Rencontre avec Rima Hassan, fondatrice de l’Observatoire des Camps de Réfugiés

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12 min readNov 25, 2022

Elle a grandi dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, avant de rejoindre la France. Il y a 3 ans, elle lançait seule l’Observatoire des Camps de Réfugiés (OCR), une ONG créée pour informer, enquêter et sensibiliser sur le sort des migrants dans le monde.

Peux-tu nous présenter ton projet ?

L’Observatoire des Camps de Réfugiés, c’est une ONG qui a vu le jour il y a maintenant deux ans. On a 3 missions principales au sein de cet observatoire qui répondent chacune à un constat bien particulier. On a une première équipe qui est mobilisée sur le travail de recensement et d’étude des camps. Chaque camp est étudié individuellement car on se rend compte que chaque camp peut avoir des spécificités, parfois au sein du même pays avec en principe les mêmes règles qui peuvent être applicables. On a vraiment un intérêt à les étudier individuellement. Donc sur le site on retrouve une étude par camp. La deuxième mission de l’OCR, c’est celle des consultations et des études de terrain. Donc là l’idée ce n’est pas de se reposer uniquement sur de la documentation publique existante sur les camps, ce qu’on fait avec le volet études des camps puisque c’est un travail essentiellement de recherche, de documentation et de synthèse de toutes les informations qu’on va trouver. L’idée est de pouvoir s’inscrire comme un acteur qui, lui-même, peut créer de la donnée et des analyses qui lui sont propres sur la gestion et l’administration des camps. Il s’agit de faire un lien direct avec ce qu’il peut se passer sur le terrain. Et la troisième et dernière mission, c’est une mission centrale : c’est celle du plaidoyer et de la mobilisation. Donc essayer de porter à la connaissance de toutes et tous ce qu’il peut se passer dans les camps en matière de violations des droits humains des personnes qui y résident, sensibiliser aussi sur les statuts. On se rend compte que l’OCR s’inscrit dans une dynamique aussi de combler une sorte d’ignorance collective sur la question des camps. Parce qu’aujourd’hui, on a le sentiment que tout le monde est plus ou moins sensibilisé aux questions de migration, notamment depuis la crise d’accueil qu’on a connu en Europe. Mais on n’a pas intégré dans nos analyses, dans nos réflexions sur ces questions là, ou même dans nos discussions avec nos proches, notre entourage, tout le pourcentage de gens qui sont dans des camps et qui vivent dans une situation de migration et qui représentent beaucoup de personnes. On a un réfugié sur trois qui vit dans un camp aujourd’hui, et un déplacé interne sur deux.

Pourquoi cette cause ?

Pour plusieurs raisons. Je pense qu’il y a un aspect personnel dont j’ai déjà un peu pu parler mais que j’ai très souvent mis de côté parce que j’en avais un peu honte. J’ai toujours perçu l’idée de naître dans un camp comme étant un processus de naissance hors lieu, puisque j’avais l’impression d’être née nulle part. Ça ne parlait à personne quand je disais que j’étais née dans un camp. En tout cas, quand j’en ai pris conscience. Donc dans mon adolescence je l’ai souvent mis de côté. Je me rattachais à mon pays de naissance qui était la Syrie et des fois je me cachais derrière le fait que j’étais née en Syrie et basta quoi, il ne fallait pas approfondir. Il y avait aussi le fait que moi même je n’étais pas assez informée sur ce qu’était mon statut. J’ai mis du temps quand même à comprendre ce qu’était le statut des réfugiés palestiniens, l’histoire… Et puis en plus c’est un conflit très complexe. Aujourd’hui à bientôt 30 ans j’ai l’impression de ne pas avoir compris toutes les subtilités. Je me laisse encore convaincre par certains de mes proches sur les arguments des uns et des autres donc j’ai mis du temps déjà à comprendre ce qu’était mon statut. Et je n’étais pas prête à affronter les questions, qui sont très nombreuses en plus dans l’adolescence, on est très curieux des uns et des autres.

Vous ne vouliez pas être différente ?

