monmecanicien.fr: comment 2 amis cravachent depuis 2 ans pour réinventer la relation garagistes / automobilistes
Samir a 24 ans. Toute son enfance, il a vu son père serrer des boulons, changer des filtres, faire des vidanges, nettoyer des bougies… D’abord dans une concession puis à son propre compte, Ali a exercé le métier de garagiste avec passion pendant 40 ans.
Avec le garage installé à leur domicile en Seine-et-Marne, les journées commençaient tôt, finissaient tard et payaient finalement peu par rapport au temps passé. Père et fils échangent de temps en temps sur ce quotidien intense. Ali confie à Samir ne pas comprendre où tout ce temps passe. Chaque tache prise séparément ne demande pourtant pas tant de temps que ça… De toute manière, il n’a justement pas le temps de prendre le recul nécessaire pour comprendre et analyser. Les clients ont besoin de leur voiture réparée et prête à rouler. Rapidement.
Contrairement à son père, la mécanique ne fait pas vraiment vibrer Samir. Mais assez vite, il développe un intérêt pour la gestion. Comment pourrait-il améliorer le quotidien de son père afin qu’il puisse se concentre sur son coeur de métier, sa passion : la réparation automobile ?
Après avoir observé son père exercer sa passion pendant plusieurs années, il fait un constat surprenant et décisif : les taches hors coeur de métier représentent 30 à 40% de son quotidien. Oui, un appel téléphonique ne dure que 2 ou 3 minutes. Mais quand le téléphone sonne, il faut arrêter de travailler sur le véhicule, répondre, renseigner, prendre rendez-vous, contacter le fournisseur de pièces, faire un devis, commander les pièces après acceptation du devis… Beaucoup trop de taches éloignent le garagiste de son coeur de métier : la réparation automobile. Pourtant elles sont indispensables pour faire tourner la boutique : standard téléphonique, devis, facturation, comptabilité… Que faire ?
Le Wagon et la rencontre avec Hugo
Inconsciemment pendant toutes ces années à observer son père, l’idée se forme dans la tête de Samir. Il ne veut pas reprendre le garage familial mais il aimerait développer une solution pour aider les garagistes dans leur quotidien, sans savoir précisément quoi. Sa seule certitude : il doit se former au code. Il intègre Le Wagon à Paris, une école qui apporte une formation de développeur web en 9 semaines. Il se spécialise sur Ruby on Rails. Pendant qu’il apprend à coder, il regarde beaucoup ce que font les autres sites et plus particulièrement dans le milieu de la réparation automobile. Il découvre https://www.yourmechanic.com qui met en relation des clients avec des mécaniciens mobiles (ils viennent réparer le véhicule au domicile du client). Cette idée l’enthousiasme. Après quelques recherches sur le web, il se rend compte qu’aucune plateforme ne propose cela en France. Chaque élève du Wagon doit travailler sur un projet personnel. Samir décide de plancher la dessus pour développer ce service en France. C’est une bonne occasion !
En avril 2015, il pitche son projet au sein du bootcamp. Hugo, qui fait partie de la même promotion, adore le concept. Sa famille travaille également dans l’automobile, dans le recyclage plus précisément. Il a une bonne connaissance de ce monde et très vite l’idée de Samir fait écho chez lui. Il a très tôt une vision claire du marché et de la tache qui les attend comme en témoigne ses propres mots : « Le marché potentiel est énorme et peu inexploré par les start-ups car pas très sexy. C’est un marché avec beaucoup d’inertie, changer les habitudes nécessitera du temps et de la sueur. Mais ce qui est sûr c’est que le manque de transparence sur ce marché peut être comblé par des solutions digitales telles qu’une marketplace. »
Un vrai coup de coeur professionnel vient de se créer. Ils décident donc de s’associer et de lancer cette marketplace autour des mécaniciens mobiles. L’aventure monmécanicien.fr peut commencer.
À la rencontre des automobilistes et des garagistes
Fin août 2015, la formation terminée et avant de se lancer directement, ils décident d’aller sonder réparateurs et les automobilistes pour comprendre leurs besoins. Certes leurs familles évoluent dans ce monde là, mais ils savent qu’ils doivent recueillir plus d’avis pour bien appréhender leurs difficultés. Ils rencontrent une quinzaine de mécaniciens et envoient 250 questionnaires à leur réseau plus large, propriétaires de voiture. Les constats sont nets :
- Il existe un fort déficit de confiance entre le garagiste et l’automobiliste. Les clients ont la plupart du temps l’impression de se faire arnaquer. Ce sentiment est encore plus fort chez les femmes.
