Professionnels du digital, réduisons notre empreinte écologique

Florence Moïse
SmileConsulting
Published in
11 min readMay 31, 2019

Le numérique consomme 7% de l’électricité mondiale, soit plus que la Russie et l’Allemagne réunies. Ce constat dressé par Greenpeace en 2017 dans son rapport Clicking Clean interpelle, alors que la place du numérique ne cesse de se développer dans nos vies personnelle et professionnelle.

Greenpeace Clicking Clean (2017)

Actrice principale, l’entreprise se montre de plus en plus concernée par son empreinte écologique, comme en témoigne la généralisation des fontaines à eau, du tri sélectif ou encore de la pratique du télétravail. Plus précisément, le secteur de l’IT, montré du doigt pour ses data centers énergivores, a commencé à remettre en question ses pratiques. C’est le cas des GAFA à l’instar de Facebook, première grande entreprise Internet à s’être engagée en 2011 au 100% renouvelable d’ici 2020.

En tant que professionnels et représentants des métiers de l’IT et du digital, quel rôle pouvons et devons-nous jouer à notre échelle?

En premier lieu, nous devons continuer, comme les entreprises, à questionner nos pratiques. Moyens de communication, achat et usage de matériel informatique, outils, stockage ou moyens de transport, la révolution verte commence par la remise en cause de nos bonnes vieilles habitudes.

275 grammes de CO2, c’est le bilan carbone d’un email selon l’ADEME. Avec une moyenne de 34 mails envoyés par collaborateur par jour en France, c’est pas moins de 58 000 mails qui sont envoyés par jour pour une entreprise de la taille de Smile (1700 collaborateurs) soit 16 tonnes d’équivalent CO2, représentant 15 allers-retours Paris New-York ! Dès lors, il semble crucial de repenser notre manière de communiquer en entreprise. Atos en a fait son cheval de bataille dès 2011 en annonçant son objectif “0 email sous 3 ans”. Une annonce pour le moins surprenante de la part d’une société de technologie employant plus de 70 000 personnes à travers le monde mais une démarche partagée par un nombre croissant de dirigeants d’entreprises ses dernières années et à juste titre : en interdisant le courrier électronique, Atos a déjà réussi à réduire son volume d’email de 60% soulageant du même coup son empreinte écologique et le stress de ses collaborateurs. Des équipes plus concentrées, plus productives et engagées autour d’un but commun : Ces résultats nous laissent songeurs… D’autant que de simples ajustements peuvent avoir un impact significatif. Le premier est le contrôle des destinataires de nos emails. Gardons en tête qu’un email envoyé à 10 destinataires représente l’équivalent de 10 emails distincts. Les notions de “copie carbone” ou “copie carbone invisible” vous sont-elles familières ? Posons la question différemment : De combien de mails êtes vous en CC ou CCI chaque jour ? Nous avons pris l’habitude de répondre au flot d’information quotidien qui nous est imposé par un flot proportionnellement inverse. Résultat : Des chaines de mail interminables pas toujours productives. Et si nous prenions la peine de distinguer les vrais des faux destinataires avant de cliquer sur “envoyer”, combien de mails économiserions-nous à l’échelle d’une entreprise, d’un secteur, d’un pays? Il ne s’agit pas ici de diaboliser le mail mais d’en faire un moyen de communication plus raisonné et plus efficace. Cela passe aussi par le poids de nos emails et donc inévitablement celui de nos pièces jointes. Images HD, supports de présentation graphiques, slides masquées, signatures enrichies… Ces éléments sont-ils vraiment nécessaires ? Si oui, des alternatives tout aussi efficaces existent : Disque dur externe, clé USB, liens hypertextes ou encore réseau social d’entreprise… Choisissez de manière éclairée le moyen le plus adapté à la situation et la nature de votre pièce jointe.

