Michaël Mention — L’interview

Elodie Baslé
Stéphane Marsan Éditeur
7 min readMay 23, 2018
Michael Mention © Olivier Gamas.

Bonjour, c’est Michaël Mention, je suis là pour vous parler de mon nouveau roman qui s’intitule Power !

Tu as sorti Power dans la collection Stéphane Marsan, est-ce que tu peux nous expliquer en quoi ça consiste en quelque mots ?

Disons que cela fait quelques années que je m’éloigne du polar strict : j’ai aussi écrit sur le sport, l’espionnage, j’ai fait une satire sur les médias… Ça fait deux ou trois ans que j’ai pris un peu mes distances avec les histoires policières strictes et pour connaître Stéphane depuis quelques années, — cela fait un moment qu’il parle de littérature générale. Quand je lui ai proposé Power, il m’a dit “oui, effectivement, on peut le mettre en polar, parce que c’est noir, qu’il y a des flingues et une intrigue… Mais en même temps, ton roman est à la fois sociologique, historique et culturel, c’est un roman général, donc littérature générale”. Moi ça me va : les étiquettes c’est important et ça n’est pas important. Je n’ai donc aucun problème avec ça : c’est un roman noir, de littérature générale, voilà.

Chacun des ouvrages de la collection a un espèce de détonateur social. Le tien, ce sont les Black Panthers. C’est un sujet qui te tenait à cœur, ou quelque chose que tu as découvert sur le tard en te disant “tiens, il y a quelque chose à faire” ?

Tous les sujets que j’aborde me tiennent à cœur — je en suis pas le seul, évidemment, n’importe quel écrivain vous dira ça-. Là c’est une époque qui me tient à cœur tout comme le combat des Black Panthers, parce que je le trouve universel.

C’est vrai que ça parle de la condition des Afros-Américains aux États-Unis dans les années 60–70, mais pour moi, toutes les formes de rejet quelqu’elles soient méritent une mobilisation. Donc j’ai écrit Power en ayant ce souci de rendre le récit contemporain, comme je le fais toujours quand j’écris sur le passé. J’avais fait ça quand

j’écrivais La Voix secrète, qui se passe au XIXè siècle. J’essaie toujours de donner une coloration contemporaine de manière à ce que ça parle au lecteur d’aujourd’hui, tout en lui évoquant une réalité passée. Là c’est pareil, par rapport aux Black Panthers, même si biensûr on en est plus, heureusement, à lâcher des chiens sur des noirs où à les lyncher… Même si ça revient aux États-Unis de plus en plus, malheureusement. J’ai vraiment essayé de rendre ce récit universel et d’ailleurs je suis très content de ça : les premiers retours de lecteurs me disent que ça parle d’eux, mais aussi de tout le monde. Qu’ils soient juifs, noirs, chômeurs, gays…

Ce que la plupart des gens veulent, c’est qu’on arrête de les faire chier, qu’on les laisse bosser tranquillement et qu’on les laisse payer leur loyer en paix. En ça, Power est un sujet en or qui me permettait de traiter le passé et le présent.

Justement, tu as parlé de l’actualité : l’histoire à une furieuse tendance à se répéter, on est réellement en train d’y revenir. On voit le nombre de noirs qui meurent sous les coups de la police aux États-Unis. Est-ce que c’est un hasard, une coïncidence que tu te sois penché là-dessus exactement au moment où Trump arrive et où les violence policières sont de plus en plus fortes ?

C’est un pur hasard, mais de toute façon, c’est comme quand on parle d’une renaissance de l’antisémitisme. Comme si c’était une maladie qui avait été là pendant longtemps, qui avait disparue et qui revient… Non, ça n’est pas ça !

Je pense que par exemple, l’histoire des Etats-Unis c’est l’histoire avant tout d’une division qui est toujours latente, on le voit bien, quelque soient les présidents, quelque soient les événements, il y a toujours eu 2 Amériques. Je ne suis pas historien, sociologue, ni politologue, mais il se trouve qu’il y a un durcissement géopolitique. On voit bien que les extrêmes s’affirment de plus en plus. Ils ne réapparaissent pas, ils s’affirment de plus en plus : en Europe, en France, aux États-Unis… On parle beaucoup de populisme, mais c’est vrai ! Donc non, c’est une coïncidence malheureuse.

Parlons un peu plus du livre : si tu devais te replonger dans Power, quel est le passage dont tu es le plus fier et quel est celui que tu changerais ?

Dans Power, il y en a beaucoup… Si je devais en choisir un… Et en plus, il ne faut pas spoiler ..!

