CONFÉRENCE — Gouverner Budapest dans le temps: la construction de l’agenda municipal

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stubudapest2016
Published in
7 min readJul 19, 2017

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Governing Budapest in time: the construction of the municipal agenda
With : Dr. Péter Szegvári, Senior Advisor to the Mayor of Budapest

Authors : Cassandre Rey, Julie Teissedre

Senior Advisor du maire de Budapest depuis 2010, M. Szegvári a une longue carrière politique à la mairie de la capitale (dès 1988, il est secrétaire général du conseil municipal (city council de la ville). Il a également exercé des fonctions dans développement régional et de planification, notamment en tant que conseiller auprès du Premier Ministre.

Le gouvernement local à Budapest : retour historique

Bien qu’étant une ville ancienne, Budapest n’a pas toujours eu le rayonnement qu’elle a aujourd’hui. Pendant longtemps, elle n’a été que la seconde capitale de l’Empire austro-hongrois. L’emblème de la ville illustre une autre limite historique à son rayonnement : le fleuve, séparant deux villes bien distinctes, Buda et Pest, la première habitée par la noblesse de l’empire, la seconde davantage par les bourgeois et la communauté juive. Cette ville historique assume son caractère multiculturel.

C’est à partir de 1951 que la ville acquiert tout le poids d’une capitale et que les formes du gouvernement local changent radicalement. Le modèle soviétique unifié du gouvernement local est appliqué à la ville dont les frontières sont élargies : au-delà des 7 districts historiques, 15 nouveaux districts sont créés, supervisés par la mairie centrale. Tous les échelons de gouvernements (mairie centrale et districts) possèdent les mêmes droits. Tant que ce système était dominé par le parti communiste, l’administration de la ville s’est faite de façon fluide. A partir de 1989, en revanche, les disparités politiques entre le lord mayor et les maires de districts ont alimenté des tensions, le système institutionnel à Budapest restant sensiblement le même. La complexification de la gouvernance locale à partir de 1990 a été renforcée par l’implantation d’un nouveau système, similaire au système français ou italien, qui a augmenté le nombre de municipalités dans le pays (de moins de 150 soviets complètement intégrés à plus de 3 100 municipalités qui doivent collaborer).

Il faut noter que si l’année 1989 a constitué une véritable révolution sur un plan politique, elle n’a suscité que des réformes sur un plan légal et administratif. D’ailleurs, malgré le changement politique, ce sont les mêmes personnes qui travaillent dans l’administration depuis le milieu des années 80. Depuis 1990, une loi permet tout de même de différencier, dans le personnel de la mairie, les personnes ayant un rôle politique du personnel administratif permanent, séparant ainsi la politique de l’administration. Ces fonctionnaires ne peuvent plus être utilisés pour organiser la campagne de réélection du maire par exemple. Un autre changement majeur est l’élection du maire de Budapest au suffrage universel indirect par les différents représentants des arrondissements de la capitale, alors qu’il était nommé par le Parlement avant 1990.

Le système électoral local est mixte : les électeurs élisent directement à la fois le conseil et le maire — ce qui peut conduire à l’élection de sensibilités politiques différentes au sein de l’équipe municipale. Il n’y a pas de séparation stricte entre les pouvoirs exécutif et législatif : c’est l’assemblée qui possède le pouvoir décisionnel, et qui décide de déléguer ou pas certains pouvoirs au maire. Pour M. Szegvári, ceci constitue une fâcheuse limite à la représentativité — alors que le maire est élu directement, il est étroitement lié aux décisions du conseil. Cela peut être un obstacle à la réalisation de son programme.

Comment s’affirme l’autonomie locale ?

Les pouvoirs locaux ont une autonomie politique (institutionnelle) déclarée par la constitution. Celle-ci protège leur statut spécifique, avec ses devoirs et ses responsabilités. Il faut tout de même noter que la “Upper Court” (Cour Suprême) est plutôt en faveur du gouvernement central. Cette autonomie de statut est notamment assurée par l’organisation d’élections libres, distinctes et équitables.

L’autonomie s’affirme également vis-à-vis des partis politiques. Quatre-vingt pourcents des élus ne sont pas affiliés à un parti politique : cela s’explique par le nombre important de petites villes de moins de 1000 habitants. A Budapest, en revanche la proximité politique entre le maire et le gouvernement central permet d’éviter les tensions et assure un dialogue plus fluide. M. Szegvári témoigne du fait que pour lui, la proximité politique est un moyen d’éviter de trop long débat, et d’être plus efficace. Le maire de Budapest peut discuter directement avec Orban, et cela lui confère une position forte. A l’inverse, lorsque la collectivité locale est politiquement opposée au pouvoir central, comme c’était le cas il y a quelques années, les conflits sont quotidiens.

Les municipalités disposent également d’une certaine autonomie financière, puisque leurs ressources sont issues pour la plupart des taxes et des prélèvements locaux. Ces revenus assurent, selon M. Szegvári, une certaine indépendance à la ville. La ville dispose également d’un droit de propriété propre, distinct de celui de l’Etat, assurant ainsi Budapest d’un patrimoine important.