- De plus en plus d’automobilistes font leurs recherches sur internet. Elles essayent de trouver des prix et des infos sur le net avant même d’aller voir un garagiste. Mais il existe très peu d’informations fiables.
- Deux grandes habitudes de consommation se dégagent mais
- Pour les petites réparations d’entretien comme les vidanges, changement plaquettes de frein, pneus… les automobilistes se tournent vers les franchises type Midas, Norauto ou Feu Vert. Elles jouent sur la quantité, leur permettant ainsi de proposer des prix très attractifs.
- Pour les réparations plus lourdes, les automobilistes interrogent, en premier lieu, les franchises qui répondent la plupart du temps avec un devis élevé. Elles préfèrent se concentrer sur les petites réparations pour faire du volume. Elles sont généralistes, pas spécialistes. L’automobiliste se tourne alors vers le garagiste indépendant qui va prendre le temps de regarder, isoler le problème et proposer un devis, en général, moins cher.
- Le prix est à chaque fois le facteur de choix numéro 1
Samir résume : « Quand tu parles avec un automobiliste, il te dit qu’il n’a plus confiance et que ça l’angoisse de faire réparer sa voiture, et quand tu parles avec un garagiste, il te dit qu’il perd un temps fou au quotidien et qu’il a du mal à se concentrer sur son métier… C’est là que tu te dis qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond ! »
Car en effet, si les automobilistes on perdu confiance en leur garagiste, ces derniers, eux, se méfient d’internet qu’ils considèrent comme un néfaste à leur activité. Hugo raconte : « Durant l’enquête terrain et après avoir rencontré des garagistes, nous avons rapidement compris qu’ils considéraient Internet comme une menace. Notre objectif maintenant est de leur présenter Internet comme une véritable opportunité de business. »
Première version et premiers doutes
Forts de ces différents constats, Samir et Hugo lancent rapidement une première version du site le 12 octobre 2015. Objectif : mettre en relation des automobilistes avec des mécaniciens mobiles. Le développement rapide de cette V1 est très important pour les deux fondateurs car elle va leur permettre de confronter tout ce qu’ils ont en tête depuis le début, à la réalité du marché. Avec un peu de recul, Samir analyse : « on se rend compte qu’avoir la compétence technique en interne a été une vraie valeur ajouté au projet. Pouvoir modifier dans l’heure des remarques/bugs remontés par nos clients, ça n’a pas de prix ! C’était assez excitant pour nous de construire un produit à partir de rien et de voir qu’il était utilisé et qu’il plaisait, non seulement autour de nous mais également auprès des nouveaux utilisateurs sur la plateforme. »
Le premier réparateur à intégrer la plateforme n’est autre qu’Ali, le père de Samir qui depuis le premier jour, croit au projet de son fils. 10 jours plus tard, le premier rendez-vous est pris via la plateforme.
Samir raconte : « je m’en souviens parfaitement, c’était le 22 octobre, le jour de l’anniversaire d’Hugo. Une dame que nous ne connaissions pas, qui n’était ni un membre de notre famille, ni une amie, a pris rendez-vous avec un mécanicien pour la révision et la vidange de sa voiture. C’était un devis à 160€. Elle a payé en ligne. Nous avons tous les deux ressentis une émotion forte car une personne venait d’utiliser le service que nous avions développé. »
Les premiers rendez-vous commencent à s’enchainer. Ils décident donc d’intégrer quelques mécaniciens mobiles supplémentaires sur la plateforme pour absorber la demande : « nous étions très bien reçus par ces réparateurs car nous ne leur vendions pas d’abonnement. Nous leur apportions des clients, faisions le devis et prenions simplement une commission sur la vente. Ca leur permettait de remplir leur emploi du temps pour qu’ils puissent se concentrer uniquement sur leur coeur de métier. »
Mais après quelques mois d’activités et une centaine de rendez-vous pris à travers la plateforme, plusieurs constats viennent entacher les premières intuitions des deux cofondateurs :
- Le marché français n’est pas le marché américain. Le territoire est beaucoup plus petit et il y a beaucoup moins de réparateurs mobiles.
- La météo n’est pas toujours bonne. Les réparateurs mobiles travaillent la plupart du temps dans le jardin de l’automobiliste. En cas de pluie, ils ne peuvent pas intervenir.
- Beaucoup d’automobilistes font appel à leur service mais ne possèdent ni place de parking, ni garage, ni jardin… Les mécaniciens mobiles n’ont pas le droit de travailler dans la rue et ne peuvent donc pas accepter ce type de demande.
