Once upon a time… in Hollywood, 69 année mythique ?

Stéphanie Thrt
stephanieT
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8 min readOct 20, 2019

Once Upon a Time… in Hollywood opère un retour dans le Las Vegas de la fin des années 60, superbement reproduit par Quentin Tarantino.

Après Django Unchained (2012) et Les Huits Salopards (2016), Once Upon a Time… in Hollywood ne déclare pas : « le western c’est fini ». Même si il n’est pas un western comme les deux films le précédant, il est un hommage au genre, et une ode au cinéma hollywoodien des années 60 et 70. Son action se déroule en 1969.

Cette année là, Tarantino avait 6 ans, et habitait avec sa mère et son beau-père, le musicien Curtis Zastoupil, à Alhambra, dans la banlieue nord de Los Angeles. Il n’était pas très intéressé par l’école et visionnait de nombreux films. L’un des tout premiers qu’il aurait vu serait La Horde sauvage de Sam Peckinpa… un western.

À partir d’une mythologie personnelle du Hollywood de sa jeunesse, Tarantino va dérouler son histoire. Il alterne les références cinématographiques, des faits réels volontairement détournés et des souvenirs personnels quelques peu vaporeux au regard de son âge à l’époque. Un peu comme si une personne âgée racontait un épisode de sa vie, qu’il aurait partiellement reconstitué dans son imaginaire, car il en aurait oublié les détails.

Rick Dalton, héros du petit écran qui rêve du grand

Au cours des années 50 aux États-Unis, la proportion de foyers américains équipés d’un poste de télévision passe de 2 à 70 %. Les séries se développent énormément, en s’inspirant du cinéma. De la fin des années 50 à celle des années 60, c’est leur âge d’or ; alors que la télévision est devenue un média de masse. Mais au crépuscule des années 60, le petit écran perd de son aura. En fait, il y a tellement de séries télévisuelles qu’il y en a presque trop. Le cinéma, quant à lui, voit toute une nouvelle génération émerger. Cette charnière entre deux époques hollywoodiennes, la période pré-1970 et la décennie 70, est la toile de fond de Once Upon a Time… in Hollywood.

Rick Dalton tient le rôle principal d’un western télévisuel comme il s’en produisait beaucoup à l’époque. Nommé Bounty Law, il s’inspire de plusieurs séries qui ont réellement existé, principalement The RestLess Gun, diffusée sur la NBC entre 57 et 59.

Rick Dalton apparaît dans d’autres séries et spectacles télévisuels. Mais il rêve d’une carrière dans le cinéma à l’ancienne. Un cinéma éloquent, avec des héros forts, dominants et virils. L’acteur, en perte de vitesse, est forcé de se remettre en question. Malheureusement, cet aspect psychologique, ainsi que son histoire personnelle ne sont pas assez explorés, au bénéfice de sa carrière, mise en avant. Par moment, de tierces personnes, ou lui-même, regardent des séries et films dans lesquels il apparaît. Il est sans cesse accompagné de Cliff Booth, son cascadeur attitré, son ami, son chauffeur parce que lui-même a perdu son permis et ne peut plus conduire sa superbe Cadillac. Cliff Booth suit Rick Dalton et traine sur les plateaux de tournage avec une attitude nonchalante. Les deux compères sont à la dérive. Ils font partie du système Hollywood, tout en se dirigeant de plus en plus malgré eux vers sa marge. Un sentiment nostalgique émane d’eux.

Rick est interprété par Léonardo Di Caprio et Cliff par Brad Pitt. Le choix est assez malin : les deux acteurs ont débuté leur carrière en même temps au début des années 90. Ils bénéficient aujourd’hui d’une grande popularité. Ils ont tournés de nombreux longs-métrages (30 pour Léo et 56 pour Brad), ont eu des rôles similaires ; et ils ont surement croisé pas mal de gens en commun au cours de leur carrière. Ils n’avaient jamais été réunis sur grand écran sauf pour un court métrage en 2015, The Audition, réalisé par Martin Scorsese.

Once Upon a Time… in Hollywood, déroule deux histoires en parallèle

La première histoire retrace l’errance de Rick, qui essaie de donner un nouveau souffle à sa carrière. Là, Tarantino envoie des références cinématographiques à foison. Il profite du fait que son personnage soit acteur pour le promener à travers différentes réalisations des années 60 et 70. Par exemple, il greffe la tête de Rick Dalton à la place de celle de Steve Mc Queen dans une scène de La Grande Évasion. D’autres scènes s’inspirent de westerns ou de films connus. Conseillé par un de ses amis, incarné par Al Palcino, Rick Dalton se rend donc en Italie pour tournés des westerns spaghetti. Au gré de ces saynètes, le cinéaste sème une toute petite poignée de détails qui amène vers le dénouement du film.

Tarantino rejoue les westerns…

La seconde histoire joue des éléments historiques de l’année 1969. Tarantino s’est en effet largement documenté sur l’histoire de Charles Manson, un gourou hippie de l’époque. En août 1969, des membres de la secte de Manson tuent Sharon Tate, la compagne de Roman Polanski et plusieurs de ses amis. Le crime a lieu dans la villa du couple, sur les hauteurs de Las Vegas.

Charles Manson et son clan, essentiellement constitué de jeunes femmes, sont installés au Spahn Ranch, où de nombreux westerns étaient tournés par le passé. La propriété appartient à George Spahn, un homme aveugle, que Manson et sa clique manipulent afin de pouvoir librement squatter.

Dans Once Upon a Time, Cliff Booth se rend au ranch pour raccompagner une jeune hippie, Pussycat, qu’il a pris plusieurs fois en stop (les membres de la Manson Family pratiquaient réellement beaucoup le stop).

