“L’anglais ne joue pas du tout un rôle de langue d’unité”

Florentin Vincke
Sois bilingue et tais-toi
3 min readJun 26, 2017

L’anglais occupe une place de choix partout en Belgique, et surtout à Bruxelles, berceau des institutions européennes. La langue de Shakespeare pourrait-elle dès lors devenir un jour langue officielle de la Belgique ? Non, estime le linguiste belge Jean-Marie Klinkenberg, qui la conçoit davantage comme une langue de communication.

Pour Jean-Marie Klinkenberg, “l’anglais joue un rôle de “lingua franca”, de langue de communication”. © Ges-USP

Quels rapports entretiennent les Belges avec l’anglais ?

Jean-Marie Klinkenberg : D’une part, l’anglais sert de langue neutre dans les rapports Flamands-Wallons. Par exemple, à la mer, les gens qui louent des immeubles ont intérêt à leur donner un nom anglais pour ne pas se priver d’une partie de la clientèle. D’autre part, de plus en plus de parents veulent inscrire leurs enfants dans des établissements où ils apprendront l’anglais.

Cette relation va-t-elle évoluer ?

Klinkenberg : L’anglicisme va continuer à se développer dans des civilisations extrêmement urbaines, et la Belgique est un des pays les plus urbanisés qui soit. Pourtant, à plus long terme, l’évolution de la place des langues dans le monde n’est pas tout à fait favorable à l’anglais. Il y a des projections démographiques, économiques, etc. qui indiquent qu’aux alentours de 2050, plus aucune langue n’aura la position monopolistique dont jouit l’anglais aujourd’hui.

Nos langues nationales ont-elles du souci à se faire ?

Klinkenberg : Je pense qu’il y a une sorte de laisser-aller belge, qui fait d’ailleurs partie de l’idée qu’on se fait de la Belgique comme étant un pays pragmatique. Je crois qu’il y a une certaine pente vers la facilité de l’anglais qui est due à ce pragmatisme.

Ce laisser-aller, c’est le néerlandais et le français qui “se font manger” par l’anglais ?

Klinkenberg : Oui, c’est ça. D’autant plus que les néerlandophones et les francophones ont des attitudes relativement différentes vis-à-vis de l’anglais, mais qui convergent vers un même résultat. Tout d’abord, les flamands sont beaucoup plus branchés que nous sur la culture anglo-saxonne. Ensuite, pour les Belges francophones, c’est la France qui est responsable du français. L’idée que la Belgique ait un quelconque rôle à jouer dans une résistance à l’anglicisation y est donc assez faible.

L’anglais pourrait devenir une langue nationale de la Belgique ?

Klinkenberg : Non, il me semble qu’on n’en prend pas le chemin. Quand je dis que l’anglais est très présent, c’est à titre de langue de travail. Beaucoup de gens sont en contact avec cette langue dans leurs boites, mais quand ils rentrent chez eux, ils parlent français ou néerlandais.

Cette langue “commune” pourrait rapprocher Wallons et Flamands dans un climat séparatiste ?

Klinkenberg : Je ne sais pas si la question d’un séparatisme est liée à la langue. C’est d’abord dû à un impératif économique. L’anglais joue un rôle de lingua franca, de langue de communication, mais pas du tout de langue d’unité ou de sensibilité. Donc, dans la mesure où francophones et flamands ont intérêt à se parler, on en verra de plus en plus communiquer en anglais, c’est évident. Mais ce n’est pas nécessairement un phénomène qui va avoir une répercussion sur la constitution de la Belgique.

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