Fort heureusement, le mail n’est pas l’unique moyen de communication utilisé en entreprise. Parmi eux, la traditionnelle réunion : Nombreux sont ceux qui comme nous y passent une partie significative de leur temps. Et dans ce cadre aussi, les usages numériques pullulent : projections, téléphonie, conférence call, navigation parasite sur smartphones et ordinateurs sont désormais associés à nos familières séances. S’il existe une corrélation positive forte entre numérique et mondialisation, force est de constater que nos usages numériques ne sont plus toujours corrélés au bon sens. A titre d’exemple, la multiplication des moyens de communication ne facilite pas le traditionnel face à face. Quand elle est possible, une rencontre physique présente pourtant nombre d’avantages par rapport à un call ou une conf-call : Plus écologique, humaine et accessible, elle limite le risque d’incompréhension et de mésinterprétation et reste le moyen de communication le plus engageant. Si le numérique est un formidable connecteur, à nous de l’utiliser à bon escient afin qu’il garde sa fonction première et favorise le lien social. Selon une expérience menée par Kaspersky Lab sur 95 personnes âgées de 19 à 56 ans, notre productivité augmenterait de 26% sans notre smartphone. Et si, à l’image du conseil des ministres de François Hollande, on bannissait laptops et smartphones de nos réunions ? Valoriser la concentration, la prise de parole et les échanges en réduisant notre empreinte écologique, la promesse vaut bien le test, non?

La fabrication, le renouvellement et l’usage de nos équipements informatiques impacte aussi de manière considérable notre empreinte écologique. En première ligne, la phase de fabrication qui concentre près de 80% des impacts environnementaux résultant de l’extraction des matières premières et de la fabrication des équipements (Source : Ordi 3.0). C’est dans cette logique que l’entreprise Sidas privilégie depuis 3 ans l’acquisition de matériel reconditionné afin de s’inscrire dans une “démarche RSE authentique”. Allons nous aussi dans ce sens en limitant l’achat et le renouvellement du matériel informatique mis à notre disposition. Nos appareils sont renouvelés en moyenne tous les 18 mois alors que leur durée de vie technique est de 7 à 8 ans, déplore Fabrice Flipo, co-auteur de La Face Cachée du Numérique. En effet, notre responsabilité en tant qu’individu va du choix de notre matériel (adapté à nos besoins réels), à sa durée d’utilisation (repousser au maximum sa date de renouvellement) en passant par son entretien. Éteindre son matériel en partant le soir, ne pas le décharger entièrement, effectuer les mises à jour régulièrement ; plus vous en prendrez soin, plus votre matériel durera dans le temps.

En outre, il est plus que temps d’intégrer l’écologie dans les critères de choix de nos outils de travail et pratiques. Si Internet nous offre des possibilités infinies pour communiquer, trouver, stocker et partager de l’information, il est aussi un gouffre énergétique. Savez-vous que vous pouvez faire du choix de votre navigateur un acte engagé? Que « chaque requête Google consomme autant d’énergie qu’une ampoule allumée pendant une heure » (Thierry Leboucq, directeur de Greenspector, start-up française spécialisée dans l’éco-conception de logiciels) ? Que plusieurs onglets ouverts simultanément, au delà de ralentir considérablement votre appareil, décuplent votre consommation d’énergie ?

Le navigateur est une des applications les plus gourmandes en batterie. Il impacte donc directement la consommation et la durée de vie de nos appareils. Greenspector a publié un classement des navigateurs en fonction de leur autonomie. En tête, Brave, nouvel acteur sur le marché revendiquant la protection de la vie privée de ses utilisateurs en bloquant publicités et trackers. A la deuxième place, le nouveau né de Mozilla, Firefox Focus, centré lui aussi sur le respect de la vie privée. Les historiques Chrome, Microsoft Edge et Firefox occupent le bas de classement. En cause : L’ancienneté des applications, la surcharge pondérale du code et la priorité donnée à la course à la performance au détriment de l’autonomie ou la vie privée. Et si on on faisait de l’autonomie et du respect de la vie privée des critères de choix au même titre que la performance ?

