L’incendie du datacenter d’Alexandrie
La bibliothèque d’Alexandrie est passée à la postérité pour son incendie destructeur et la question troublante qu’il pose : Combien de connaissances, peut-être irremplaçables, auront disparu à tout jamais ce jour-là ? En réalité, la célèbre catastrophe n’a sans doute jamais eu lieu. L’illustre bibliothèque a vraisemblablement connu plusieurs destructions. Elle aura donc également connu plusieurs renaissances, ce que l’on relève peu.
Si la bibliothèque d’Alexandrie mérite sa postérité c’est en fait pour de bien meilleures raisons. Implantée à la confluence des routes du monde méditerranéen, la bibliothèque a bénéficié d’une politique étonnamment sophistiquée d’accumulation systématique de documents. Jusque dans la mer Egée, des « courtiers » parcouraient les marchés, rapportant tous les textes susceptibles d’y être achetés. Tout navire accostant à Alexandrie était fouillé par des douaniers, tout texte trouvé immédiatement copié, l’original déposé à la bibliothèque, une copie restituée au capitaine[1].
C’était là une forme de dépôt légal, bien antérieure à sa création officielle par François 1er, bien plus encore que sa généralisation à la plupart des pays du monde après 1947, sous l’égide de l’Unesco.
Ce que suggère un dispositif aussi élaboré relève bien sûr de la décision politique et découle de la source de prestige et de pouvoir que représentent les bibliothèques et leur promesse de développement intellectuel et technique. Car plus encore qu’un symbole, une bibliothèque est un outil dont la forme est conditionnée par deux variables : la quantité de données conservée et le nombre de ses utilisateurs.
Le moyen-âge voit l’Europe se couvrir de petites bibliothèques, principalement situées dans des monastères. Il s’agit de lieux de conservation, réservés à une poignée d’érudits. Une large partie des connaissances antiques en ressortiront préservées pour alimenter la pensée de la « Renaissance ».[2] Avec Gutemberg et à sa suite, les bibliothèques grossissent en taille comme en quantité avec l’apport de bibliothèques privées, princières ou bourgeoises. Là encore le nombre d’utilisateurs demeure limité, dépassant peu le cercle de sociabilité de ses propriétaires.
Avec l’industrialisation de l’imprimerie, le XIXème siècle voit l’Europe et l’Amérique du nord inventer un nouveau modèle de bibliothèque. A l’architecture imposante, elles accueillent désormais des millions de volumes. Née en 1800, La bibliothèque du congrès aux Etats-Unis s’affirme rapidement comme la plus grande du monde avec, à ce jour, 138 millions de documents. Ces bibliothèques sont de formidables outils de recherche accueillant désormais un nombre considérable de visiteurs.
Avec la révolution digitale, quid de la bibliothèque de demain ? Elle reste à inventer. La multiplication des supports numériques, videos, audios, sans parler de la numérisation des fonds documentaires anciens, l’abolition de l’idée même de frontières dans l’univers multiforme et multilingue d’internet, les réseaux sociaux, sites, blogs, chats, sans parler de la multiplication des acteurs susceptibles de produire des données, acteurs privés comme publics : Etats, entreprises, individus, communautés…
Quelques questions amusantes en surgissent. Peut-on imaginer un personnage public léguer sa boîte mail à une bibliothèque comme autrefois il l’aurait fait de sa correspondance papier ? Qu’aurait eu à nous révéler la boîte mail de Voltaire ou celle de Balzac ?
Pour l’utilisateur, la bibliothèque de demain aura surtout le visage d’un outil, tablette ou autre, connecté à ce qui pourrait ressembler à la masse du savoir humain.
Confrontées à la compétition économique et au flux incessant de l’innovation, les entreprises sont concernées au premier chef par ces questionnements. Amenées à produire toujours plus de données et confrontées à leur conservation, à leur exploitation. Chaque entreprise est à sa façon une bibliothèque dont les collaborateurs sont les utilisateurs. Southpigalle pousse logiquement l’analyse jusqu’à considérer le collaborateur lui-même comme une source de données, constituant ainsi une partie du fond de la bibliothèque en même temps qu’il en est l’usager.
Cette analyse fonde notre définition de l’intelligence collective. Sauvegarder et structurer la connaissance de chacun au travers des échanges et de la collaboration au sein des équipes. Une constitution à la volée des savoirs de l’entreprise (Knowledge Management) venant s’intégrer au sein des plateformes d’échanges (Genius, e-Mail, Teams, Slack…) pour décupler les capacités d’accès à la bonne information au bon moment.
C’est aussi un levier unique de valorisation des différents types de savoirs, compétences et interactions entre les composantes d’une communauté, d’une équipe ou d’un groupe.
Ces nouvelles interactions sont également l’opportunité d’accéder à un apprentissage social (Social Learning) où la formation devient collaborative, continue et intégrée au sein de la donnée et du processus même du travail.
La forme prise par notre bibliothèque épouse les contours du cloud Azure fruit de notre partenariat avec Microsoft. Quant aux anciens catalogues et index, les technologies de langage naturel et d’Intelligence Artificielle nous permettent aujourd’hui de proposer les outils nécessaires à un accès simple et pertinent à l’information.
Notre réponse en somme à la remarque si pertinente d’un éminent connaisseur des bibliothèques et de leur histoire : « Il n’y a pas d’idées abstraites, il n’y a que des instruments permettant d’accéder à des textes, des représentations, des informations ».[3]
Past is prologue
[1] Un regard sur la Bibliothèque d’Alexandrie, Jean Sirinelli, Actes du 5ème colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer du 6 au 9 octobre 1994, Publications de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Année 1995, 5, pp. 82–93.
[2] Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel : Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Seuil, coll. « L’univers historique », 2008.
[3] Citation de Frédéric Barbier, Débat autour du livre de Frédéric Barbier “Histoire des bibliothèques : d’Alexandrie aux bibliothèques virtuelles”, cycle “Les Mardis de l’École des chartes”, le 6 octobre 2015 à l’École des chartes. https://www.youtube.com/watch?v=39Evtmj1cOA