Chaque client passé par la plateforme a reçu un petit questionnaire après la réparation pour connaitre son niveau de satisfaction mais également pour comprendre les motivations qui l’ont poussé à passer par monmécanicien. Les résultats sont clairs et nets : bien plus qu’un réparateur mobile, les automobilistes recherchent un réparateur de confiance. Le déficit de confiance est le coeur même du problème.
Le calcul qui confirme leur intuition
Environ 6 mois après le lancement de la première version, Samir et Hugo opèrent leur premier pivot. Ils prennent la décision d’ouvrir la plateforme aux garagistes physiques. Deux solutions s’offrent à eux. Jouer la carte de la quantité en allant sur les Pages Jaunes et en intégrant tous les garagistes qui y sont recensés. Ou bien jouer la carte de la qualité en sélectionnant les meilleurs réparateurs. Le point de friction étant la confiance entre garagistes et automobilistes, ils n’hésitent pas une seule seconde et optent pour cette deuxième solution.
Depuis l’appart de Hugo à Saint-Michel où ils travaillent 7 jours sur 7, ils contactent plusieurs garages. Ils se rendent dans les garages pour regarder, discuter et vérifier plusieurs critères :
- diplôme
- années d’expérience
- outillage
- ressenti
Ils regroupent une dizaine de garagistes en Île de France qu’ils testent pendant 1 mois. Avec la plateforme, ils leur apportent des rendez-vous. Après chaque réparation, Samir et Hugo appellent le client pour recueillir ses impressions sur le service. Si le garagiste remplit parfaitement tous les critères, ils l’ajoutent réellement sur la plateforme.
Le père de Samir, avec ses 40 années d’expérience joue un rôle fondamental à ce moment là et aide les deux cofondateurs à faire les bons choix. Samir témoigne : « mon père croit en ce projet depuis le départ. Il m’a toujours dit de foncer car il était persuadé qu’il y avait quelque chose à faire. Il a été le premier mécanicien sur la plateforme. Il utilisait le service tous les jours, adorait recevoir des SMS pour confirmer un rendez-vous… Un jour nous avons fait un calcul ensemble. Le temps que lui faisait gagner le service monmécanicien lui permettait d’augmenter son CA d’environ 3 000 € par mois. Nous tenions quelque chose ! »
Ce calcul se confirme avec les autres réparateurs présents sur la plateforme. Monmécanicien permet aux garagistes de ce concentrer sur leur coeur de métier et donc de traiter plus de clients par jour. Mais, il permet aussi de combler les heures creuses dans la journée grâce au calendrier en ligne. Ce qui est important quand on lance une marketplace c’est la liquidité. Samir et Hugo l’ont parfaitement compris. Il vaut mieux peu de garagistes avec un agenda bien rempli que beaucoup de garagistes avec peu d’activité sinon la déception sera forte du côté des mécaniciens.
Première croissance
À partir de l’été 2016, la marketplace reçoit de plus en plus de demandes. Le contenu qu’ils ont produit, et que recherchent les automobilistes, leur apporte un bon référencement naturel. Ils comptabilisent, à cette époque, entre 1 000 et 2 000 visiteurs par jour. L’activité reste malgré tout assez faible : environ 20 clients par semaine. Le panier moyen est de 300 €. La croissance commence à frémir mais il reste beaucoup de choses à accomplir. La mission est double :
- côté client : ramener de la confiance envers les garagistes
- côté mécanicien : améliorer la gestion quotidienne de leur garage pour qu’ils puissent se concentrer sur leur coeur de métier.
Le nombre de visiteurs augmentent régulièrement. Les appels téléphoniques sont de plus en plus nombreux. Ils ne peuvent plus se permettre de travailler dans l’appart d’Hugo ou au Starbuck. Ils ont besoin d’un bureau. Ils réussissent à trouver un bureau à Gennevilliers, un entrepôt avec des bureaux qui ne servent pas. Le propriétaire ne leur fait rien payer. C’est une véritable aubaine pour eux. « ces premiers bureaux nous ont permis d’être beaucoup plus productifs. » se rappelle Samir.
Pendant le deuxième semestre 2016, ils se déplacent et discutent beaucoup avec les réparateurs. Le quotidien des mécaniciens est difficile. En dehors des rendez-vous pris à travers la plateforme monmécanicien.fr, ils continuent de gérer leur propre flux de demandes. Ils perdent beaucoup de temps et d’énergie avec tous les outils de gestion : un outil pour les devis, un outil pour gérer le calendrier, un outil pour les commandes, un outil pour la facturation… quand ils ont des outils. Hugo et Samir comprennent qu’ils peuvent apporter un autre service aux garagistes s’ils développent un outil SaaS qui les aiderait dans la gestion du quotidien.
