Hors des sentiers battus: les Espaces Communautaires Multiservices au Burkina Faso

Voici une histoire qui raconte comment l’engagement communautaire porté par les jeunes et les liens de confiance qu’ils ont créés avec les femmes impulsent le changement social au Burkina Faso.

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Sana Oumarou, un jeune volontaire de Ouagadougou a développé des bases de données permettant aux jeunes de répertorier les enfants devant recevoir leur première dose de vaccin ou ceux devant être enregistrés à l’état civil, dans les délais prescrits.

Sur le terrain à Saba, son collègue Sayouba Sawadogo a mené des visites à domicile pour discuter avec les mères de son village et noter les données concernant leurs enfants dans le registre communautaire. En écoutant les femmes, Sayouba et ses comparses volontaires ont rapidement créé un lien de confiance avec elles. Elles leur ont confié qu’elles rencontraient énormément d’obstacles limitant l’accès de leurs enfants aux soins et aux pièces administratives. Elles leur ont aussi partagé un souhait: trouver une alternative à leurs visites à domicile, insécurisantes dans le contexte actuel du pays.

Depuis deux ans, l’équipe de Changement Social et Comportemental (SBC) de l’UNICEF au Burkina Faso, explore des façons radicalement nouvelles de collaborer avec les jeunes et les femmes afin de réaliser le droit à la santé et à l’identité des enfants.

Sana Oumarou Bade, et Sayouba Sawadogo, comme Traore Khepa Kady, Salimata Compaoré, et Boulou Ahoua font partie de ces jeunes qui contribuent à l’amélioration de l’accès des enfants à la vaccination de routine et à l’enregistrement des naissances au Burkina Faso. Ils nous ont raconté l’histoire de leur engagement pour le changement social.

Jadis U-reporters[1], ces volontaires se sont autoorganisés pour agir en groupe et ont mis en place un système de suivi des bébés à base communautaire permettant de répertorier les enfants qui risquent d’échapper aux systèmes de santé et d’enregistrement de l’État civil.

Les volontaires assument différentes fonctions telles que gestionnaire de la base de données de suivi communautaire, spécialistes de la vaccination, facilitateurs de l’enregistrement des naissances ou même coach en entrepreneuriat féminin, tout en appuyant les activités d’engagement communautaire des femmes. Ils rendent une multitude de services dans leur communauté et jouent des rôles diversifiés, qui témoignent d’un degré d’engagement communautaire et d’innovation sociale élevés sur le continuum de changement social du U-report[2] .

Les rôles potentiels des membres du U-report sur le continuum du changement social[3]

En réponse aux besoins exprimés par les femmes qui souhaitaient discuter avec eux dans un lieu ouvert et sécuritaire, les volontaires ont cocréé avec elles les Espaces Communautaires Multiservices (ECMS), un service qui favorise leur utilisation des services sociaux de base existants.

Donnés gratuitement par le chef d’un village ou de quartier, les Espaces Communautaires Multiservices appartiennent à toutes les femmes de la communauté. Ils se situent sous un arbre, dans une cour d’école, un espace vide, etc. Ils sont faciles d’accès pour toutes les femmes (enceintes, allaitantes, jeunes filles) sans discrimination.

Ces lieux informels sont devenus de précieux espaces de dialogue entre les femmes et les volontaires.

Les femmes peuvent ainsi accéder gratuitement à un accompagnement qui facilite leur accès à un éventail de services intégrés, préventifs et promotionnels, (enregistrement de naissances, vaccination de routine, conseils nutritionnels aux mères d’enfants, production de la farine enrichie pour prévenir la malnutrition, conseils pour prévenir les trois plus tueuses des enfants -paludisme, infections respiratoires aiguës et diarrhée-), à quelques pas de chez elles dans les zones semi-urbaines et rurales mal desservies autour de Ouagadougou.

