La Chronique FinTech #1 — Julien Creuzé, BlackFin VC

Dans le cadre du lancement de notre chronique FinTech mensuelle, nous avons interviewé Julien Creuzé le fondateur du VC BlackFin Capital Partners. Julien a notamment investi dans des sociétés comme Epsor, Pretto, Descartes Underwriting et Agicap. Ici, il revient sur son parcours, son métier de VC et sa vision de l’industrie FinTech à court et moyen terme.

Léonie Mironesco
Sipios
8 min readSep 18, 2019

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Léonie Mironesco : Peux-tu te présenter ?

Julien Creuzé : Je suis ingénieur de formation. Je suis sorti d’école en 2009 et je suis tout de suite allé au contact de start-ups. J’ai commencé dans l’incubateur Agoranov où j’ai rencontré deux chercheurs de l’INRIA avec qui nous avons lancé une start-up. Assez vite, j’ai décidé de partir en capital risque chez Aster Capital où j’ai fait 3 ans à Paris et 2 ans à San Francisco. Aux Etats-Unis, j’ai découvert la FinTech. C’était un peu la première vague avec l’IPO de LendingClub. De retour en France, j’ai décidé de rejoindre BlackFin, un fonds de private equity monté par 4 entrepreneurs de la FinTech qui avaient créé Fortuneo. Je les ai donc rejoint en 2016 pour lancer le fonds de capital risque BlackFin Tech. En juillet 2018, nous avons annoncé le closing final à 180 millions d’euros et avons depuis investi dans 7 startups. D’ailleurs nous avons annoncé le 7e aujourd’hui : c’est Agicap à Lyon, un seed de 2,4 millions d’euros !

Quelle est la taille moyenne de vos investissements chez BlackFin ?

Nous préférons investir en Series A, des investissements entre 3 et 8 millions d’euros. Nous faisons aussi quelques investissements pré-Series A, des tickets de 1 à 2 millions pour BlackFin. Et quelques investissements plus late stage, Series B, Series C et dans ce cas là on peut monter jusqu’à 15 millions d’euros.

Qui sont vos concurrents ?

Nous avons trois types de concurrents. Il y a les investisseurs spécialisés dans la FinTech comme nous : Anthemis à Londres, Finch aux Pays Bas ou encore New Alpha en France ou Ribbit aux Etats Unis. Après il y a les fonds de Corporate Venture des banques et compagnies d’assurances qu’on ne voit pas tellement face à nous sur des dossiers. Et enfin, les plus gros concurrents sont les fonds généralistes : Index, Accel, Balderton, Partech, Alven, Idinvest et les VC américains que l’on voit beaucoup sur les deals sur lesquels nous travaillons.

Quels sont les avantages d’être spécialisés en FinTech ?

Le fait d’être spécialisés dans les services financiers nous donne une bonne expertise de la réglementation. Nous accompagnons des sociétés régulées dans à peu près tous les pays européens. Ensuite, nous pouvons aider les sociétés dans leur développement commercial en particulier sociétés qui font du B2B. Parmi les investisseurs du fonds, nous avons de nombreuses banques et compagnies d’assurance françaises, suisses, belges et allemandes, donc on peut aider nos participations à atteindre ces clients là. Enfin, le fait d’être sectorisés fait que l’on investit pas en FinTech comme un fonds pourrait investir aujourd’hui en FinTech parce que c’est “la mode”. Nous investissons aujourd’hui en FinTech comme on y investira dans 1 an, dans 5 ans et dans 10 ans donc les entrepreneurs qui travaillent avec nous savent que c’est pour le long terme.

Quels sont tes anti-portfolios ?

Les néobanques, pour la plupart Revolut ou N26. On était pas prêts à investir en Série A.
On aurait pu investir dans la Series C de N26 fin 2017 début 2018 et on trouvait que c’était déjà cher mais force est de constater qu’il y avait un bon multiple à faire !

Selon toi d’où viennent les nouvelles tendances FinTechs ?

