Génération danseurs de joie

Lau Dos Santos
SoManyWays Stories
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5 min readApr 12, 2016

En plein coeur d’une actualité brûlante sur la loi travail El Komri qui nous promet un avenir toujours plus précaire (#OnVautMieuxQueCa), une centaine de jeunes s’est réuni ce mercredi 23 mars 2016 pour un #aperopholie.

Les somnambules enthousiastes.

Il est 18h30 et la lune commence à pointer le bout de son nez dans le 19ème arrondissement de Paris. Dans le quartier calme de Jourdain, tout près de l’église Saint-Jean-Baptiste, c’est l’émulation au CoSpace. Une centaine de jeunes, Master Chômage en poche pour la plupart, se bousculent pour participer à un apéro-philo participatif sur le thème du travail. Chacun a rapporté un petit quelque chose à grignoter, certains sont même venus avec leur coussin, comme à la maison.

Ambiance détente autour d’un sujet qui pourtant fait l’objet de nombreuses insomnies. Tous ont les mêmes inquiétudes : Comment trouver un emploi qui me passionne ? Comment équilibrer mon temps entre mes vies personnelle, associative, et professionnelle ? Quel sens je donne à mon métier ? Le travail, d’ailleurs, doit-il vraiment avoir un sens ?

Cela tombe bien, car ce sont ces questionnements qu’avaient envie d’ouvrir les deux associations organisatrices de la soirée, CoJob et SoManyWays, dont la mission commune est d’offrir aux jeunes des espaces de co-construction de la vie professionnelle qui leur correspond. Marianne et Marie ouvrent le bal en annonçant le sujet du soir : Doit-on attendre du travail qu’il donne un sens à notre vie ? Pas de réponses à la clé, mais des doutes à partager. Le ton est donné.

Les tailleurs de pierre.

Costanza Tabacco, diplômée en philosophie appliquée, nous apporte son regard sur la question. Elle introduit son discours par un extrait qui nous est tous familier. “Hé Ho Hé Ho, on rentre du boulot”. Les sept nains partent travailler dans la mine en sifflotant, avec des aspirations différentes. Cela n’est pas sans nous rappeler cette fable du tailleur de pierre qui illustre à quel point la question du sens est propre à chacun.

Au moyen âge, un bourgeois visite le chantier de construction d’une cathédrale. Il rencontre successivement trois tailleurs de pierre à qui il pose la même question : «Que fais-tu ?» Le premier lui répond : «Je gagne ma vie en taillant des pierres» ; le second : «Je monte ce mur avec les autres ouvriers du chantier» ; le troisième, quant à lui, affirme : «Je construis une cathédrale.»

D’Aristote à Hannah Arendt en passant par Karl Marx, Costanza et son accent italien nous font voyager à travers les époques et les évolutions des réflexions humaines sur ce sujet. Émancipation et élévation de l’Homme, force de vie, champ de liberté ou au contraire dur labeur réservé à des esclaves, le travail a toujours passionné les philosophes, sociologues, chercheurs, économistes et autres spécialistes du genre humain. Pour Costanza, le travail, parce qu’il est l’expérience d’un lien qui se crée entre nous et le monde, est un moyen de se connecter à l’autre, de vivre ensemble.

“Le sens de la vie, tout comme les finalités du travail, dépendent de la place que nous accorderons au lien entre nous, les autres et le monde.”

Les jongleurs équilibristes.

Puis c’est au tour d’Aude et Bertrand de nous partager quelques morceaux de leur cheminement. Deux générations différentes, deux parcours de vie passionnants, deux fortes personnalités.

Aude Bernheim, jeune doctorante à l’Institut Pasteur, nous rappelle qu’en tant que chercheuse, elle passe 99% de son temps à échouer, tandis que les 1% restants sont soumis aux critiques de ses pairs ! Curieuse de toutes nouveautés, ses activités associatives notamment en tant que co-présidente de Wax Science lui permettent de vivre ses succès dans d’autres champs que le travail. Son sens à elle, c’est un équilibre entre plusieurs vies.

“L’école, en particulier l’importance donnée aux notes, nous formate à attendre que le travail soit notre principal facteur de succès.”

Bertrand Macabéo, ancien PDG de Kompass et aujourd’hui consultant associatif, a également vécu des échecs. Au bout d’une trentaine d’années d’expériences dans des postes à responsabilités dans l’univers de la finance, il est du jour au lendemain mis à la porte. Il accepte alors de lâcher prise et d’accepter la vie comme un mouvement. Il partage alors ce coup dur avec d’autres, écoute les conseils, se repose sur les épaules de personnes de confiance. Tout comme Costanza, son sens à lui, ce sont les liens qui l’unisse aux autres.

Les dessinateurs de desseins.

Bertrand est admiratif de notre génération. “Vous voir ici me remplit d’optimisme” — nous dit-il, le regard brillant. Une génération qui se pose pleins de questions. Qui rêve de faire de sa vie une œuvre d’art. De danser de joie. Et qui, contrairement à ses prédécesseurs, voit la vie professionnelle comme un vaste champ des possibles.

Équilibristes, funambules, jongleurs, danseurs, à chacun son style. Cette soirée nous aura en tout cas donné l’occasion de mélanger nos disciplines, de confronter nos manières de les vivre, de partager nos apprentissages.

Jusque tard dans la nuit, les échanges se sont poursuivis. Nous repartons avec plus de questions que de réponses, mais surtout avec une furieuse envie de façonner la vie dont nous avons envie. Nous venons d’en déposer la première pierre.

Laura Dos Santos.

“Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve” Antoine de Saint Exupéry

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