L’intelligence émotionnelle

SThree France
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9 min readMay 20, 2020

Dans le contexte actuel, nous avons demandé l’avis de Cassandre Verriest et Matthieu Vandermersch, Etudiants EM Lyon travaillant les sujets HR et du Future of Work, sur l’importance de l’intelligence émotionnelle dans nos organisations.

Le Vendredi 27 mars dernier, la « licorne » américaine Bird, valorisée à 2,5 milliards de dollars convoquent à 10h30, 406 de ses employés pour une conférence zoom. 5 minutes s’écoulent, juste le temps pour une voix robotique automatisée d’annoncer à ces 406 employés qu’ils étaient licenciés à effet immédiat, et qu’avant le 15 avril, leur ordinateur devait être renvoyé au siège de la société.

Comment maintenir la motivation, l’engagement, la santé morale et le bien-être des employés quand on sait que certaines entreprises sont prêtes à agir d’une telle façon ?

Si l’État s’emploie à aider financièrement ces entreprises, toutes traversent une tempête. Les managers sont confrontés à la généralisation de situations extraordinaires, et doivent s’adapter en permanence pour garder leurs équipes motivées et sereines.

Mais alors quel impact pour les employés qui se retrouvent dans l’incertitude totale ? Comment garder contact avec ses équipes ? Comment s’adapter efficacement au management à distance forcé ? Et surtout comment concilier vie personnelle et vie professionnelle quand les deux deviennent interdépendantes ? Autant de questions sans réponses qui affectent négativement les émotions de chaque collaborateur.

Pendant longtemps émotions et monde du travail n’ont pas fait bon ménage. La période actuelle nous montre toute l’importance des émotions, qui, si elles sont ignorées, peuvent s’avérer dangereuses pour la survie des entreprises out tout du moins la coordination entre les équipes. Les managers, autant que leurs équipes, se retrouvent dans la nécessité de développer leur intelligence émotionnelle afin de préserver l’entreprise mais surtout de se préserver durant cette période si singulière.

Plusieurs ajustements peuvent aider durant cette période mais sont aussi des facteurs de succès en temps normal :

1- Adapter sa communication

Dans un contexte où nous n’avons plus accès à la communication non verbale, ni aux variations d’intonation, il est nécessaire de choisir les bons canaux de communication lorsque l’on souhaite échanger avec ses collaborateurs.

Comment être empathique lorsqu’on doit donner un feedback négatif par écrit ? Comment cerner les réactions que suscitent ces feedbacks et gérer ainsi les conséquences ? De plus, quand on se voit « en vrai », certaines choses nous paraissent évidentes et vont sans dire, alors que dans le cadre du télétravail, ces choses deviennent moins intuitives et automatiques. Il est toutefois essentiel de les conserver, même sous une autre forme. Un sourire, un regard, un merci dans le couloir, ne peuvent être répliqués à distance. Toutefois, l’envoi d’un emoji ou d’un « Merci » sur une chaîne Slack sont autant de signe de reconnaissance qui font du bien et permettent aux collaborateurs de se sortir des mails et appels zoom incessants.

Par ailleurs, la communication instantanée à longueur de journée, censée redonner aux collaborateurs un sentiment de vivre comme si tout le monde était réuni ne favorise pas l’intensité dans le travail. Certains collaborateurs peuvent même se sentir contrôler. Ou pire, le collaborateur passe sa journée à répondre aux questions, messages et feedbacks qui lui sont envoyés sans avoir l’occasion de se concentrer sur l’exécution de ses tâches quotidiennes.

Il faut donc privilégier le travail asynchrone : un collaborateur avec des enfants en bas âge sera d’autant plus productif le soir ou tôt le matin lorsque ses enfants ne sont pas à ses côtés. Les équipes devront dès lors « allonger » les cycles de feedback : les projets qui requéraient une journée doivent laisser place à un temps plus long pour laisser l’opportunité aux collaborateurs de s’adapter et de s’organiser. L’exigence, même si toujours nécessaire, doit être adaptée à chaque collaborateur en fonction de son quotidien et des responsabilités autant professionnelles que personnelles qui lui incombent. Et tout cela nécessite de connaître parfaitement son équipe, mais surtout de communiquer ouvertement et régulièrement.

2- Adopter un management fondé sur la transparence

Comment savoir quoi faire quand on ne sait pas où va l’entreprise, quels sont ses enjeux actuels, ses prévisions financières, et surtout qu’on ne sait pas quel rôle nous devons jouer pour traverser cette crise ?