De même, beaucoup d’entre nous utilisent quotidiennement un moteur de recherche. Que ce soit pour prospecter de nouveaux clients, effectuer une veille concurrentielle ou simplement trouver des réponses à nos questions, Google est ainsi devenu un réflexe. Or, derrière cet accès à l’information aisé et rapide se cache un process complexe et gourmand en énergie : Transmission de la page d’accueil du moteur de recherche par le data center, envoi par ce même data center des résultats associés à la requête, mise à disposition du site sélectionné par le data center de l’hébergeur de ce dernier… Dans son guide pratique Éco-responsable au bureau, l’ADEME recommande d’optimiser ses requêtes (formulations les plus exactes possibles), d’utiliser les flèches au niveau de la barre d’adresse pour économiser le chargement de pages et de nous rendre si possible directement sur l’url du site recherché, notamment via la consultation de l’historique de navigation ou l’utilisation des favoris.

Autre pôle de consommation énergétique sur lequel nous pouvons agir facilement : le stockage de nos données professionnelles. Préférez par exemple votre serveur local pour le stockage de vos en cours et n’enregistrez sur serveur interne/partagé que les dossiers essentiels ou communs. Également, le stockage de mails, au même titre que leur envoi, impacte notre empreinte écologique. Videz régulièrement votre boite mail, manuellement ou automatiquement — à l’aide d’un nettoyeur de mail, comme le français Cleanfox, qui vous permettra en outre de vous désabonner en quelques clics des newsletters que vous ne lisez pas. A titre personnel, j’ai pu me désabonner de toutes celles que je n’ouvrais et ne lisais plus et procédé du même coup à un rangement très satisfaisant de ma boite mail. Enfin, équipez si vous le pouvez votre boite mail d’un filtre anti-spam. Dans un rapport co-écrit avec McAfee, l’ICF estime que si chaque boîte de réception était protégée par un filtre antispam de pointe, l’énergie consommée par le spam pourrait être réduite de près de 75%! Avec une empreinte carbone mondiale annuelle équivalente au trafic annuel de 3 millions de voitures (0,2% des émissions mondiales), le poids du spam est en effet loin d’être négligeable.

Notre quotidien est donc le premier champ d’action de réduction de notre empreinte écologique. Vous êtes partants ? Commencez par vous fixer des objectifs mesurables et réalisables. Ensuite, poursuivez vos efforts sur la durée et sensibilisez vos collègues de manière ludique. Proposer un service de covoiturage d’entreprise, mettre en place un challenge solidaire inter-entreprise ou encore rassembler les abonnements newsletters de veille sur un compte mail partagé, les initiatives sont diverses et nombreuses, à vous de jouer !

Or, notre quotidien est aussi largement déterminé en amont par le développement des technologies numériques. Prenons l’exemple du media video, devenu en quelques années le roi incontesté des réseaux sociaux et du web en général.. Le streaming vidéo a capté en 2015 près de 63% du trafic web mondial et ce chiffre s’élèvera à 80% en 2020 ! Quand on sait que le géant Netflix continue d’alimenter les serveurs de notre plateforme de streaming préférée avec 30% d’énergies fossiles, on se demande, à l’instar de Greenpeace, si notre industrie est bien suffisamment mobilisée autour d’un numérique plus respectueux de l’environnement.

L’empreinte énergétique du secteur IT va inexorablement grandir, à mesure qu’internet devient le centre du système nerveux de l’économie globale moderne. En tant que professionnels de l’IT et du digital, nous avons un rôle à jouer pour pousser notre industrie à transiter le plus rapidement possible vers le 100% renouvelable et militer — à tous niveaux — pour des pratiques et usages plus raisonnés.

Une des pistes pour réduire l’empreinte écologique du web consiste à privilégier l’éco-conception des sites et services en ligne. En effet, le poids d’une page web a été multiplié par 115 en 20 ans, passant de 14 Ko (1995) à 1 600 Ko (2015) ! C’est le combat de Frédéric Bordage, créateur du collectif GreenIT et co-auteur du guide Éco-Conception web : les 115 bonnes pratiques, destiné aux professionnels désirant doper leur(s) site(s) et réduire leur empreinte écologique.