Pour moi il y a trois leviers possibles :

L’expérience utilisateur : qu’on parle de consommateur ou de business, les gens ont l’habitude d’avoir des expériences de super bonne qualité tant en mobile, en web ou un super service client s’ils ont un soucis. Et ce qui est clair, c’est que les banques et les assurances sont mal notées sur l’expérience client. Leur NPS est à 0 ou super faible là dessus les start-ups peuvent vraiment réinventer l’expérience. En s’adressant à une niche spécifique, elles adaptent le besoin et les gens l’utilisent et sont contents. Par exemple la note TrustPilot de Pretto est de 4,8 sur 5.

La technologie pour les acteurs existants : les banques et les assurances reposent sur des technologies anciennes qui ont été développées il y a 10 ans ou 20 ans qui ne sont donc pas très flexibles. Tu as donc des opportunités pour des sociétés en B2B d’apporter des nouvelles technologies aux différents acteurs existants : de l’IA, des nouveaux core banking systems, des nouveaux logiciels, de l’automatisation de process (robotic process automation), de la reconnaissance d’image, de la détection de fraude etc..

La réglementation : la finance et l’assurance sont des secteurs très réglementés.ous les ans il y a des nouvelles réglementations que ce soit des réglementations européennes comme DSP2 qui sont ensuite transposées en droit local ou des réglementations nationales directement. Ça oblige les acteurs existants à s’adapter en prenant des prestataires pour le faire et ça crée aussi des opportunités pour des start ups pour se lancer. Typiquement les agrégateurs comme Bankin’ ou Tink ont pu se lancer parce qu’il y avait une évolution réglementaire. Même les néo-banques ont pu lancer des offres semi-bancaires sans être des banques grâce à la directive sur les services de paiement qui a créé les établissements de monnaie électronique.

Tu as investi dans Epsor et Pretto ? Que font-ils ?

Epsor c’est un investissement récent, réalisé en juillet 2019. C’est une société qui fournit une solution d’épargne salariale et épargne retraite. Ils vendent à des entreprises une solution pour que les salariés puissent placer leur participation et leur intéressement et ils le font en architecture ouverte contrairement aux offres bancaires. Pretto c’est un courtier en crédit immobilier 100% digital qui s’adresse aux millennials qui achètent un appartement ou une maison et qui ont besoin d’un crédit pour ça et au lieu d’aller comparer eux même banques par banque ou de passe par un courtier physique, ils vont le faire directement en ligne. Pretto les accompagne tout du long jusqu’à l’obtention du crédit.

Comment les accompagnes-tu aujourd’hui au quotidien au delà des boards ?

On essaye toujours de trouver un ou deux sujets sur lequel on peut les aider, c’est assez variable d’une société du portefeuille à l’autre. Ca peut être un sujet recrutement et en particulier pour les sociétés étrangères qu’on va aider à recruter des équipes en France. Sur les trois entreprises étrangères du portefeuilles Ravelin, Friss et Viabill, deux ont ouvert des bureaux en France. Ça peut être des intro commerciales quand leurs clients sont des banques ou des compagnies d’assurance comme Epsor. Ça peut être sur le plan réglementaire pour aider les sociétés à définir leur stratégie réglementaire. Et plus généralement, nous voyons beaucoup de sociétés dans le secteur et échangeons beaucoup avec nos participations sur les tendances du secteur, et éventuellement sur comment ces participations pourraient lancer une autre activité, un nouveau pays ou adapter leur modèle.

Tu as un exemple ?

L’expérience de Santiane et LSA Courtage, deux courtiers en assurance qui ont beaucoup réfléchi sur la distribution à distance, la gamification, la formation et l’optimisation des processus a de la valeur pour Pretto. Nous avons aidé FRISS et Ravelin à recruter leurs patrons commerciaux France et Europe.

Est ce que pour toi c’est jouable que les FinTechs s’imposent face aux acteurs traditionnels sur certains marché ou est ce que ça se terminera la plupart du temps par des acquisitions ?

