Comment faire converger transition énergétique et transition numérique ?

Florence Moïse
SmileConsulting
Published in
8 min readJan 2, 2020

Limitation des déplacements, gain de temps ou encore accès facilité aux services… L’ADEME liste dans La Face Cachée du Numérique les bienfaits généralement attendus du numérique.

Plus encore, le numérique est même généralement vu comme un moyen de réduire la consommation d’énergie en permettant une utilisation plus efficiente des ressources, comme le rappelle le think tank The Shift Project dans son étude Lean ICT — Pour une Sobriété Numérique (2018). On retrouve cette idée derrière le terme “IT for green”. Cette vision s’applique à un grand nombre de secteurs, de l’énergie, aux services, en passant par l’agriculture. Ainsi, de nombreuses solutions numériques ont été conçues dans l’objectif de répondre à des problématiques environnementales. On peut citer la domotique conçue pour réduire la consommation d’énergie ou l’usage de drones dans l’agriculture afin de rationaliser et cibler l’usage de pesticides.

L’objectif 20/20/20 défini en 2007 par les dirigeants de l’UE ancre la transition numérique comme un incontournable pour maîtriser le changement climatique : La réduction de 20% de la consommation d’énergie d’ici 2020 et l’atteinte de la part de 20% d’énergie renouvelable ne sera atteignable qu’avec l’aide du numérique.

Cependant, force est de constater que la transition numérique, telle qu’elle est actuellement mise en oeuvre, participe au dérèglement climatique plus qu’elle n’aide à le prévenir. C’est le constat de The Shift Project : Le développement exponentiel du numérique génère une augmentation forte de son empreinte environnementale. Alors que la consommation d’énergie du secteur croit de 9% par an, les impacts croissants du numérique restent systématiquement sous-estimés. En cause, l’imperceptibilité des usages, liée à l’invisibilité des infrastructures, la miniaturisation des équipements et la généralisation de l’offre de service cloud.

L’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales soutient dans son livre blanc Numérique et Environnement que le numérique n’est ni intrinsèquement bon ou mauvais.

Comment alors faire converger transition énergétique et transition numérique, les deux transitions majeures du 21ème siècle ?

Les impacts bénéfiques du numérique sur la consommation énergétique sont souvent surestimés, du fait de la non prise en compte des impacts négatifs indirects. De même, les gains d’efficience en termes de temps et de ressources énergétiques, sont également surestimés, du fait de la non prise en compte des effets rebonds qui conduisent à une augmentation de la consommation de ressources dont on a augmenté l’efficacité ou la facilité d’usage (The Shift Project).

Phénomène smartphone (forte croissance du parc et de la richesse des fonctionnalités), multiplication des périphériques de la vie quotidienne (+60% de production de modules par an), essor de l’internet des objets industriels, explosion du trafic de données (croissance du nombre d’utilisateurs, de terminaux par individu, développement exponentiel de la vidéo)… Nos usages numériques évoluent… tout comme leur consommation énergétique.

Face visible de nos usages numériques, les objets numériques sont pour Green It les premiers biens manufacturés par l’homme en termes d’épuisement de ressources et d’impacts environnementaux, et ce tout au long de leur cycle de vie : Fabrication (acquisition des matières premières, assemblage), distribution (emballage, transport), installation, utilisation et fin de vie (recyclage, réemploi, valorisation, incinération, enfouissement).

Parallèlement, les tendances de dématérialisation et de miniaturisation alourdissent encore l’impact environnemental des produits numériques : D’un côté, la dématérialisation nécessite paradoxalement d’utiliser plus de matières premières. De l’autre, la miniaturisation entraîne une complexification de l’assemblage entraînant une augmentation de consommation d’énergie lors du recyclage - l’énergie nécessaire à la séparation des métaux lors de la phase de fin de vie étant fonction de le complexité de leur assemblage lors de la phase de fabrication.

