Avec Douleur et Gloire, Almodóvar se fait tendre

Stéphanie Thrt
stephanieT
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3 min readNov 4, 2019

Douleur et Gloire, film plein de tendresse, déroule l’histoire de Salvador Mallo, un cinéaste célèbre et apprécié.

A l’approche la soixantaine, Salavador Mallo est entre deux eaux. Littéralement. En ouverture, assis au fond d’un bassin de piscine, il remonte à la surface. Il n’a plus d’inspiration mais a de plus en plus de problèmes de santé (Douleur). De nombreuses coïncidences l’amèneront à se replonger dans ses souvenirs. Une rétrospective à la cinémathèque lui donne l’occasion de se remémorer le tournage de son premier film à succès (Gloire). Il reprend alors contact avec l’acteur qui tenait le rôle principal : Alberto. Avec celui-ci, il s’initie à l’héroïne, anesthésiant ses maux. Dans les volutes de la drogue, il se rappelle son enfance, sa mère, interprétée par Penelope Cruz (septième projet avec Almodóvar). Elle campe une femme vaillante, forte et déterminée, cela sans surprise, car le cinéaste a l’habitude d’offrir à ses actrices des rôles où elles sont maîtresses d’elles-mêmes.

Une splendide scène au bord d’une rivière met en valeur ses talents de chanteuse dans un chœur improvisé entre lavandières. Elle enverra son fils étudier chez les prêtres. Il deviendra soliste dans la chorale de l’école et sera dispensé des cours d’anatomie et de géographie. C’est plus tard, en localisant ses douleurs qu’il découvrira la complexité du corps humain ; en voyageant pour la promotion de ses films qu’il apprendra le nom des capitales. Jaillissant du passé au détour de son ordinateur, un texte, qui sera interprété par Alberto dans un théâtre confidentiel, permet à Salvador de revenir sur les traces de son premier amour, Federico.

Salvador est Pedro, Pedro est Salvador

L’intelligence d’Almodóvar est de glisser ses flash-back comme des tableaux dans l’intrigue principale de façon très naturelle. Ils permettent à son personnage principal de faire le point sur sa vie.

Almodóvar est un habitué de la mise en abîme dont la plus éloquente réside ici dans un postulat : Salvador et Pedro ne sont qu’une seule et même personne, ou presque. Le cinéaste met beaucoup de lui dans son film sans confier explicitement la réponse à une question qu’il n’est même pas la peine de poser : « Oui et non, absolument » répondra t’il à « Salvador, c’est vous ? ».

Almodóvar, s’il s’en cache, déclare par ce long-métrage que le cinéma l’a sauvé. Salvador, installé à Madrid comme son double l’a été, évolue dans les années 80, années post-franquistes. Elles sont sont associées à une grande liberté, une explosion culturelle, sexuelle, artistique, politique… mais aussi à de potentielles dérives, que Salvador fuit en se réfugiant dans le cinéma.

Bleu sur rouge, rien ne bouge ?

Son appartement, qui n’est autre que l’appartement d’Almodóvar reproduit à l’identique, témoigne de sa culture artistique, à travers les peintures qu’il y expose, de son goût pour le design, visible grâce à des objets de créateurs, et de ses infinies heures passées à lire, devinables grâce à une bibliothèque très fournie.

Appartement, dont les couleurs permettent à Almodóvar de faire jouer sa palette si singulière. Il tourne en saturé, avec un catalogue chromique qui lui est propre. Il a probablement, dès son premier film, étudié la symbolique des couleurs, et privilégié certaines : le rouge revient sans cesse, y succède le bleu (c’était le cas dans Tout sur ma mère).

Un rouge qui sied particulièrement à Antonio Banderas. Et un rôle aussi. Qui d’autre que lui pour incarner un double de Pedro Almodóvar ? Qui d’autre qu’un ami de longue date, acteur par 7 fois pour le cinéaste (Le Labyrinthe des passions, Matador, etc). Surement personne d’autre tant Banderas sait interpréter Salvador, mais plus qu’un Salvador proche de Pedro, un Salvador proche de sa propre enfance. Le regard de l’enfant et celui de l’adulte sont les mêmes, curieux, avides. Salvador est brillant, tendre ; derrière sa barbe grisonnante agit encore l’enfant. Et si Salvador est le double de Pedro, en quelques occurrences, c’est avant tout une leçon d’humilité de la part du cinéaste de se livrer en un autoportrait et un formidable tour de passe-passe cinématographique que d’y mettre suffisamment de fiction pour que le doute plane encore… un peu.

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