Il y a déjà des secteurs dans lequel les FinTechs se sont imposés par rapport aux banques. Sur le secteur des paiements par exemple. C’est un marché qui a été gagné par Adyen et Stripe. Les banques sont à la traîne, elles ont perdu sur ce marché la. Niche par niche, je pense aussi que c’est possible. Si tu prends le cas de Compte Nickel en France leur offre qui était distribuée via des buralistes et qui s’adressait à une population très spécifique de sous bancarisés. Sur ce segment, ils ont un peu gagné par rapport aux banques néanmoins c’était peut-être une niche trop petite pour en faire un business standalone et c’est pourquoi ils se sont revendus à la BNP. Ensuite, la question se pose pour les néobanques B2C comme Revolut et N26 qui ont une super offre pour les millennials, en particulier ceux qui voyagent et qui ne veulent pas payer pas de frais de changes sur leurs dépenses à l’étranger. Vont-ils être capables de passer du compte secondaire, utilisé par les millennials quand ils voyagent, à un compte principal sur lequel les utilisateurs vont déposer leur salaires et enregistrer leurs prélèvements ? Ce n’est pas complètement sûr mais s’ils y arrivent ça peut devenir les plus grosses banques de détails européennes dans 10 ans. Quand on voit leurs dernières valorisations à plusieurs milliards de dollars, c’est vraiment la thèse des investisseurs qui les financent : pour qu’ils fassent un multiple de 10x, 5x ou même 3x il faut que les sociétés deviennent des leaders européens et se cotent en bourse. Il faudra qu’elles valent plus de dix milliards .. peu d’acteurs pourraient payer se prix là pour les intégrer !

Est ce que les néo banques sont limitées à ces services en amont dans la chaîne de valeur ?

Je ne sais pas si ils sont limités car ils arrivent d’une certaine manière à avoir un modèle de marketplace où, pour tous les produits qu’ils ne font pas eux mêmes, ils ouvrent une place de marché et laissent d’autres acteurs fournir des produits sur la chaîne de valeur. Ils deviennent un peu le supermarché du produit financier, ils gardent la relation client sans développer tous les produits donc en fait c’est un modèle très scalable.

Tu as un exemple d’entreprise qui a trouvé un élément très différenciant par rapport au marché ?

Descartes Underwriting, par exemple, est un pionnier de l’assurance paramétrique. L’assurance paramétrique est un nouveau paradigme dans l’assurance : au lieu d’assurer un dommage ou un sinistre, l’assuré est automatiquement remboursé en cas de survenance d’un événement prédéfini — constaté sur une station météo (vent, grêle, gel, sécheresse) ou des images satellitaires par exemple (inondation, feu). Ce qui est compliqué pour eux c’est d’avoir des modèles météo très solides pour bien pricer le produit et faire des offres rapidement aux courtiers qui sont en relations avec le client qui veut s’assurer. Ils ont une super team de data scientists, leurs techno et ressources sont vraiment différenciantes.

Un dernier mot ? En VC on sait qu’il y a généralement deux options pour sortir une entreprise du portefeuille, alors selon toi vaut-il mieux une exit ou une IPO ?

Nous avons un mix de sociétés qui peuvent être suffisamment grosses en France pour faire un très bel exit et donc dans ce cas là c’est très bien et l’exit sera plutôt un exit industriel. Nous avons d’autres sociétés qui sont beaucoup plus internationales comme Friss, Ravelin et Viabill, ce sont des sociétés qui pourront éventuellement se coter en bourse. Mais attention, ce n’est pas une fin en soi et ce n’est pas forcément la meilleure manière pour un VC d’obtenir de la liquidité, surtout en Europe. J’espère que les marchés boursiers européens évolueront dans les prochaines années pour mieux accueillir les leaders de la tech, mais pour l’instant si tu es très international et tu peux te coter aux US, sinon il ne vaut mieux pas le faire.

Merci aux lecteurs de cette première chronique FinTech. N’hésitez pas à nous partager vos points de vue par email ci-dessous. Rendez-vous en octobre pour l’interview de Grégoire Delpit, fondateur de la start-up ProcessOut.

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Sipios fait partie du Start-up studio M33. Nous concevons des produits digitaux à partir des besoins des utilisateurs finaux.
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