A-t-on besoin d’écrire du code pour faire du chiffre ?

Alexis Arragon est un CTO pas comme les autres: l’infrastructure technique de sa startup, EVER, consiste à connecter des logiciels existants entre eux, et il ne gère donc aucun développement logiciel ! Dans cette interview, il nous explique ce choix.

Adrien Joly
Startup Tour
9 min readSep 14, 2017

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Alexis Arragon, cofondateur de EVER. Photo: Clémentine Gras

Salut Alexis ! Tu veux bien te présenter ? Toi, et les grandes lignes de ton parcours ?

Alexis: Je suis un grand garçon curieux qui a grandi dans les années 80/ 90. Aujourd’hui je suis le CTO de ma propre boite, chose qui m’aurait sans doute paru impossible à l’époque ! J’ai grandi à l’époque des pubs Nintendo et Sega à la télé, du Top 50 aussi. À 15 ans, j’ai commencé à apprendre l’assembleur pour faire des jeux et plus tard je suis rentré à l’EPITA pour en faire mon métier. Mais le côté codeur de génie ne m’a jamais attiré, et je m’intéressais plus souvent au pourquoi qu’au comment.

Un jour, le patron de la première boîte où j’avais bossé (Darkworks, un fameux studio de jeu des années 2000) m’a proposé une opportunité complètement dingue : prendre en charge des projets de R&D et abandonner le code. J’ai dit oui. J’ai fini par gérer toute la partie middleware de la société, et rencontrer les plus gros studios de jeu au monde. J’ai compris tout l’envers du décor : pourquoi un projet — quel qu’il soit — se monte, comment jauger les risques de sa réalisation, et surtout, comment vendre une idée nouvelle.

J’ai eu beaucoup d’expériences professionnelles différentes par la suite, sans jamais trouver quelque chose qui me convenait parfaitement. Alors c’était sans doute logique que je finisse par construire moi-même le rôle qui allait me convenir parfaitement chez EVER.

Dis m’en plus sur ta startup: EVER. Quelle est votre cible ? Quelle est votre proposition de valeur ? À quelle étape en êtes-vous ?

Alexis: EVER, c’est le portrait contemporain au naturel : une séance photo avec un professionnel, en extérieur. Tout le monde comprend l’impact que peut avoir une belle photo : aussi bien sur les réseaux sociaux que sur un CV ou même encadrée à la maison ! Et pour nous, une belle photo, c’est une photo qui ressemble à son sujet.

Nos clients, ce sont les personnes qui pensent ne pas être photogénique (quasiment 9 personnes sur 10, faites le test) : on leur propose une séance d’une heure, offerte avec les conseils du photographe pour bien poser. Ensuite, libre à eux de choisir les photos à acheter. L’effet “wow” est au rendez-vous et ça fonctionne : vous ne vous êtes jamais vu comme ça.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de monter EVER ?

Alexis: En marge de l’EPITA, j’ai cultivé ma passion pour l’image, et pour la photo en particulier. J’ai une personnalité plutôt “visuelle”, et faire des photos — et les montrer — est devenu un moyen d’expression. Pendant longtemps je me suis demandé s’il existait un moyen de faire le pont entre mes connaissances techniques et la pratique de la photo…

Côté pro, trouver ma place était parfois compliqué : j’ai une compétence technique et business, je peux intervenir sur un spectre de sujets très large, et en plus je commençais à m’intéresser au Lean et l’idée de démarrer un nouveau projet me trottait dans la tête. Pas facile à contenir, toutes ces énergies dans un job “classique”. Un jour, j’ai reçu une demande LinkedIn venant de Laurent (CEO d’EVER) : il avait un projet et voulait rencontrer des gens potentiellement intéressés pour le rejoindre. Ça a tout de suite fait clic. Quelques mois plus tard je quittais mon job et je m’associais à lui et à deux autres inconnus pour monter la structure. C’est plutôt fou quand j’y repense. Mais ça a fonctionné !

Quel est ton rôle / tes responsabilités au sein de l’équipe d’EVER ?