A mesure que le numérique explose, sa contribution nette à la réduction de l’impact environnemental reste donc entièrement à démontrer. En attendant, le numérique capte déjà plus 7% de l’électricité mondiale disponible, comme alerte Greenpeace dans son rapport Clicking Clean (2017). A l’heure où cette dernière peine à se décarbonner et où le numérique ne cesse de grandir dans nos vies personnelle et professionnelle, ce constat incite à l’action.

Notre tendance à la surconsommation numérique n’est pas soutenable au regard de l’approvisionnement énergétique et en matériaux. C’est en ce sens que The Shift Project recommande d’adopter en urgence un scénario de sobriété numérique consistant à ramener l’augmentation de l’empreinte énergétique directe du numérique à 1,5% par an.

Une consommation et une satisfaction au plus juste des besoins ciblés… On retrouve l’approche lean au coeur de la démarche de The Shift Project dont les travaux nous enjoignent à passer de l’intempérance à la sobriété dans notre relation au numérique.

A travers leur scénario 2018–2025 Sobriety, ils proposent un plan d’action permettant de contenir l’explosion de l’empreinte environnementale du numérique sans remettre en course le principe même de transition numérique. C’est ce scénario qui nous permettra selon eux de « construire un avenir numérique plus enviable et en faire un outil efficace au service de la résilience de l’humanité face à l’effondrement en cours ».

Ils vont plus loin en nous livrant directement les clés pour le déployer :

  • Adopter la sobriété numérique comme principe d’action : Interroger l’utilité sociale et économique de nos comportements et les adapter en fonction (Ex : Acheter les équipements les moins puissants possibles, les entretenir pour les changer le moins possible, réduire les usages énergivores superflus),
  • Accélérer la prise de conscience des impacts environnementaux du numérique, auprès des entreprises, organisations publiques, de la recherche ou du grand public,
  • Intégrer les impacts environnementaux dans nos critères de décision, à tous les niveaux de pilotage (individu, entité, direction, entreprise…),
  • Permettre aux organisations de prendre en compte l’impact environnemental de la composante numérique des choix qu’elles envisagent et de piloter environnementalement leur transition numérique en leur mettant à disposition des outils adéquats,
  • Procéder à un bilan carbone des projets numériques et privilégier ceux ayant pour finalité le développement économique local, social ou culturel,
  • Améliorer la prise en compte des aspects systémiques du numérique dans les secteurs clés,
  • Mettre en place ces mesures à l’échelle européenne.

En termes d’outil, le Référentiel Environnement du Numérique proposé par The Shift Project vise à décrire sous forme de grandeurs et ratios pertinents vérifiés et transparents l’empreinte environnementale du numérique, permettant ainsi de donner une quantification physique à des actions perçues comme « virtuelles ».

En termes de leviers d’action en entreprise, nous pouvons citer l’allongement de la durée de vie des équipements professionnels (renouveler en fonction de l’état fonctionnel et non la durée) qui permet de diminuer très simplement leur impact environnemental, l’augmentation de la part de smartphone pro-perso dans le parc professionnel (de 20% à 70%), la favorisation d’échange de documents via une plateforme partagée plutôt que par mail ou encore la mise en place de métriques opérationnelles.

Alors que l’idée émerge de réduire l’empreinte environnementale d’un service numérique en développant un code mieux fabriqué, l’éco-conception devient une réponse de plus en plus pertinente au déploiement d’une sobriété numérique. En effet, comme l’explique Alain Anglade, ingénieur à l’ADEME, « l’optimisation du code a un impact direct sur la quantité d’énergie requise pour faire fonctionner un logiciel ». Or, l’efficacité du code se mesure aujourd’hui en temps de travail pour l’informaticien et non plus au ratio performances / ressources utilisées. Cette méconception explique en partie le développement d’un code à caractère obsolescent et l’explosion de l’empreinte environnementale des sites web.

Il devient urgent de revenir à une conception numérique responsable, conciliant performance économique, sociale et environnementale. Eco-concevoir ne se résume en effet pas à réduire nos impacts environnementaux. Il s’agit de réduire volontairement l’empreinte économique, écologique, sociale de nos services numériques tout en maximisant leur efficience.

