Dans It must be heaven, Elia Suleiman recherche un paradis perdu

Stéphanie Thrt
stephanieT
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3 min readOct 20, 2019

It Must Be Heaven, relate l’histoire d’Elia Suleiman, et que de lui, car il n’y a qu’un acteur, lui.

Né à Nazareth, en Israël, le cinéaste se considère palestinien, bien qu’il possède un passeport Israélien. Nazareth est à 70% peuplé de musulmans ; ses habitants sont donc plutôt rattachés à la Palestine.

Elia Suleiman est chrétien, dans une ville juive peuplée de musulmans attachés à la cause palestinienne. Ubuesque situation qui n’omet pas de questionner la notion de territoire et d’appartenance à une terre ou à une religion.

Dans cette mise en abîme, Elia Suleiman, qui joue son propre rôle, décide de faire un film sur Israël et la Palestine. Le sujet est sensible. Il entreprend d’aller vendre sa proposition de film à Paris puis à New York, afin d’avoir plus de liberté dans ce qu’il peut faire et plus de chances d’être produit. Il en profite pour s’imaginer s’installer ailleurs qu’en Palestine, où il vit dans le film (dans la réalité, il vit à New York). Arrivé à Paris, c’est le choc culturel. Dans un Paris déserté de ses vivants, très vide, tout est rangé et ordonné. Les situations burlesques s’enchainent. Le réalisateur est assis, seul, à une terrasse de café et des policiers viennent mesurer celle-ci. Il voit ensuite se dérouler sous ses yeux un défilé de mode improvisé, référence à la fashion week. Plus tard, des chars roulent dans Paris, le 14 juillet, jour de fête nationale. Face à cela, Elia Suleiman fait cette tête, tout le temps :

La Palestine est souvent observée voir critiquée à mal, alors que Paris est présentée de façon plus élogieuse. Une confrontation s’opère entre le bazar que serait la Palestine et l’ordre qui règnerait à Paris. Mais Suleiman démontre que ce n’est qu’une question de point de vue. À Paris, de nombreuses règles, telles l’encombrement maximum des terrasses de café, paraissent un peu idiotes. La capitale française est dépeinte comme un univers froid, toutes les scènes y étant tournées sont désertes ou quasiment. Le cinéaste se promène au Louvre avec strictement personne autour de lui. Le secret est que le film a été tourné en juillet, tôt le matin : il y avait déjà moins de monde.

Ensuite, l’histoire se répète à New York. Ici, comme à Paris, les producteurs qu’Elia Suleiman rencontre se disent ravis de le revoir, mais n’ont rien à faire de son film. Est dénoncée entre les lignes l’hypocrisie du cinéma occidental ou plus généralement l’attitude de l’Occident qui affiche sa vocation à l’universalisme et à donner la parole à tous. Mais dès qu’un sujet sensible apparaît, les personnes en mesure de s’engager restent frileuses.

Le film est tourné avec peu de moyen, un seul acteur principal, deux villes : Paris et New York, reproduite à partir des rues de Montréal, tourner dans la ville américaine étant trop cher.

La fable s’orchestre par une succession de scènes, souvent en plan large quand il s’agit de montrer la ville, et resserrées quand il s’agit de voir la réaction du cinéaste ; qui oscille de stoïque… à stoïque. Paris vide est très beau à voir. Les plans sont calmes. Le film, singulier et simple à la fois, critique et tendre en même temps, agit comme une aventure sous forme d’itinérance. Ceux qui connaissent déjà Suleiman, son parcours et son travail sauront surement mieux apprécier. En l’absence de suspense et de péripéties, la narration et l’interprétation créent le film. Au fil de ce dernier, s’explique le titre, It must be heaven. Plutôt que « ce doit être le paradis », ce serait, il paraît que c’est le paradis… Est ainsi ici posée la fameuse question de l’herbe plus verte ailleurs.

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