Le rituel des signatures de pacte lors d’un investissement dans une startup quand il y avait encore du papier.

Le pacte d’associé : La liquidité préférentielle

Un pacte d’associé permet de poser les attentes des uns et des autres. Nous analysons ici la clause de liquidité préférentielle.

Alsace Business Angels
5 min readNov 1, 2018

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Lorsqu’un investissement dans une startup est effectué, les associés signent un pacte d’actionnaire. Pour aller au-delà du verbiage juridique, nous allons détailler les mécanismes, les raisons, les arguments et les marges de négociations d’un pacte. Cet article détaille la clause de liquidité qui définit comment est réparti le résultat de cession de la société.

Le mécanisme

En l’absence de pacte, le montant de la cession d’une entreprise revient à chaque associé au pro-rata du nombre d’actions qu’il détient de l’entreprise. Si un associé a 20% d’une société qui se vend 10M€, il encaisse 2M€ (soit 20%, CQFD).

La clause de liquidité préférentielle va modifier la répartition du montant de cession en favorisant certains associés au détriment des autres. Dans les faits, le montant de cession sera réparti en 3 fractions qui auront chacune des règles de répartition.

La raison du mécanisme est d’éviter qu’en cas de cession les investisseurs soient en pertes alors que les fondateurs soient en plus-values. En effet, si les fondateurs ont acheté leurs actions à 10€, les investisseurs à 100€ et que la société est vendue 50€, on a une situation où les investisseurs perdent 50% de leur mise alors même que les fondateurs la multiple par 5.

La première fraction : Proportionnelle

Afin d’éviter de créer une clause léonine (clause qui attribue à un cocontractant des droits absolument disproportionnés), une première fraction, souvent le capital social ou 10–20% du montant de cession est répartie de manière proportionnelle entre les associés. Pour simplifier dans la suite, on considérera que le montant est nul.

La seconde fraction : Priorité à l’investisseur

Une fois la première fraction passée, on trouve la véritable raison de la clause, privilégier les investisseurs sur le montant de la cession. Cette fraction revient donc intégralement à l’investisseur. Sur le marché du capital investissement, cette fraction oscille entre 1x et 5x le montant investi. Il est aussi possible d’avoir une indexation sur un taux annuel, par exemple 15% (méthode avec TRI).

La troisième fraction : Le reste (la grosse partie)

Dans un cas favorable, la troisième fraction est le montant le plus important des trois. Cette fraction est généralement répartie de manière proportionnelle selon les taux de détention de la société vendue, c’est la méthode classique.

Dans certains cas, la seconde fraction peut venir minorer la part des investisseurs (et donc augmenter celle alloué aux fondateurs) pour rétablir l’équilibre qui a été cassé avec la deuxième fraction.

Le raisonnement Alsace Business Angels

Par défaut, nous définissons la seconde fraction comme étant le montant investi plus un taux d’intérêt de 15% annuel. En contrepartie, nous déduisons cette seconde fraction de la troisième. Notre objectif est d’avoir une répartition égalitaire en cas de situation favorable tout en affirmant que nous investissons dans des entreprises ambitieuses à fort potentiel.

Pour une répartition égalitaire en cas de situation favorable

En général, dans les pactes d’associés, la troisième fraction ne tient pas compte de la distribution de la seconde (par exemple dans la term sheet du Galion Project). Cela implique que les investisseurs toucheront toujours un montant supérieur à celui d’une distribution égalitaire. Par exemple, si les investisseurs ont 20% d’une startup qui se vend 5x plus cher que leur prix d’achat, ils repartiront avec … 23% du montant de cession. Cela correspond à un “gain cachée” sur la valorisation de 15% au profit de l’investisseur.

De notre côté, nous aimons que les choses soient explicites et que 20% représentent 20% dans la majorité des cas. C’est pourquoi, nous réduisons notre part de la troisième fraction de ce que nous avons déjà obtenu à la deuxième fraction, afin que la répartition du prix soit proportionnelle. Cela complique un peu les chose cependant.

Affirmer l’ambition

Un des problèmes du capital amorçage est que l’entreprise peut se développer juste assez pour assurer une rémunération satisfaisante aux fondateurs sans pour autant faire croître la valeur de l’entreprise. Dans ce cas, les fondateurs y trouvent leur intérêt (puisqu’ils continuent) et les investisseurs auraient financé à perte l’entreprise avec l’érosion due à l’inflation.

Cette situation n’est pas égalitaire et fait de plus prendre le risque de financer des lifestyle business (entreprise où l’objectif n’est pas la croissance, mais de s’assurer un niveau de vie).

Pour résoudre ce problème, nous avons rajouté un taux de rendement minimum de 15% annuel. Ceci correspond à un multiple de x2 à 5 ans. Si les entrepreneurs considèrent satisfaisant de faire moins que doubler la valeur de leur entreprise sur cette période, c’est qu’ils n’entrent pas dans notre définition d’entreprise ambitieuse à fort potentiel de croissance.

Les contre-arguments

Cela semble 100% gagnant pour l’investisseur

Naturellement, au fil des négociations, nous avons eu plusieurs contre-arguments à cette logique. Un entrepreneur peut avoir l’impression que le capital-risque ne risque pas grand-chose puis qu’il retrouve au minimum sa mise majorée de 15% annuel. Et, bien sûr, que ceci n’est pas équilibré.

En réalité, on ne voit pas que dans une bonne partie des cas, la sortie de l’entreprise se fera par une liquidation judiciaire. Dans ce cas, le retour pour l’investisseur comme pour l’entrepreneur d’une égalité totale, 100% de perte pour chacun.

CB Insight, qui suit ce type de métrique aux USA, indique qu’au niveau de l’investissement en seed (notre niveau d’investissement), 67% des startups finissent soit en liquidation soit en mode survie (les salaires sont payés, mais l’entreprise n’a pas de valeur pour se faire racheter).

Cela sera de toute manière revue au prochain tour de table

Un autre argument est de se dire que de toute façon lorsqu’un prochain investisseur rejoindra la société, le pacte actuel sera déchiré et ce dernier investisseur imposera le sien.

Il est en effet fort probable que le prochain investisseur impose une liquidité préférentielle à son avantage. Cependant, il convient aussi de prendre en compte la maturité de notre écosystème. Combien de startups (surtout dans le numérique) ont levé des deuxièmes tours de table chez des VC ? Suivant de près les levées de fonds locales, la réalité est que ce n’est pas très fréquent (c’est très exactement 0 sur le numérique).

Les marges de négociation

Comme indiqué ci-dessus, nous avons déjà une version de cette clause qui est sans impact pour la majorité des cas (la réussite et l’échec). Au-delà, il est difficile de négocier sans laisser supposer que vivoter est une solution acceptable pour vous.

La meilleure solution est d’avoir d’autres lettres d’intentions sans cette clause. Ce n’est par contre pas évident.

Pour le reste, cela dépendra de divers cas particuliers et cela aura toujours un impact sur la valorisation.

Conclusion

Il nous semble important de défendre les intérêts des investisseurs (qui ne sont déjà pas nombreux localement) tout en évitant des manipulations implicites de valorisation.

Si vous êtes dans l’état d’esprit de créer une entreprise ambitieuse à fort potentiel de croissance, cette clause ne devrait poser aucun problème. Dans le cas contraire, il faut repenser sa stratégie de levée de fonds.

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