Tarantino opère une mise en abîme de l’histoire du site car il filme l’épisode… à la manière d’un western. Il commence par des plans généraux de la ville de Los Angeles, puis concentre sa caméra sur le ranch. Le cascadeur décide de profiter de sa venue sur les lieux, où il a tourné par le passé, pour rendre visite au propriétaire George, ce qui suscite une grande méfiance. Les sbires de Manson l’observent, référence à une scène typique de western : un protagoniste revient ou arrive dans un village pour réclamer quelques chose ou chercher quelqu’un, ce qui suscite la curiosité de tous les habitants.

L’équipe de Manson se réunit derrière Cliff Booth et le regarde cheminer vers la cabane principale. Métaphore du saloon, elle est l’espace de réunion où les disciples de Manson se rencontrent autour du poste de télévision.

Le suspense monte, et comme dans un western, la scène de bagarre se fait attendre. Elle arrive un peu plus tard, lorsque Tex, un membre de la Manson family, a percé les roues de la Cadillac de Cliff Booth (en réalité celle de Rick Dalton). S’ensuit alors un dialogue entre les deux hommes qui pourrait tout à fait être calqué sur un dialogue de western (« Tu as abimé ma voiture. C’est la voiture de mon boss. Si quelque chose arrive à la voiture de mon boss, j’aurai des problème »). D’ailleurs, le soin et la réparation finalement apportés au véhicule évoquent une scène fréquente dans les western, à savoir le soin apporté aux chevaux. Comme dans tout western qui se respecte, l’incident se clôt par une bagarre. Une autre lecture est possible ici car Cliff Booth évoque Donald Shea, un cascadeur qui a réellement existé et qui avait des liens avec la Manson family.

… et multiplie les références.

Sans transition, évoquons la figure de Sharon Tate (jouée par Margot Robbie). Elle apparait à plusieurs occurrences, toujours volatile et légère. Elle n’est pas encore très connue mais elle est sur la pente ascendante. Elle représente le nouvel Hollywood, celui de la jeunesse, d’un cinéma plus novateur. Une scène la montre aller au cinéma se regarder jouer et rire de sa performance. À l’écran, un vrai extrait de Matt Helm règle ses comptes (Phil Karlson) dans lequel Sharon Tate a joué.

Nous avons évoqué deux histoires. Elles se composent en fait d’une multiplicité de scènes indépendantes les unes des autres, elles composent un film à tiroir. Elles se croisent parfois, grâce à Cliff Booth et Rick Dalton qui sont les passeurs entre elles.

À un moment donné, Cliff Booth échange avec Bruce Lee (histoire 1), et Bruce Lee initie ensuite Sharon Tate aux arts martiaux pour un de ses futurs rôles (histoire 2) : Cliff Booth a “introduit” Bruce Lee (incarné par Mike Moh).

À la première lecture du film, il est difficile d’en saisir les nombreuses subtilités et références. Des scènes éparses sont reliés entre elles par des petits détails. Les spectateurs peuvent avoir l’impression de manquer d’un scénario rythmé, et logiquement ils craindront de manquer d’une conclusion.

Un film transcendé dans ses derniers instants

Mais, les deux histoires convergent vers un fin commune, très largement inspirée de la nuit du 8 au 9 août 1969, lorsque la Manson Family assassine Sharon Tate. Tarantino rejoue les faits, dans une scène purement « tarantinesque », le genre de scènes déjà vues dans Django ou Kill Bill. Les fans sont rassurés, tout le monde crie au génie, mais Tarantino a tout simplement utilisé une recette toute faite pour transcender son film. La fin de l’histoire rassemble les protagonistes qui n’ont fait — jusque là — que se croiser : Rick Dalton, Cliff Booth, certains membres de la Manson Family et Sharon Tate. Tarantino livre une « happy end », comme pour dire que le cinéma peut adoucir les choses, livrer des belles histoires, rejouer la réalité pour l’embellir.

Parsemant son travail de référence, Tarantino prouve ici sa cinéphilie. Mais ceux qui ne connaissent pas la période ici évoquée risquent de ne pas saisir le talent de sa mise en abîme mêlée de fiction. D’un autre coté, les gens en mesure de percevoir tous les renvois passeront un moment beaucoup plus intellectuel, peut-être trop. Un long-métrage qui laisse pantois.

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À PART Alors que les longs-métrages de la compétitions officielle sont diffusés au minimum quatre fois durant le festival, Once Upon a Time in Hollywood n’a, quant à lui, été projeté que 3 fois. Et Tarantino a demandé sur Twitter aux gens de ne rien révéler de son contenu. Seuls les équipes du cinéaste, celles du festival, quelques privilégiés et journalistes l’auront vu à Cannes ; ce qui a frustré bon nombre de festivaliers. Mais le responsable n’est autre que le réalisateur lui-même. Selon la rumeur, il ne souhaitait pas que son film, tourné en 35 mm, soit projeté dans certaines salles, dont les écrans sont inadaptés à ce forma. Xavier Dolan, pourtant, a également tourné Matthias et Maxime avec cette technique et n’a pas soumis une quelconque consigne.

Ou alors ! Il s’agit d’une prudence de Tarantino qui lui vient d’une malencontreuse aventure, datant de 5 ans auparavant. Le scénario d’un projet en préparation avait été divulgué avant même le début du tournage, alors que seulement six personnes l’avaient en leur possession. En réaction, il avait tout simplement renoncé à tourner le film. Quelques mois plus tard, machine arrière : il fait lire son scénario publiquement et révèle avoir prévu des narrations alternatives… Le tournage débute finalement en décembre 2014. Le film sort un an plus tard : Les Huit salopards est un western, tout comme l’a été le très apprécié Django Unchained.

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