La ville peut aussi créer des entreprises en joint-venture, ce qui permet d’effectuer des emprunts auprès des banques et sur les marchés de capitaux. Il en existe beaucoup et elles génèrent des profits pour la ville. Cependant, depuis 2011, les villes doivent obtenir l’accord du gouvernement central pour s’engager sur les marchés financiers. Cette décision a été prise alors que les dettes des gouvernements locaux avaient considérablement augmenté, nécessitant une intervention de l’Etat central pour garantir leur dette sur les marchés.

Enfin, les fonds européens constituent une ressource majeure pour les villes hongroises : ils représentent 90% des ressources pour développer les infrastructures de transport, notamment l’achat de nouveaux bus, et le développement de nouveaux systèmes de transports électriques.

Budapest, la Hongrie, l’Europe de l’Est et l’Union Européenne : positionnements.

Budapest compte aujourd’hui 1,7 millions d’habitants, représentant 17% de la population hongroise. Cependant, la population a baissé depuis 1989 beaucoup de gens ayant quitté la ville de Budapest comme résidants mais continuant d’y travailler.

La ville profite de son positionnement central et multiplie les partenariats et collaborations, en Hongrie et en Europe de l’Est. Des partenariats horizontaux sont lancés entre villes et municipalités de petite taille pour développer des coopérations, notamment dans le domaine des transports. Selon M. Szegvári, il faudrait plus de coordination avec les municipalités dans l’aménagement, de manière à attirer les investisseurs.

La coopération est également verticale avec les institutions nationales et européennes. La ville de Budapest est engagée dans un projet d’“extensive agglomeration area”, un projet INTERREG, qui rassemble des autorités locales slovaques et hongroises via un GETC (Groupement Européen de Coopération Territoriale) en vue de promouvoir une coopération pour les hôpitaux et le développement touristique. Cette aire de développement anticipé n’est pas centrée sur Budapest, mais plutôt sur la coopération transfrontalière.

Budapest participe aussi à l’initiative pour la création de la seconde macro-stratégie européenne, la “Stratégie du Danube”, accepté par l’Union Européenne (UE) en 2011. Son lancement a constitué un immense défi, il a fallu se constituer en Conseil des villes du Danube et faire un important travail de lobbying. Il a aussi fallu surmonter les réticences de l’UE, qui, à l’origine, affirmait qu’il n’y avait besoin ni d’une nouvelle institution de coopération régionale, ni de nouveaux financements, mais qui a fini par accepter au nom de l’objectif de cohésion de l’Union Européenne. Sur les 14 pays concernés par la stratégie, 8 sont dans l’UE, et Budapest est la plus grande ville de ce réseau, la positionnant de fait comme leader.

Les relations public-privés à Budapest

Après la chute du communisme, une vague de privatisation s’est produite. Aujourd’hui, la municipalité commence à faire marche arrière, pour conserver la responsabilité sur la qualité de services dans certains secteurs, notamment l’eau. Toutefois, l’idée qu’il faut maintenir les conditions de la concurrence pour préserver l’efficacité est très présente. Par exemple, la BKV, une entreprise publique propriété de la ville, disposait d’un monopole pour la gestion des transports en commun. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : d’autres entreprises ont été introduites et gèrent les transports publics à hauteur de 50% environ, et de nouvelles entreprises pourraient encore rejoindre le marché.

Pour les investisseurs, la “marque” Budapest est bien meilleure que celle de la Hongrie ; Budapest tente donc d’en tirer parti. La ville a une stratégie de développement des partenariats public-privé, et a notamment lancé le programme “Budapest 2023” par lequel elle a récolté plus de 500 propositions de projets pour la ville. Suivant les recommandations de l’UE, l’administration a la volonté d’intégrer des financements privés pour financer des projets urbains. Au sein du projet européen EPSON (réseau de recherche), des investissements sont effectués dans la compétitivité territoriale, l’éducation supérieure et la recherche et le développement. Budapest “city of design”, est classée parmi les “potential area for development”, notamment du fait de l’encouragement à la création de start-up, de PME et l’utilisation de micro-crédits.

Enfin pour développer l’implantation de nouvelles entreprises, la ville a aussi passé un accord avec la compagnie privée qui gère l’aéroport, afin de l’encourager à faire de Budapest une destination attractive. La mairie a par exemple soutenue la création de la ligne directe Budapest-Pékin.

Budapest et la crise migratoire :

La position de la Hongrie vis-à-vis des migrants a été très médiatisée. A ce sujet, M. Szegvári nous explique que Budapest a participé à des tables rondes européennes sur le sujet. Mais, selon lui, les migrants ne veulent pas rester à Budapest, préférant partir plus loin. La BKK a d’ailleurs organisé le transport des migrants pour faciliter leur départ. Et surtout, s’agissant d’un défi qui dépasse la seule ville de Budapest, une stratégie européenne lui semble nécessaire.

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