l’ai dit l’aspect soutien psychologique. C’est des groupes de parole entre entrepreneuses pour parler des problématiques que chacune rencontre. Il arrive que parfois il y ait des découragement et le but du groupe c’est de dire “tu peux, vas y, ne lâche pas”. La spécificité de ce réseau, c’est l’humain avant tout. C’est à dire qu’une femme qui entreprend, qui est seule avec ses gosses c’est pas toujours évident. Et pour avoir des réunions, elle n’a pas toujours de solutions de garde. Dans le même groupe, si une personne peut la dépanner, elle va la dépanner et un jour c’est l’autre personne qui aura besoin d’aide sur autre chose ou sur la garde d’enfants, une autre personne pourra aider.

Et dans son évolution, je me suis aperçue que parmi les femmes qu’on accompagne ici, il y a beaucoup de femmes dites migrantes, qui essayent de s’intégrer dans la société française et en échangeant avec les femmes je me suis rendue compte que certaines ont envie d’entreprendre. Et ces femmes là, malheureusement vous devez le savoir, dans un groupe classique, leur intégration ne va pas être simple. Soit elles ne vont pas trouver leur place, soit on ne leur fera pas la place. Donc dans le groupe celles qui sont intéressées, les intégrer et puis certes elles vont participer aux travaux de l’ensemble du groupe mais c’est proposer aussi des moments spécifiques sur des thématiques qu’elles peuvent rencontrer parce qu’elles ont forcément des thématiques qui leur sont spécifiques.

Vous venez d’en parler par rapport à votre parcours, que ca soit associatif, que ca soit de femmes d’affaires, est-ce qu’en France, vous trouvez que l’environnement est compliqué quand on a envie de faire des choses comme vous ? Est ce qu’il a fallu casser des barrières ou forcer des portes ?

Moi j’ai été confrontée à plusieurs problématiques en tant que femme d’affaires ou en tant qu’entrepreneuse sociale dans l’associatif. Certains vont prendre ça comme des inconvénients, pour moi ça ne l’est pas.

Et en même temps, j’étais armée au départ. Je savais qu’en tant que femme et noire, j’allais etre face à des challenges que d’autres personnes n’auraient pas, clairement. Donc la difficulté a été d’avoir de la crédibilité. Et heureusement pour moi, je me suis dit dès le départ : “je n’ai pas besoin de l’aval des autres pour me sentir crédible ou légitime de faire telle ou telle chose”. Le plus difficile, ça a été au niveau de l’associatif. C’est à dire qu’on a eu souvent l’habitude en france et en europe, parce que je travaille aussi avec des réseaux au niveau européen et les activistes sont face à des problématiques, c’est qu’on a eu l’habitude d’utiliser les vicitimes de l’excision en témoin de l’excision et non comme actrices qui apportent le changement.

Et donc moi je suis arrivée dans ce milieu avec une structure que moi même j’ai créee en tant que survivante des mutilations sexuelles et je leur dit je suis actrice du changement, pas en verbalisant ca mais en leur proposant des solutions. Donc ca a été difficile d’accepter ca pour beaucoup d’organisations, meme de grandes organisations féministes qui militent contre l’excision. C’est dire, quel est le regard qu’on pose sur cette personne qui arrive, elle nous regarde dans les yeux et nous dit “j’ai des solutions à proposer” et elle dit pas “oh sauvez moi s’il vous plait je suis misérable”. Je n’étais pas dans cette démarche, je ne l’ai jamais été. Donc ça c’était quelque chose de difficile qui m’a valu des coups mais qui m’a engaillardi. La première chose c’est le regard qu’on pose sur les victimes donc en tant que victime, comment on arrive à s’imposer et dire “je suis une actrice du changement”.

La deuxième chose, et ca a été d’ailleurs le plus difficile, c’est que je ne m’arrête pas là et je leur dit “je m’aperçois que sur le territoire français et notamment en région nouvelle aquitaine il n’y a pas de structure qui propose un accompagnement spécifique sur les mutilations sexuelles et le mariage forcé, je vais proposer une structure médico psycho sociale. Les gens m’ont regardée en me disant “non mais elle a craqué en fait”. Donc j’arrivais avec beaucoup de “handicaps”. J’arrivais en n’ayant pas coché beaucoup de cases. Il y a une médecin généraliste qui m’a reçue à Bordeaux, quand je lui ai présenté mon projet à la fin elle m’a dit “wow il est super ce projet, mais ne le prenez pas mal mais ce type de projets ce sont des médecins qui les montent et il faut des millions d’euros donc laissez tomber”. Je suis sortie de la en me disant “c’est parce que je ne suis pas médecin, c’est parce que je ne suis pas millionnaire que je vais créer cette structure”. Donc c’était une volonté de dire à toutes ces filles qui doutent d’elles parce qu’elles pensent qu’elles ne rentrent pas dans le moule, “vous n’avez pas besoin de la légitimité des autres pour vous sentir capable de faire telle ou telle chose” mais c’était surtout de leur dire “vous n’avez pas besoin de venir d’une famille célèbre ou riche pour réaliser des choses qui vous tiennent à coeur et rien n’est plus grand que la force ou la volonté que vous pouvez mettre dans ce que vous avez envie de réaliser dans ce monde.

Votre place dans ce monde, personne ne va vous la créer, c’est à vous de la prendre. Et ça s’impose d’une manière ou d’une autre.” Pas en se bagarrant contre les gens, mais c’est être confiante dans vos capacités, croire en ce que vous avez envie d’apporter à ce monde et à partir de ce moment la, tous les obstacles qui se présentent ce ne sont que des marches à gravir pour arriver là où on veut. Donc oui, ça n’a pas été simple mais j’ai envie de dire ça en a rajouté à la saveur de mes réussites tout simplement !

Article retranscrit à partir de l’interview de Joachim Barbier réalisée dans le cadre du podcast Migra-sons le 31 janvier 2022. Un podcast imaginé par So good Radio et accompagné par SINGA. A redécouvrir dans leur intégralité ici.

Pour en savoir plus sur SINGA et nous soutenir > https://www.helloasso.com/associations/singa-global

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