C’est la démarche de l’Alliance Green It explicitée dans son livre blanc L’Ecoconception des Services Numériques qui propose une méthodologie pour mettre en place l’éco-conception :

  • Partir de l’unité fonctionnelle des services numériques (fonction et utilisation pour les usagers finaux),
  • Etudier toutes les étapes du cycle de vie,
  • Prendre en compte les tiers (clients, réseaux, serveurs) afin de ne pas se dédouaner par un transfert de pollution,
  • Dialoguer avec les parties prenantes internes et externes pour mettre en évidence des leviers pour améliorer le ratio service délivré / impacts environnementaux en amont et en aval de la chaîne de valeur.

Green It décline également les différentes étapes pour concrétiser l’éco-conception en organisation :

  • Initier : Choisir un service numérique et définir les enjeux prioritaires liés à l’éco-conception,
  • Porter : Définir un porteur de projet,
  • Mobiliser : Enrôler les acteurs internes et externes de la chaine de valeur,
  • Evaluer : Décrire la fonctionnalité du service numérique, retenir une unité fonctionnelle, décrire le cycle de vie et quantifier les impacts environemenntaux,
  • Analyser : Identifier les points à améliorer,
  • Imaginer les pistes d’amélioration et étudier la faisabilité à partir de référentiels de bonne pratique et des objectifs de l’entreprise,
  • Réaliser : Sélectionner et mettre en oeuvre les actions,
  • Vérifier l’atteinte des résultats et les quantifier,
  • Communiquer auprès de l’écosystème.

Tests, baromètres, matrices, référentiels, formations, conseil… de nombreux outils d’éco-conception ont été développés dans ce sens. Le site eco-conception.fr en propose une cartographie complète ci-dessous.

Cartographie des outils d’éco-conception des services numériques (Eco-conception.fr)

Né du besoin des professionnels du secteur d’un référentiel leur permettant de comprendre le sujet, de s’autoévaluer, de se comparer aux autres, de lancer enfin des démarches d’amélioration continue factuelles et étayées, d’acheter des services en ligne qui répondent à des vraies attentes en matière d’éco-conception” (Elie Sloïm), Eco-conception, Les 115 bonnes pratiques est LA référence en la matière. Le guide énumère toutes les pratiques d’éco-conception, en indiquant pour chacune d’elle leur impact écologique et niveau de difficulté.

Conception fonctionnelle, graphique et technique, templating, code client, code serveur, hébergement, contenu… L’éco-conception se joue à tous les niveaux. Réduire les requêtes et le chargement en supprimant les fichiers inutiles ou indésirables, éliminer le code non utilisé, compresser les images, préférer la saisie assistée à l’auto complétion, privilégier l’approche mobile first, minifier les fichiers CSS & javascript… Les pratiques d’éco-conception sont nombreuses et relativement faciles à mettre en place.

Cela vous parle ? Concrétisez votre intérêt en vous évaluant ici ou en imaginant vos premières d’action .

Plus précisément, les étapes pré-développement sont celles qui ont le plus gros effet de levier en termes de réduction des impacts environnementaux. En effet, 70 % des fonctionnalités demandées par les utilisateurs ne sont pas essentielles et 45% ne sont même jamais utilisées (Etudes Cast SoftWare et Standish Group). C’est pourquoi Frédéric Bordage, précurseur et figure de proue du numérique responsable, juge l’optimisation du code déjà écrit insuffisante et préconise de travailler en amont sur le “gras numérique” soit de “supprimer les fonctionnalités qui ne servent à rien”.

L’éco-conception n’est pas seulement dans les mains des développeurs mais bien également dans celles du métier ainsi que celles des utilisateurs.

Or, alors que le numérique devient omniprésent au sein des organisations, le green IT reste, au mieux, un enjeu des seules Directions des Systèmes d’Information. Faire remonter l’éco-conception au niveau décisionnel, en matière de portefeuille d’activités, de développement produit et d’organisation est en cela crucial et un des enjeux majeurs des prochaines années.

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