Le Traître, repentance à la Costa Nostra

Stéphanie Thrt
stephanieT
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4 min readOct 20, 2019

Le Traître retrace l’histoire de Thomas Buscetta, un mafieux repenti qui dénonça de nombreux membres de la mafia sicilienne.

Le réalisateur, Marco Bellochio, ne se perd pas dans la complexité d’une histoire vraie et très dense. Divisant son film en trois parties, il filme différents moments de la vie de Thomas Buscetta, alias Don Macino. Ce dernier révèle les noms de nombreux mafiosi, s’ensuivent leur procès, dont les conséquences formulent une troisième partie, plus brève.

Point culture. En Sicile, la mafia s’appelle « Cosa Nostra ». Littéralement, cela signifie « Notre chose » mais le sens serait plutôt « voilà notre business ; il convient de ne pas s’en mêler ». La Cosa Nostra se compose de plusieurs “familles”, le terme désignant une équipe, un groupe, pouvant associer des membres de plusieurs familles, au sein filial du terme. Thomas Buscetta appartient à la famille Bontate.

A la fin des années 70, la famille Corleonesi solde des rivalités liées au trafic d’héroïne en éliminant méthodiquement les membres des autres familles. C’est aussi un moyen d’accroitre sa supériorité. L’épisode est nommé Deuxième guerre de la Mafia.

Elle succède à la première guerre, qui s’est déroulée au début des années 60, et à la suite de laquelle Buscetta a fui aux Etats-Unis, où il a ouvert… une pizzeria. Ensuite installé au Brésil, il a mis en place un réseau de trafic de drogue. Capturé, renvoyé en prison en Italie, il parvint à s’échapper et à retourner sur la terre du Corcovado. Arrêté une nouvelle fois en 1983, il se retrouve alors face à Giovanni Falcone, un juge qui a fait le trajet depuis l’Italie exprès pour l’interroger.

En réalité, Buscetta est lassé de la mafia. Il y a laissé deux de ses fils, plusieurs de ses amis, et est obligé d’ être constamment sur ses gardes. Il décide alors de prendre sa revanche, de briser l’omerta. Il révèle les identités des membres de la Cosa Nostra. S’ensuivent les Maxi-Procès de Palerme qui seront diffusés à la télévision. Ils donneront lieu à 475 condamnations.

Bellochio synthétise ce récit en se focalisant sur Buscetta, le traître. Il est parfaitement campé par Pierfrancesco Favino, qui le dépasse, en l’endurcissant, en renforçant ses traits, son stoïcisme, sa distance. Un homme fort se dessine, impassible, brillant mais qui a aussi un fond plus sage et plus tendre. Buscetta est le 17ème enfant d’une famille palermitaine très pauvre : il est entré dans la mafia par nécessité.

Le film de mafia, un rêve des réalisateurs

Le film de mafia fait rêver les réalisateurs, car il y a de nombreux personnages, de nombreuses histoires et péripéties. Il existe des films où la mafia tient soit un rôle secondaire, soit le rôle principal.

Par exemple, cette année est sorti en salles Piranhas dans lequel des jeunes fréquentent la Comorra, la mafia napolitaine. La référence en la matière reste la trilogie du Parrain, de Francis Ford Coppola, avec Marlon Brando. En salles en 1972, le premier volet montrait la mafia sicilienne de 55 à 65. Le Parrain 3 achève son histoire en 79, soit juste avant le début de l’histoire de Le Traître.

Bellochio emprunte une mise en scène baroque. Baroque, dans sa définition commune : utilisation exagérée du mouvement, de la grandeur, une volonté de montrer l’exubérance. Dans Le Traître, le ton dramatique est renforcé par le visuel. La façon de filmer est un ‘pop’ comme si les membres de la mafia étaient devenus des mythes populaires.

Lors d’une scène de bal, les membres de la famille Bontate sont filmés légèrement du dessous de façon à les grandir. Que leur éloquence soit réelle ou inexistante, tous semblent dotés d’une force, d’une élégance et d’une ascendance.

Beaucoup de scènes se déroulent en intérieur. Il y a beaucoup de mouvement, beaucoup de monde. Les plans sont larges mais remplis de gens. En opposition, des zooms s’arrêtent sur un seul individu, alors portraitisé. Souvent immobile, prêt à passer à l’action. Bellochio en capte l’expression, l’hésitation, la peur, en le filmant de près, ce qui élimine l’espace autour. Ces plans sans respiration renforcent une impression de huis clos qui génère un aspect tragique.

La mise en scène au service du drame

Autre astuce qui renforce la dimension dramatique : de nombreux plans comportent une masse sombre, un habit ou accessoire de couleur foncée, une ombre ou une masse, par exemple une personne floue au premier ou dernier plan.

Dans les dialogues, la façon d’être des personnages, il y a une certaine éloquence, qui renforce et gonfle artificiellement le coté dramatique. Mais tout ce drame se confronte à beaucoup de ridicule. Les incriminés du Maxi-Procès de Palerme sont censés avoir un certain sang-froid, ils accordent de l’importance au sens de l’honneur. Pourtant, lors de leurs audiences, ils piaillent, ils hurlent, ils jurent, l’un d’entre eux se déshabille…

La multiplicité des personnages, le contexte très particulier fait néanmoins qu’il est difficile de se sentir proche du récit ou de s’identifier à qui que ce soit. Un mélange d’absurde et de tension se ressent tout au long du film. Le propos ne montre pas tant d’action, mais se concentre sur la réflexion autour de la culpabilité, l’envie d’en sortir, les hypocrisies de la mafia. Thomas Buscetta répète de nombreuses fois que la Cosa Nostra a changé. Il regrette la guerre des clans, avant tout une guerre d’ego, qui a décimé les siens. Comme expliqué précédemment, la mise en scène est très réussie. Bellochio ne se perd pas dans la complexité de l’histoire, mais le film n’est pas simpliste et demeure riche.

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