A ce jour, 43 localités ont mis en place des Espaces Communautaires Multiservices. L’ancrage de cette approche est communautaire, sous le leadership des chefs traditionnels. Chaque fois, l’initiative s’ajuste de manière agile à son environnement communautaire. « C’est la communauté qui nous enseigne » dit Oumarou. Les espaces ne sont jamais les mêmes. Les services offerts non plus. « Chaque ECMS a son histoire » raconte Ahoua. Les activités génératrices de revenus n’étaient pas prévues au départ. Les femmes les ont réclamées. De nouvelles propositions d’activités surgissent en fonction des différentes réalités locales. Là où il y a des déplacés internes, des femmes expriment le besoin d’aller à l’école. On est loin du « paquet standard ».

Les volontaires font preuve de compétences en matière d’écoute active, de dialogue, et de résolution de problèmes. Leur action va au-delà de la sensibilisation. Les jeunes ont pu établir une relation de confiance avec les responsables des services techniques de l’État notamment les centres de santé et les services d’état civil, ce qui facilite l’accès des enfants aux différents services.

C’est grâce aux ressources et aux forces locales que les ECMS existent. Des capitaux sociaux plus que financiers. Les volontaires travaillent dans les villages où ils ont grandi et où ils sont connus.

Ce qui impressionne, c’est moins leur nombre que leur état d’esprit et la qualité du lien. Les valeurs qui soutiennent les Espaces Communautaires Multiservices reposent sur le don de soi. Pas le perdiem. Une discussion franche sur les valeurs qui sous-tendent l’engagement des jeunes a certainement contribué à réduire les effectifs, mais aussi à assurer un engagement authentique. Ceux qui sont encore là, sont restés par «amour de ce qu’ils font » dixit Salimata.

Les jeunes qui animent les Espaces Communautaires Multiservices (ECMS) sont fiers du lien de confiance qu’ils ont créé. « Nous recevons des confidences que les femmes ne disent pas au personnel du district sanitaire » constate Oumarou. Ils ne cessent de recevoir des témoignages d’appréciations et des marques de reconnaissance de leurs communautés respectives. Sayouba montre la tenue qu’il a reçu d’une femme. Les ECMS évoluent dans une économie du lien marquée par des récompenses non-monétaires[4].

Dans le but d’assurer la durabilité de leurs actions, les jeunes volontaires ont créé une association dénommée « Association Terre Commune Burkina Faso (ATCBF) ». Elle a pour ambition de poursuivre l’engagement et les actions des jeunes volontaires en faveur des enfants, des autres membres de leurs familles, des communautés et de mettre à échelle l’approche Espaces Communautaires Multiservices (ECMS).

Les ECMS de Ouagadougou et ses environs illustrent qu’il est possible d’approcher différemment le travail avec les jeunes et les femmes. Une programmation flexible axée sur le dialogue et l’écoute des groupes communautaires a favorisé l’émergence d’un service distinctif[5] qui allie engagement communautaire et service design. Comme quoi inviter et écouter les groupes communautaires, valoriser et bâtir sur les ressources locales pourraient être des conditions pour voir émerger des initiatives communautaires endogènes comme personne ne les a encore imaginées.

Nous apprécions toutes vos suggestions concernant cet essai (N’hésitez pas à commenter ici, ou vous pouvez donner feedback dans notre « panier de suggestions ». Notre devise : Notre devise : Toujours. A. L’écoute (TALE!) Bureau régional de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, Equipe Changement Social et Comportemental, en collaboration avec l’UNICEF Burkina Faso et ses partenaires.

[1] Le U-report est une communauté numérique utilisée par les jeunes. Pour plus information sur le U-report consultez le site Mondial du U-report. Global U-Report site

[2] Le continuum de l’engagement des jeunes pour le changement social, présenté dans le Guide de poche sur le U-report pour le changement social aide à visualiser les rôles joués par les jeunes engagés dans l’action citoyenne et la portée sociale des activités qu’ils mènent. Guide de poche: U-report pour le changement social

[3] Tableau du Guide de Poche du U-Report pour le Changement Social, p.5.

[4] Le professeur Felwine Sarr évoque dans son livre Afrotopia le concept d’économie relationnelle pour décrire ce genre d’échange et de dons. Felwine Sarr, Afrotopia — Reinventer l’Afrique — Mars 2016, Philippe Rey, p. 154.

[5] Le rapport narratif annuel de 2023 du bureau de l’UNICEF au Burkina Faso qualifie les ECMS d’innovation sociale. RAM-Burkina Faso

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