Alexis: On a démarré day 1 avec des clients, donc les premiers temps ont été consacrés à l’opérationnel : assurer les séances photos, chercher des nouveaux clients, des nouveaux photographes, la croissance la croissance. Et puis, petit à petit, chacun s’est spécialisé. Assez naturellement, j’ai hérité du rôle de CTO (la fameuse étiquette ingénieur en informatique !), même si, dans les faits, chacun a un rôle qui va bien au-delà du titre.

Je suis donc responsable de la partie infrastructure de EVER, du bon fonctionnement de la machine qui traite automatiquement chaque nouvelle réservation. Je me considère plutôt un CTO produit qu’un CTO technique, et mon rôle est indissociable de celui de mes associés : on est très complémentaires.

Alexis, en pleine réunion d’équipe EVER

Quelle infrastructure technique as-tu mise en place au sein d’EVER ?

Alexis: Parce que nous avons toujours eu des clients à satisfaire, et que nous n’avions pas une grosse force de frappe technique (sous-entendu, pas de codeurs), on a un parti-pris très différent : le strict minimum de développement en propre, pas de dette de code, et des API SaaS automatisées grâce à des outils comme Zapier. Il parait que ça a un nom : serverless ;-)

Pourquoi as-tu décidé d’utiliser des services tiers au lieu de développer une solution propre ?

Alexis: Un de mes talks préférés est celui de Bret Victor, “The Future of Programming”, qui date de 2013. C’est assez saisissant. Je ne voudrais pas gâcher le plaisir de ceux qui ne l’ont pas encore entendu, mais pour résumer, son point est que les langages de programmation ont été bridés — pour différentes raisons — et qu’on fait avec la même chose depuis 40 ans. C’est un peu comme quand Steve Jobs comparait l’ordinateur au vélo de l’esprit. Bien sûr, on développe des choses bien plus complexes, mais fondamentalement peu de choses ont changé quand on tape des lignes de code. L’outil informatique est devenu une commodité, mais une commodité sous-exploitée.

Un des talks préférés d’Alexis: “The Future of Programming”, par Bret Victor (2013)

Et puis il y a toute la tendance Lean. Au-delà du fameux Lean Startup d’Eric Ries, ce qui a été réalisé dans l’industrie grâce au Lean est assez incroyable. Faire du Lean quand on en est au MVP de sa startup, c’est relativement trivial. Avoir la même démarche quand on construit des voitures, c’est une autre histoire !

En ce qui me concerne, le résultat final m’intéresse plus que les moyens employés pour y arriver. Les rouages internes et les technos employées, c’est le pur plaisir de l’initié, de l’expert. Mais si le résultat n’est pas probant, ça ne sert à rien, ni à personne. Aucun intérêt.

Il y a un parallèle intéressant avec la photo ici : il y a ceux qui s’intéressent au matériel employé pour une photo, et il y a ceux qui ne s’intéressent qu’au résultat : la photo produite comme le produit réalisé.

Il existe une API pour tout, ou presque. […] C’est l’occasion parfaite pour ne plus faire les choses comme avant.

L’apparition du SaaS a bouleversé l’écosystème du software, bien plus fortement que les applications mobiles (les deux sont très liés). Il existe une API pour tout, ou presque. Plus personne ne lève des fonds pour acheter plus de serveurs (physiques), et les prix des abonnements ont chuté dramatiquement. C’est l’occasion parfaite pour ne plus faire les choses comme avant. Pourquoi commencer par développer un produit de A à Z ? Pourquoi même écrire du code ?

Je crois dans la fin du code (au sens où on l’enseigne dans les écoles). Je pense que ça arrivera. D’ailleurs, c’est déjà là, nous en sommes la preuve. Et ça n’est pas la question de combien de lignes de code j’ai tapé le mois dernier, c’est un état d’esprit : est-ce que la valeur ajoutée de mon produit, de mon service, réside dans le code que j’écris, ou est-ce qu’elle réside ailleurs ?

Quels avantages pour EVER et ses clients ?