L’un des chapitre auquel je suis très attaché, et qui m’a un peu coûté émotionnellement, (sans faire l’acteur qui a un rôle difficile et qui a du mal à s’en sortir), mais c’est vrai que sur le moment, je n’étais pas bien.

C’est le chapitre où Neil, le personnage de flic blanc à Los Angeles est contraint d’embarquer un gamin à l’arrière de sa bagnole pour que son coéquipier raciste le lâche dans un quartier, dans lequel on sait que le gamin se fera taper dessus. Parce que c’était une méthode utilisée par les flics racistes de l’époque, ceux qui soutenaient l’action du F.B.I.

C’est un chapitre qui est très important pour moi, qui est très casse-gueule aussi parce que dès qu’il y a des gamins, dans un chapitre…

Qu’il y ait un enfant ou qu’il y ait du cul, c’est souvent deux axes narratifs qui sont très difficiles à gérer parce qu’on peut soit tomber dans la démonstration métaphorique à deux balles, quand on écrit du cul, soit on devient vite gnangnan quand on parle des enfants.

L’autre question, sur ce que je changerais ? Rien. Vraiment, rien du tout.

Comme pour mes précédents bouquins. Et ça ne veut pas dire que je ne suis pas critique envers moi-même, je suis même plutôt sévère, mais Power cristallise tellement ce que j’écris depuis 2001, c’est mon dixième roman donc… Je n’aurai pas pu l’écrire si je n’avais pas écrit ma trilogie chez Rivages, si je n’avais pas fait Fils de Sam, la Vie Secrète, Cotton’s Warewick… C’est vraiment un aboutissement personnel, je l’ai senti dans ma manière d’écrire, dans le rythme, le dégraissage du texte : il y a beaucoup moins de choses inutiles. Il y aura forcément des détracteurs et des gens qui n’aimaient pas ce que j’écrivais il y a 5 ans et qui détesteront celui-là encore plus. Mais en tous cas, je sais que ce roman est pour ceux qui me suivent depuis 10 ans, parce que je l’ai énormément, énormément travaillé. Seul, avec Stéphane, avec Aurélie, page par page, et je suis vraiment très très satisfait du rendu final.

Dernière question sur le livre : quand on pense à Michaël Mention, on pense également à musique, notamment, aux playlists. Le sujet de Power se situe dans une période ultra faste de musique américaine, c’est très dense. Est-ce que, comme Tarantino, c’est la musique qui t’inspire l’écriture, ou est-ce l’inverse ?

C’est vraiment un mélange. Il y a quelque chose sur quoi je ne peux pas revenir mais qui est une frustration que je garderai à vie, c’est que paradoxalement, le pic du funk qui me plait le plus, c’est 73–74. Or je n’ai pas pu en parler parce qu’à ce moment là, le mouvement des Black Panthers était déjà sur la fin et récupéré. Ça fait qu’il y a pas mal de morceaux de musique que je n’ai pas pu caser dans le livre. J’ai beaucoup écouté notamment certaines B.O de films d’Isaac Hayes, juste avant qu’il ne se mette à faire de la merde. Des morceaux où il a une basse qui est très en avant , et pour moi qui suis batteur, dans une batterie qui se joue beaucoup sur le charley et puis au niveau des arrangements il y a des trucs fabuleux. Je n’ai pas pu en parler.

Par contre, certain morceaux on vraiment dicté une manière d’écrire : notamment ce passage où les Black Panthers sont chassées de leur hôtel par d’autres (no spoiler), et j’imaginais ce passage très cinématographique avec la confrontation. Ils se fixent tous, sous les flocons de neige qui tombent et qui s’électrisent un petit peu pour signifier la tension entre les deux groupes. On est pas dans la neige mais sur un morceau d’Isaac Hayes qui est le thème de Truck Turner qui est un très mauvais film pour lequel il a fait une excellente musique.

La musique me dicte souvent un rythme, une manière, des images. C’est très sensoriel la musique, tout de suite en pensant à quelque chose on imagine un couloir, une lumière rouge, des palpitations, une résonance de pas… Je fonctionne beaucoup en musique.

Et pour la suite ? Quels sont tes prochains projets ?

Le prochain est chez 10–18 dans la collection Grands Détectives, un livre qui sera très différent de La Voix secrète, qui sera protéiforme; à la fois très personnel, grave, drôle et avec beaucoup d’action, très court et très frénétique. Il sera pour l’année prochaine. Et là je suis déjà sur 2020 ! Je suis soit dans le passé, soit dans le futur quand j’écris; j’ai un peu de mal avec le présent. Heureusement que je suis papa, ça m’y oblige un peu . Et j’écris aussi le prochain livre pour Stéphane.

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