On remarque aisément toute l’importance que revêt la communication transparente dans ces moments difficiles, qui plus est lorsque les collaborateurs ne se côtoient pas au quotidien. Il est dès lors essentiel de communiquer, d’informer et d’échanger sur les problèmes autant que les bonnes nouvelles, sur les échecs autant que les réussites.

Chez Zingermann’s, une franchise qui possède 9 cafés et restaurants à Ann Arbor à la frontière canadienne, la transparence est de mise. Chaque vendredi le directeur réunit son équipe et partage les chiffres de la semaine ainsi que les avis recueillis auprès des clients. Il est important de notifier que Zingermann’s s’assure tout d’abord que ses employés ont les connaissances nécessaires pour comprendre correctement ces informations. Une transparence radicale sans avoir formé ses collaborateurs au préalable à comprendre ces informations pourrait même être nuisible. Zingermann’s a donc formé tous ses collaborateurs à lire un compte de résultat bien avant de leur en soumettre un.

Les employés n’en sont que plus impliqués car perçoivent les problèmes, les réussites mais se sentent surtout acteur de la vie de l’entreprise. En étant en connaissance de cause, ils peuvent adapter leur comportement, et développer un réel sentiment d’appartenance envers l’entreprise dans laquelle ils travaillent.

Les managers se retrouvent en effet parfois dans l’impasse du tout positif. Ils prennent sur eux pour ne pas communiquer à leurs équipes les mauvaises nouvelles qui pourraient les affecter autant voire plus que soi. Au contraire, ces derniers sont les plus proches du « terrain » et capables d’apporter des solutions qu’il n’aurait pas été possible d’imaginer seul. Il est facile de penser que ce qui vous préoccupe dérangera encore davantage vos collaborateurs. Développer son intelligence émotionnelle c’est parvenir à partager ouvertement ces problèmes et doutes tout en semblant garder la maîtrise de la situation et ainsi motiver les équipes à se dépasser pour résoudre la situation sans se sentir acculés.

3- L’intelligence émotionnelle nécessite un changement de posture et donc la fin du manager autoritaire

Le seul point d’appui solide qui reste aux managers pour engager leurs équipes, c’est eux. Face à une situation de crise, de bouleversement, il est donc essentiel d’adapter sa posture et d’adopter un comportement de référence vis-à-vis de ses collaborateurs.

Faire preuve de mansuétude à son propre égard est la première étape d’un tel processus. Pour être créatif, adaptable et innovant, le manager doit commencer par ne pas avoir peur de se tromper. De plus, un collaborateur qui admet ses doutes et assume sa vulnérabilité ne peut que susciter la bienveillance de son équipe, qui se sent comprise et soutenue.

Les gens envoient en effet des signaux au lieu d’énoncer des faits, jouent des rôles au lieu d’en trouver un qui leur correspond, au lieu de se présenter aux autres tels qu’ils sont, y compris avec leurs faiblesses. Ainsi, ces comportements corrompent tout ce qui fait la force d’une équipe : la confiance, les discussions constructives et l’engagement.

Jacqueline Loeb, la fondatrice et PDG de la startup Scouted en Californie promeut quant à elle l’importance du « je ne sais pas ». Il est essentiel de savoir communiquer sur ce que l’on sait, mais aussi avouer que l’on ne sait pas tout et qu’une part d’incertitude persiste. Mais accepter l’incertitude selon elle, permet aussi de la réduire. Il est toutefois impératif de prévoir des moments réguliers de mise à jour des informations et d’instaurer un processus de feedback constant.

Bosch en Chine, favorise également le partage de « mauvaises pratiques » pour démystifier l’échec et favoriser le droit à l’erreur. Les collaborateurs se réunissent une fois par mois autour du mur de l’échec afin de partager, de façon bienveillante, leurs meilleurs échecs du mois. Une très bonne façon de se remémorer ses erreurs, et de les partager avec ses collaborateurs pour s’améliorer et apprendre ensemble.

4- Gagner en empathie tout en laissant plus d’autonomie et de flexibilité à ses équipes

Comme l’explique Laëtitia Vitaud dans l’un de ses derniers articles, les managers ne devraient-ils pas apprendre à « ménager » plutôt qu’à manager ? Répliquer les habitudes organisationnelles du management traditionnel peut très vite devenir un facteur de désengagement total de la part des employés en période de confinement mais également par la suite.