En tant que CTO, Samir se penche sur le problème et réussit à sortir une version bêta en mai 2017. Cette première version de l’outil SaaS apporte aux garagistes :
- Un outil de gestion d’atelier
- Un calendrier de rendez-vous
- Un outil de CRM
- Un outil de facturation
Ils construisent cet outil SaaS en collaboration étroite avec un de leurs garages partenaires pour que l’outil réponde à un réel besoin. Samir explique : « C’est la difficulté dans le développement d’un outil de ce genre : les processus de développement sont différents. On ne peut pas se dire qu’on va complètement changer notre outil toutes les 2 semaines, autrement les garagistes auraient beaucoup de mal à le prendre en main. Il faut avoir une base de travail solide (ce que nous avons aujourd’hui en bêta) puis venir incrémenter des améliorations petit à petit, sans bousculer les habitudes que prendront les utilisateurs. » Travailler en collaboration avec des garages fait toute la différence pour eux. Ils apprennent énormément et la plupart des fonctionnalités qu’ils développent proviennent des suggestions de garagistes ! Hugo se souvient : « Par exemple, c’est le réceptionniste atelier de l’un de nos garages partenaires qui nous a suggéré de créer des statuts à attribuer à chaque rendez-vous : Véhicule dans l’atelier / Pièces commandées / Intervention terminée / etc. Concernant les fonctionnalités, on a décidé de créer un véritable assistant virtuel pour la réparateur. Ça passe évidemment par la gestion du calendrier + un outil CRM + facturation, etc. mais également par de véritables innovations comme un outil d’entretien prédictif ou de statistiques assez poussées. »
La version bêta est toujours en phase de test pour le moment.
Fin 2016, ils décident de changer une nouvelle fois de bureaux. « On perdait beaucoup trop de temps dans les transports ». Avec le CA qui commence à rentrer, ils louent un petit bureau dans le 12ème arrondissement de Paris.
Une décision difficile mais indispensable
Au début de l’année 2017, la site enregistre environ 7000 visiteurs par jour. Les demandes de devis affluent : « nous passions nos journées à faire des devis avec Hugo. Nous n’avions absolument plus le temps de faire autre chose. Les ventes augmentaient sensiblement mais on sentait bien qu’il y avait un gros travail à faire pour améliorer le taux de conversion. Malheureusement avec le flux de demandes à traiter, nous n’avions pas la possibilité de prendre du recul pour comprendre ce qui dissuadait les visiteurs de passer à l’étape du rendez-vous. »
Ils prennent une décision difficile. Alors que le chiffre d’affaires commence a grossir, ils décident de mettre l’activité commerciale en pause pour développer un outil de production automatique de devis. Samir se livre : « ça n’a pas été une décision simple car monmécanicien.fr avait déjà une belle activité. Nous avons quitté notre bureau. Nous sommes retournés vivre chez nos parents respectifs. Les allocations chômage que nous touchons ne nous ont pas laissé le choix. Nous savons pourquoi nous faisons cela et si nous réussissons à craquer ce problème, nous pourrons alors scaler et croître rapidement. La demande est là. C’est une certitude. Il nous faut maintenant construire les bons outils pour l’accompagner. »
En s’attaquant au développement de cet outil, ils ne s’attendaient pas à rencontrer autant de problèmes. Beaucoup de paramètres sont à prendre en compte pour établir les devis :
- Main d’oeuvre :
- taux horaire du garagiste
- temps barêmé c’est à dire le temps nécessaire pour une opération. Cette donnée est définie par le constructeur automobile.
- Pièces détachées :
- il faut réussir à identifier la bonne pièce pour le bon véhicule et donc la bonne référence. Mais les constructeurs automobiles brouillent les pistes pour conserver la main mise sur les réparations. Pour un même véhicule, de la même année de la même usine une pièce peut avoir plusieurs références.
« C’est un véritable casse-tête chinois, mais nous sommes en train d’y arriver. Ca a été un travail de titan 7 jours sur 7, le jour, la nuit. Si on m’avait expliqué ça au départ, je crois que je ne l’aurais pas fait. Quoi que… Je crois sincèrement que ce qui nous fait tenir, c’est cette entente que nous avons développée avec Hugo. Nous sommes vraiment sur la même longueur d’ondes et nous avons, tous les deux, beaucoup d’ambition pour monmécanicien. Les barrières à l’entrée de ce marché sont énormes et nous sommes en train de les passer. ». Samir.
Après 6 mois de développement intense, les deux fondateurs relancent l’activité commerciale avec leurs nouveaux outils à la fin du mois d’octobre. Les espérances sont grandes et ils préparent une levée de fonds pour soutenir cette ambition.
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