J’avais accepté que j’étais différente. Déjà quand on arrive dans un pays a une dizaine d’années et qu’on ne maîtrise pas la langue, c’est très brutal. On est tout de suite confronté au fait qu’on soit différent. C’est le regard qu’on pose sur nous d’une certaine façon. Alors ce n’est pas toujours malveillant, mais parfois ça l’est. Et puis moi je suis arrivée dans une petite ville donc on était pas encore outillés. Aujourd’hui j’ai l’impression que dans les établissements scolaires, dans les accompagnements, on a intégré quand même ces facteurs d’intégration et c’est vrai que quand je suis arrivée avec mes frères, on était vraiment… On a été tout de suite confrontés à ces réalités. Donc non, j’avais très vite intégré que j’étais différente, mais je n’étais pas prête et outillée encore pour répondre aux questions qui pouvaient m’être posées.

Quand on parle de camps de réfugiés, il y a des images qui nous viennent à l’esprit. On imagine des tentes, de la distribution alimentaire… Est-ce qu’en fait ça recouvre plein de situations différentes ?

J’ai appris à tout voir à travers ces camps-là. Moi je ne les vois absolument pas comme des zones humanitaires où on assiste les populations. Même si effectivement, la raison d’être de ces structures d’accueil ou d’enfermement selon le pays dans lequel on est, c’est plus ou moins ça. Mais en réalité, plus on creuse la question, plus on se rend compte que le camp est une anomalie juridique parce qu’il n’y a aucun texte qui prévoit le processus d’encampement des personnes en situation d’exil, et surtout la pérennisation de ces camps. Si aujourd’hui la question se pose justement, de réfléchir sur ces processus d’accueil, c’est précisément que les camps s’enlisent. La durée de vie moyenne d’un camp est de 11.7 ans. Et paradoxalement, tous les textes qui ont été préparés sur la question des camps précisent que ces camps sont des structures temporaires, justement destinées à répondre à une urgence humanitaire. Et donc pour maintenir d’une certaine façon les populations en vie, en sécurité, le temps de prévoir des solutions qui sont alternatives et qui sont elles prévues par des textes internationaux comme la Convention de Genève de 1951 qui traite du statut de réfugié et qui liste les solutions possibles en matière de prise en charge et de traitement des réfugiés. Mais j’ai toujours vu les camps et je les vois encore comme des zones hors lieux. C’est aussi des lieux, comme Michel Agier l’a documenté, de gestion des indésirables. On se rend compte que les camps sont financés par des Etats qui n’ont aucun intérêt à vouloir voir ces gens arriver sur leur territoire et on a un certain nombre de pays occidentaux qui financent des camps qui sont du coup dans des pays voisins des pays d’origine de ces personnes exilées. Parce que c’est une certaine façon de se protéger. La perception que j’ai des camps aujourd’hui globalement, c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles on a fondé cet observatoire. C’est que je les vois véritablement comme des lieux de gestion des flux migratoires en réalité, plus que comme des lieux d’accueil, de protection. C’est des lieux qui peuvent être des lieux d’enfermement, puisqu’il y a des règles applicables en fonction du pays où on se trouve puisque l’État a une marge de manœuvre très importante. Et ce sont des lieux d’opacité. Qui saurait vous dire ce qu’il se passe véritablement dans ces camps ? Quelles sont les revendications des personnes qui y vivent ? Quels sont les canaux que vous avez vous, en tant que citoyen, pour avoir accès à ces informations là et avoir véritablement un lien avec les personnes qui y vivent ? Plus encore, vous n’avez aucune information aujourd’hui, mais tout comme moi, sur le nombre de camps qui sont installés à travers le monde. Alors même que, comme je vous le disais ça concerne près de 30% des populations réfugiées et 50% des personnes qui sont déplacées internes.

Est-ce qu’il vous semble qu’il y a des pays qui font les choses un peu mieux que d’autres ? Est-ce qu’il y a peut-être au moins un exemple à donner d’un pays qui assume ses responsabilités et qui traite ça de façon humaine ? On a l’impression que les pays européens et les pays riches en général sont quand meme plutot sur une tentation égoïste, on l’a vu avec ce qu’il se passe à la frontière entre le Bélarusse et la Pologne, de tout mélanger, de prendre les réfugiés, les migrants et d’en faire une menace des deux côtés. Est-ce qu’il y a quand même des motifs d’espoir ? Des gens qui sont un peu droits dans leurs bottes et leur cœur ?