Alexis: On a fait ce choix parce que cela nous permettait d’avoir le produit qu’on voulait très rapidement, à moindre frais (humain en particulier). Bien sûr, tout n’était pas entièrement automatisé au départ, mais chaque module, chaque élément de l’expérience client pouvait être remplacé par un produit plus performant. Le module de prise de réservation ne tient plus la charge ? Notre galerie en ligne ne supporte pas Stripe ? On trouve un équivalent qui va venir s’intercaler dans notre workflow et c’est reparti. C’est très fidèle au Lean : on identifie un objectif, et on s’organise en conséquence pour l’atteindre, quitte à entreprendre des changements importants.

L’utilisation de produits tiers est une sacré garantie : on s’évite de la maintenance technique, et en cas de problème, le support de chaque outil est suffisamment réactif.

Le premier avantage de ce choix, c’est de permettre un focus sur les vraies questions : product/ market fit, acquisition, rentabilité, sans se soucier des bugs, de la stabilité, de la performance… Et l’utilisation de produits tiers est une sacré garantie : on s’évite de la maintenance technique, et en cas de problème, le support de chaque outil est suffisamment réactif.

Pour nos clients, les avantages sont peut-être moins visibles, mais pour nos photographes, ça veut dire utiliser des outils qu’ils connaissent déjà (notre process de réservation est entièrement intégré avec Google Calendar par exemple) et donc une learning curve abordable par le plus grand nombre.

Si tu pouvais remonter le temps, au moment de la création d’EVER, qu’aurais-tu changé dans ta manière de procéder et/ou décisions ?

Alexis: Rien ! On ne peut pas décorréler un choix de son contexte, et je crois qu’on a pris les bonnes décisions aux bons moments.

Si j’étais sur le point de créer ma startup, dans quel cas tu me conseillerais de partir sur un développement propre, ou sur une infra à base de SaaS comme EVER ?

Alexis: Je comprends l’attrait que peut avoir la feuille blanche. Et puis il y a des sujets où il est obligatoire de taper frénétiquement des lignes de code pour innover. Mais je crois que la majorité des problématiques peuvent se résoudre avec une infra en SaaS. Donc oui, je te conseillerai de faire comme nous :-)

Il y a de grandes chances que ce bout de code […] ait déjà été écrit par quelqu’un d’autre, ou qu’un service te permette de l’exécuter en échange d’une modique somme.

C’est aussi un moyen de ne pas tomber dans l’autosatisfaction du code pour le code. Si on respecte les principes Lean, l’objectif est toujours de supprimer le risque majeur : est-ce que le risque majeur de ton business, c’est de pouvoir écrire ce bout de code qui fasse A et B ? Parce qu’il y a de grandes chances que ce bout de code existe déjà, qu’il ait déjà été écrit par quelqu’un d’autre, ou qu’un service te permette de l’exécuter en échange d’une modique somme.

Donc la clé serait plutôt d’identifier ce qui t’apporte de la valeur. Si aucun outil ne répond à tes besoins et que ta boîte entière repose sur cette problématique, alors bien sûr, prends tes dix doigts et code l’outil parfait. Sinon, utilise l’existant et passe au prochain milestone.

As-tu une anecdote ? Un message à passer aux entrepreneurs et startupers français ?

Alexis: Il se passe tant de choses… Tout va très vite quand on entreprend, et parfois on se retrouve un peu perdu dans cet univers, comme dans un labyrinthe. Heureusement, la Terre ne s’arrête pas de tourner si votre projet foire. Et toute l’existence ne peut pas se résumer à une startup. N’oubliez pas de regarder autour de vous, de respirer. On parle de la liberté d’entreprendre, mais la liberté c’est aussi plein d’autres petites choses. Je crois qu’on y devient plus sensible quand on prend la mentalité de l’entrepreneur.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

Alexis: Le succès ? La gloire ? Ce qui m’aiderait le plus, en ce moment, serait de trouver le numéro 2 de l’équipe technique pour travailler à mes côtés. Toi qui nous lit, si ça t’a plu, fais-moi signe !

EVER recrute! Plus d’infos: https://www.welcometothejungle.co/companies/ever

Merci encore d’avoir partagé ce retour d’expérience avec nous, Alexis !
Excellente continuation à toi et à EVER ! 🏋

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Adrien Joly
Startup Tour

👨‍💻 Software crafter @SHODO, legacy code / tech debt doctor (http://ajo.ovh/pro) 🥁 Drummer of “Harissa”, VR lover, music digger