Rifkin et l’entrepreneuriat coopératif

Sorbonne Junior Conseil
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4 min readFeb 27, 2016

Dans l’article précédent, j’avais présenté ce que Jeremy Rifkin entendait par « troisième révolution industrielle » (TRI). Cependant, j’avais surtout insisté sur l’aspect révolution énergétique. Vous étiez alors en droit de crier à la publicité mensongère : « salop ! elle est où l’industrie ? ». J’y viens mes agneaux, j’y viens !

En effet, « distribuée par nature, l’énergie renouvelable nécessite des mécanismes de gestion coopératifs et non hiérarchiques » (TRI, p. 166). Et voilà comment on passe à une économie coopérative, décentralisée, bref, à une nouvelle culture entrepreneuriale ! « Nouvelle » car Rifkin considère — et je ne lui donne pas tort — que la seconde ère industrielle est marquée par de grandes tendances (hiérarchie, rationalisation, concentration des capitaux) héritées du développement (qu’on peut analyser et circonscrire historiquement) des élites de l’énergie et des communications.

Je vous épargne le gros de l’analyse de Rifkin (par ailleurs tout à fait intéressante) et vous en donne les grandes lignes : puisque les énergies fossiles, qui fondent notre économie aujourd’hui, ne se trouvent pas partout et nécessitent des ressources importantes pour être exploitées, la structure des entreprises exploitantes est vouée à être gigantesque — donc hiérarchique. Et comme « l’infrastructure énergétique conditionne le reste de l’économie » (p. 156), elle encourage dans tous les secteurs des modèles semblables au sien.

D’autres facteurs entrent en ligne de compte, notamment le développement de nouveaux moyens de communication (chemins de fer, télégraphe, imprimé…). Ces processus devaient structurellement, sinon fatalement, conduire à un modèle hiérarchisé et centralisé d’entreprise : « en 1891, la Pennsylvania Railroad employait 110 000 ouvriers ; l’armée américaine n’avait alors que 39 492 hommes sous les drapeaux » (p. 157). Vous imaginerez sans trop de peine les efforts d’organisation qu’une telle foule d’employés nécessite (je renvoie ici aux travaux de D. Graeber et M. Crozier sur l’émergence de la bureaucratie)…

Les ambitions de ces entreprises avaient comme coût inévitable la rationalisation du travail (taylorisme, puis fordisme et toyotisme), la titrisation et l’intervention de l’État (pour le financement). En outre « les économies d’échelle verticales sont devenues le signe distinctif de l’ère industrielle naissante, et le gigantisme est devenu la norme ». J’arrête là le tir, je pense que vous voyez où Rifkin veut en venir.

Mais une telle époque est révolue, nous dit-il. Une part conséquente de la production industrielle va pouvoir être réalisée localement et à moindre coût par des imprimantes 3D (p. 168 sq.). Surtout, le tournant partiel des marchés aux réseaux est déjà en marche : pour preuve, le succès écrasant de Wikipédia face à Encyclopedia Universalis et autres modèles archaïques de distribution du savoir.

En effet, la mise en réseau des individus permet — le leitmotiv revient toujours — l’émergence du pouvoir latéral. Finie la « relation antagonique entre vendeurs et acheteurs », elle doit céder la place à « une relation coopérative entre fournisseurs et usagers » (p. 166).

« Certes, me direz-vous, mais il s’agit là d’un outil collaboratif, on ne parle pas vraiment d’entreprises lucratives, pour lesquelles ça ne marcherait pas ». Que nenni ! Outre les exemples ressassés d’Airbnb, Uber et consorts, Rifkin donne comme exemple de « la différence radicale entre les entreprises du modèle coopératif distribué et celles du modèle centralisé traditionnel des XIXe et XXe siècles » (p. 170), la startup Etsy. Un jeune diplômé de l’université de New York qui fabriquait des meubles artisanaux a créé avec une poignée d’amis un site Internet conçu pour mettre en contact des artisans du monde entier, de toutes spécialités, avec d’éventuels clients.

Rifkin relève trois conséquences tout à fait positives de cette expérience :

- le monde de l’artisanat s’est vu insuffler une vie nouvelle, grâce à ce qui s’apparente à un « salon d’exposition virtuel mondial » : les petits artisans peuvent accéder à un marché mondial pour un coût d’entrée pratiquement nul ;

- en remplaçant l’ensemble des intermédiaires par un réseau distribué de millions de personnes et en éliminant les coûts de transaction qui s’additionnait à toutes les étapes de la distribution, Etsy permet aux artisans de concurrencer les géants industriels, en tout cas de sortir la tête de l’eau ;

- enfin, Etsy établit des relations personnelles entre le vendeur et l’acheteur.

Ce genre de phénomène s’observe aussi quant aux financements, où le micro-crédit propose une alternative aux géants de la finance engendrés par le gigantisme de la deuxième révolution industrielle (souvenez-vous, le besoin d’apports énormes de capitaux), ou encore dans la floraison de l’entrepreneuriat social.

Pour Rifkin, la troisième révolution industrielle permet de sortir du capitalisme industriel et financier — dont on sent bien qu’il atteint ses limites — sans tomber pour autant dans un dirigisme soviétique. Là encore, les mots d’ordre sont « coopération », « distribution », « pouvoir latéral ». Nul doute que les startups que nous chérissons sont le fer de lance d’une telle révolution créative et visionnaire !

Louis de Bonnault, rédacteur chez Sorbonne Junior Conseil

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