Nous ce qu’on observe c’est qu’il y a deux phénomènes d’encampement. Le premier c’est celui qui émerge des crises de migrations. Donc là véritablement vous avez des camps qui vont être créées avec des dizaines de milliers de personnes voire des centaines de milliers de personnes parce que de fait, le pays qui reçoit ces populations en migration est dans l’incapacité, (parce que lui même génère des personnes en situation de migration) d’absorber toutes ces populations là sur son territoire, de les accueillir et de financer tous les programmes. Ensuite vous avez un deuxième phénomène d’encampement qui lui, émerge pour moi des crises d’accueil. Donc là ce sont les camps des pays du nord, même si je n’aime pas trop cette séparation. Mais c’est assez représentatif des réalités d’encampement et même des types de camps qu’on retrouve. Donc par exemple dans les pays occidentaux, on va surtout retrouver des camps de demandeurs d’asile. Ce sont des gens dont on est très méfiants, les demandeurs d’asile. Il ne faut surtout pas les laisser en libre circulation et on veut absolument s’assurer que ce sont des personnes qui ont véritablement des craintes avant de pouvoir les libérer dans la nature. C’est un peu ça. Ce à quoi il faut ajouter le fait que selon les engagements des Etats sur un certain nombre de dispositions internationales, vous avez des Etats qui sont plus outillés que d’autres. Qui ont une agence étatique qui va être spécialisée par exemple ou mobilisée uniquement sur la question de la gestion des flux migratoires ou de la question des réfugiés sur le territoire. Et puis vous avez des Etats qui n’ont pas ratifié par exemple la Convention de Genève, qui n’ont pas outillé leur administration pour traiter les demandes d’asile, pour octroyer des statuts des personnes qui peuvent être en demande d’asile sur leur territoire et qui vont déléguer ces tâches à des organisations comme le Haut commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies. Du coup, pour répondre à la question, moi je ne le prendrais pas dans ce sens là. Dans le sens où les Etats ne sont pas les seuls décisionnaires sur la gestion des camps. C’est l’un des acteurs les plus importants parce que c’est lui qui va donner le ton, dire où le camp va être installé parce qu’il est souverain sur son territoire national. Et c’est souvent un acteur qui cherche un peu à se cacher justement, et qui va plutôt donner des consignes mais qui va après déléguer la gestion et l’administration de ces camps, bien souvent à des organisations comme le HCR pour les camps de réfugiés. On retrouve l’OIM (Organisation Internationale pour les Migrations) sur les camps de déplacés internes, on a encore une autre agence onusienne spécialisée sur les camps palestiniens qui est l’UNRWA.

Nous, au sein de l’observatoire, on a vocation à faire un travail de recensement des bonnes pratiques mais qui ne relèvent pas d’une décision purement étatique. C’est bien souvent une combinaison de concertations avec les acteurs qui sont sur place, de négociations qui se font pour que des bonnes pratiques soient mises en place. Et moi j’ai souvent cité pour finir, le Tchad, qui est un pays déjà en difficultés qui accueille des pays centrafricains. On a travaillé sur des premières études sur les camps centrafricains au Tchad, sur le camp d’Amboko par exemple. Le Tchad de fait ne peut pas absorber tous les réfugiés sur son territoire, leur trouver une citoyenneté ou les accueillir dans des logements etc… Donc il y a un projet pilote qui avait été financé, c’est un projet de villagisation du camp. L’idée c’est d’atténuer les conséquences de l’encampement et de l’enfermement et d’ouvrir le camp aux villages qui sont aux alentours. Donc par exemple de connecter les services de l’éducation des villages alentours avec les services de l’éducation du camp, de créer des coopérations avec la population… Et cette connexion qui est faite entre les personnes en situation d’exile et la société hôte, c’est l’un des facteurs d’intégration. Donc ça c’est l’une des bonnes pratiques qu’on peut valoriser, recommander et mettre en lumière. Mais c’est vraiment au cas par cas.

À quelle porte êtes-vous allée frapper ? Qui est-ce qui vous a aidée ? Qui est-ce qui vous accompagne ? Et dans l’absolu, est-ce que c’est facile comme projet à mener ?