L’éco-conception commence par l’introduction de la notion même de mesure d’empreinte écologique. L’outil libre Ecoindex, développé par GreenIt et Nxtweb, permet de tester la performance environnementale d’une page/site web en saisissant l’url en question. Il croise pour cela quatre critères objectifs mesurables :

  • L’empreinte Gaz à Effet de Serre (GES) calculée à partir des émissions d’une page moyenne,
  • La complexité de la page calculée à partir du nombre d’éléments du Document Object Model (DOM),
  • La bande passante en Ko,
  • La charge serveur calculée par le nombre de requêtes HTTP.
EcoIndex (capture écran)

L’outil détermine ensuite un EcoIndex qui permet de ranker les sites. Si l’objectif est de “sensibiliser le plus grand nombre aux impacts du web pour les pousser à agir”, l’intervention d’un expert reste nécessaire pour obtenir un bilan affiné “tant en terme de performance que d’empreinte environnementale”.

Parmi les principes d’éco-conception, nous retrouvons la priorité donnée à un design simple et épuré, le respect du principe de navigation rapide, la préférence donnée à la saisie assistée plutôt qu’à l’auto-complétion, la limitation du nombre de requêtes HTTP, du recours aux plugins, ou encore de l’utilisation de Flash, le redimensionnement des images en dehors du HTML, la préférence du CSS aux images… Retrouvez la liste détaillée des principes d’éco-conception ici. Par ailleurs, aidez-vous de l’outil gratuit Ecometer pour concevoir, tester et construire des services digitaux toujours plus verts.

Ecometer (capture écran)

De manière générale, c’est aussi le bon sens qui prévaut pour réduire l’empreinte écologique de notre industrie : Ne pas développer et éliminer les fonctionnalités non essentielles d’un point de vue business, militer pour un usage raisonné des animations et vidéos, retirer la fonctionnalité de lecture automatique des vidéos ou encore optimiser la taille des médias. Ces actions doperont les performances de votre site — notamment en réduisant signification son temps de chargement — et allégeront par la même son empreinte écologique. Frédéric Bordage va dans certains cas jusqu’à privilégier des solutions low tech : “L’envoi de SMS (peut) parfaitement remplacer un site web lourd et inefficient où l’utilisateur peine à trouver l’information dont il a besoin.”.

Enfin, eco-concevoir c’est aussi valoriser les acteurs qui, autour de nous, montrent le bon exemple. Côté fabricants, les produits HP, Dell et Fairphone sont considérés comme plus “réparables” et “améliorables” que ceux d’Apple, Microsoft ou Samsung. Faites-vous votre propre idée en testant votre matériel sur le guide d’achat du high-tech durable EcoGuide. Côté hébergeurs, Infomaniak et Hostpapa se distinguent des acteurs traditionnels en revendiquant un investissement dans des systèmes de compensation d’émissions de carbone. Si ces sujet vous intéressent, vous informer sur les caractéristiques de ces solutions est un premier pas pour concevoir des sites moins énergivores. Vous trouverez notamment un comparatif très bien fait ici.

Une deuxième piste pour réduire l’empreinte écologique de notre industrie est le marketing digital. Ces dernières années, la course à la performance est allée de pair avec une sur-sollicitation croissante des internautes et une démultiplication des points de contact. Privilégiez la qualité à la quantité en ciblant et en personnalisant vos messages marketing. Vos campagnes, pensées par segment client et canal d’acquisition, seront moins polluantes et plus performantes.

En tant que professionnels de l’IT et du digital, nous avons donc plusieurs manières de voir la révolution verte :

  • Des efforts individuels et collectifs,
  • Un coût financier,
  • Une nécessité pour l’environnement et le futur de nos enfants,
  • Un vecteur de performance pour nous et nos clients,
  • Mais surtout une arme de différenciation

Individu, membre d’équipe, entrepreneur, entreprise, cadre dirigeant, client… Et si on s’y mettait vraiment ?

Chez Smile, quelques actions ont été menées pour réduire notre empreinte écologique avec notamment la coupure en weekend des serveurs alimentant nos environnements de tests. Par ailleurs, notre ADN local, basé sur des centres d’expertise régionaux permet de limiter les déplacements humains et de privilégier les ressources internes et externes les plus proches. S’il nous reste encore beaucoup à faire pour intégrer l’écologie dans notre stratégie globale, “il n’y a point de petits pas dans les grandes affaires !

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