Il est dès lors nécessaire, pour maintenir l’équilibre psychologique de ces derniers, d’adopter une nouvelle posture face aux habitudes que nous répliquons machinalement sur nos lieux de travail.

La prédominance de la bureaucratie et des strates hiérarchiques se veut d’autant plus destructrice dans le cadre du confinement et du télétravail forcé. Comment se sentir productif quand les outils autant que les processus décisionnaires nous font perdre du temps ? Un temps qui est parfois même pris au détriment de ses impératifs personnels et qui détériore la motivation et l’engagement des collaborateurs.

Beaucoup de travailleurs cumulent en effet leurs activités professionnelles et parentales aujourd’hui. Cette situation pose certaines questions taboues qui sont rarement abordées dans la sphère professionnelle mais qui se révèlent désormais déterminantes pour la productivité, la performance, le bien-être psychologique et donc l’engagement des employés dans leur travail.

Le Ian Martin group, une entreprise familiale canadienne de 200 collaborateurs spécialisée dans le recrutement de profils technologiques, met l’accent sur l’écoute et le temps que chacun doit accorder à ses collègues. Pour ce faire, tous les mois à lieu une réunion entre équipe au cours de laquelle chaque collaborateur prend la parole pour évoquer des évènements professionnels, sa vie privée, ses opinions… Cette réunion permet souvent d’apaiser ou de rassurer certaines personnes. C’est aussi un moment durant lequel les personnes apprennent à se connaître autrement, non seulement pour leurs aptitudes professionnelles mais aussi pour leur personnalité.

5- Organiser des temps forts pour maintenir et renforcer sa communauté

Développer son intelligence émotionnelle, c’est aussi anticiper les besoins de ses collaborateurs et répondre à leurs attentes. Il s’agit d’une période idéale pour mettre en place des routines quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles. Du « bonjour » en début de journée jusqu’au happy hours virtuelles, en passant par des chaînes Slack dédiées aux activités sportives ou à toutes badineries extra professionnelles, il est crucial de dépasser le simple cadre professionnel et de cultiver de nouvelles relations plus amicales.

Mindvalley, une académie en ligne malaisienne de 250 collaborateurs a créé sur le Slack de l’entreprise une « Sports Channel » où chaque jour, un nouveau challenge est lancé à l’ensemble des collaborateurs. Les collaborateurs sacralisent donc ce moment quotidien et le partagent avec leurs collègues. Un moyen très simple d’échanger sur des sujets annexes et de prendre un bol d’air frais après une journée de télétravail bien remplie.

Tout en se concentrant sur les aspects pratiques du travail à distance et de toutes les complications que cela implique, il est impératif de veiller également à renforcer les éléments non professionnels qui maintiennent la motivation des équipes.

Conclusion

Nous sommes tous humains, et oui, chaque employé ressent un stress durant cette période incertaine, qui semble s’éterniser, notamment en raison du bruit ambiant qui annonce une récession économique par la suite. Mais en gérant les attentes des équipes et en étant transparent sur ce qui va se passer, il est possible d’aider ces employés à accepter cette nouvelle normalité, avec non seulement de la confiance mais aussi de la compassion.

C’est l’occasion de donner la priorité aux facteurs moins évidents qui rendent les équipes plus fortes à long terme. Les petits ruisseaux forment les grandes rivières, alors chaque action peut faire une différence majeure. Et l’intelligence émotionnelle pourrait se définir par cette faculté à poser de nouveaux jalons tant relationnels que professionnels qui vont permettre à vos employés et équipes de traverser cette crise de la meilleure des façons.

Toutefois, il est important de signifier que le manager ne porte pas toute la charge de cette nouvelle organisation. Il est essentiel de faire ruisseler les bons comportements et les bonnes attitudes afin de créer une véritable symbiose entre les équipes.

Demain, toutes ces pratiques évoquées n’auront bien évidemment pas perdu tout leur sens. Ce que nous découvrons d’un point de vue managériale durant cette période de confinement pose les jalons de ce qui sera demain la norme dans les entreprises.

Fini le présentéisme, le calcul des heures, les réunions qui se succèdent sans que personne ne sache ce qu’il fait là, les frustrations politiques que ressentent les employés envers leurs collègues mieux payés ou mieux informés. Cette crise du Covid-19, au combien destructrice soit-elle, aura tout de même fait comprendre à une grande majorité de travailleurs que les entreprises qui réussissent ne sont pas toujours les meilleures, mais bien celles qui s’adaptent le mieux au changement.

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