Non, mais ce n’est jamais facile, je dirais surtout dans la phase de lancement ou personne n’y croit, pas même vos amis ! C’est un peu désespérant. On a le sentiment d’être un peu seul. Et c’était très dur mais à partir du moment où on se lance, je pense qu’il ne faut pas se poser trop de questions. J’ai commencé par Linkedin. Je tapais des mots clés, (d’ailleurs je le recommande), je tapais des mots clés comme “migrations” ou “réfugiés” et je tombais sur des profils. Du coup je démarchais les gens comme ça, pour avoir des conseils. J’avais un budget café au mois ! C’est-à-dire que je prenais des cafés avec des gens le matin, le soir avant d’aller au boulot, après mes journées de boulot, ou sur ma pause déjeuner. Et forcément je les invitais parce qu’il y avait ce truc de se dire : “je vous prend de votre temps”. Et j’avais vraiment un budget café. Soit pour des consultations sur la faisabilité du projet, donc ça pouvait être des directeurs d’instituts de recherche, des universitaires, des personnes qui travaillent dans l’humanitaire etc. Soit des personnes qui pouvaient être membres de l’association. Et donc on a commencé comme ça. J’ai déposé les statuts en mai 2019 et on a commencé l’été. On était que 8 personnes à la première réunion et on finit la réunion en se disant : “mais c’est pas possible, on ne va rien faire à 8 personnes”. La première assemblée générale était en septembre et je m’étais vraiment posée comme challenge l’été de recruter une cinquantaine de personnes. Et là, c’était double budget café. C’était le budget café, budget, déjeuner, verre… Donc j’ai rencontré beaucoup de monde et on a commencé avec une communauté de contributeurs et contributrices. Parce qu’il fallait couvrir toutes les zones. Je ne voulais pas faire de choix entre : “est-ce qu’on commence par la zone europe ou la zone afrique”. Il y a tellement d’enjeux et tellement de réalités d’encampement différents qu’on avait vraiment besoin d’avoir des personnes qui travaillent sur toutes les zones géographiques. Même si on ne faisait que 10 camps par an en Afrique c’est pas grave en termes d’études. Mais au moins qu’on ait ce recul de se dire qu’on a quand même commencé à comprendre comment ça fonctionne sur toutes les zones et qu’on ne sera pertinents que si on a toutes ces analyses globales. Donc voilà comment ça a commencé. Je ne suis pas sûre aujourd’hui d’avoir l’énergie de refaire quelque chose comme ça. Parce que des fois, j’y repense et je me dis : “mais c’était fou”. On est 150 aujourd’hui donc ce n’est pas rien.

On a une question qui est un peu rituelle dans cette interview, on va finir avec ça : qu’est ce que vous aimez en France et qu’est ce qui vous énerve ou vous fait rire ?

Ce qui m’énerve : les clichés et les récupérations, le reste disons de haine de l’autre, de rejet de l’autre, que ça soit sur les migrants, les réfugiés, les personnes en exil mais aussi les étrangers. Et moi je m’inscris dans les deux. C’est double peine. Je viens à la fois des HLM, je suis à la fois la basanée de service, et la personne qui est en migration, donc des fois c’est dur d’être pédagogue sur ces questions et se dire : “bon ce sont des personnes qui sont mal informées”. Mais est-ce que c’est notre rôle à nous d’éduquer ? On a une responsabilité mais en même temps, ça nous coûte. Quelqu’un qui souffre déjà d’un rejet, il n’a pas les ressorts, il n’a pas les outils, il n’a peut être même pas la patience pour faire ce travail. Donc je pense qu’il y a vraiment un enjeu des pouvoir public sur ces questions.

Ce que j’aime en France, c’est que je sois toujours surprise par les personnes, la richesse de pays avec lesquels on est un peu en conflit quand on est en migration, surtout quand on a connu le rejet. On transpose parfois. Moi je l’ai fait pendant longtemps, sur les français ce que la France peut incarner pour nous parfois comme violence institutionnelle, comme mémoire ou histoire. Je viens aussi d’une région où la France a joué un rôle donc forcément, c’est dans nos récits familiaux… Ce qui m’a sauvé honnêtement c’est l’individualité des engagements, des personnes, réapprendre à aimer la France à travers les francais et de démystifier l’image qu’on a de ce pays dans sa grandeur. Se dire qu’il ne faut pas avoir plus d’attente des français que d’autres sous prétexte que c’est un pays des droits de l’homme et du coup, aller piocher dans les individualités. Quand on est en migration de toute façon peu importe où on est, on est en quête de refuge. Tobie Nathan qui disait que la migration était un traumatisme et que la seule chose qui pouvait atténuer le traumatisme, c’était le fait d’être accueilli.

Article retranscrit à partir de l’interview de Joachim Barbier réalisée dans le cadre du podcast Migra-sons le 17 janvier 2022. Un podcast imaginé par So good Radio et accompagné par SINGA. A redécouvrir dans leur intégralité ici.

Pour en savoir plus sur SINGA et nous soutenir > https://www.helloasso.com/associations/singa-global

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Une société se renforce quand elle s’ouvre à la migration.