CONFÉRENCE — La création du BKK dans le contexte européen.

ScPoEcoleUrbaine
stubudapest2016
Published in
6 min readJul 7, 2017

--

The transport agenda in Budapest: the creation of the BKK agency in the European context
With : David Vitezy — Directeur du Musée des Transports et ancien directeur du BKK

Authors : Perrine Gernez, Caterina Orlandi

En 2014, les modes de transports à Budapest sont répartis de la manière suivante : 45% des déplacements sont effectués en transports publics, 35% avec la voiture, 18% à pied et 2% à vélo. Les objectifs pour 2030 de la BKK, l’Agence des Transports Intégrés de la ville, visent à encourager l’augmentation de la part des transports publics et des moyens à émission zéro, et s’inscrivent dans la tendance contemporaine des politiques de transport dans les villes européennes.

Toutefois, il est intéressant de comprendre comment ces politiques ont évolué dans la capitale d’un pays comme la Hongrie, qui a été longtemps gouverné par un régime communiste et qui, après la transition démocratique, a vécu des changements extrêmement rapides. Pour ce faire, Dávid Vitézy, ancien CEO de la BKK et aujourd’hui directeur du Musée des Transports de Budapest, nous explique comment les politiques de transport se sont développées à partir de l’après-guerre.

En 1942, les transports publics étaient prédominants, et la population se déplaçait principalement à pied et à vélo, faisant de Budapest une ville promotrice des moyens de transport « durables ». Le vélo, pour autant, faisait parfois l’objet de restrictions de circulation pour permettre le bon fonctionnement des tramways, notamment sur le Pont des Chaînes. Par la suite, dans les années 1960, le tramway et le bus sont restés les moyens de transport privilégiés par la population. Des voitures ont commencé à apparaître, mais les routes étaient encore loin d’être monopolisées par le trafic automobile, en raison du système de planification économique soviétique.

Dans les années 1980, deux phénomènes ont émergé, contribuant à changer l’aspect de la ville et les habitudes de déplacement des habitants. Tout d’abord, l’augmentation de la population en ville a déclenché un processus d’étalement urbain contrôlé par le gouvernement central. En effet, l’Etat était en mesure de maintenir un certain degré de densité, grâce à la construction de grands ensembles et à la restriction de l’approvisionnement électrique à certains endroits. En outre, malgré l’absence quasi totale de trafic automobile, les autorités publiques ont encouragé la rénovation des routes en centre-ville, afin de les adapter à la voiture.

Après la transition démocratique, dans les années 1990, les habitants de Budapest ont accédé à de nouveaux modes de transports leur conférant une certaine liberté de circulation. La voiture traduit la possibilité d’aller au-delà du rideau de fer, et devient l’un des symboles de la conquête de la liberté individuelle, rendant nécessaire la création d’autoroutes urbaines dans les années 2000. La réduction de la place de la voiture en ville devient de fait un impensé, pour ne pas dire un tabou, des politiques de transports.

Ainsi, si l’évolution des politiques de transports à partir 1990 apparaît comme une conséquence des nouvelles libertés dont la Hongrie a pu profiter, elle est aussi révélatrice des apories de ce nouvel ordre économique et du semblant d’absence des pouvoirs centraux. Pour autant, il convient de rappeler l’importance des transports publics, qui continuaient à être utilisés par la majorité de la population : en 1999, la part modale des déplacements en transports en commun était encore de 85%. S’ils demeurent en 2010 le premier mode de transports urbains, l’utilisation des transports en commun ne représente désormais plus que 45% des déplacements.

D’autre part, il faut souligner le poids de la représentation que les Budapestois se faisaient des transports en commun : hérités du communisme, ils ont été durant cette période perçus comme un obstacle à la liberté de déplacement. Les transports publics, désavoués, ont dès lors fait l’objet de désinvestissements chroniques, compensés par une augmentation du prix des tickets plus forte que l’inflation. Les Budapestois ont assisté à la détérioration générale de la qualité du service. Vieillissants et polluants — en 2010, l’âge moyen de la flotte de bus était de 70 ans — les bus de la période communiste n’ont pas été encore complètement remplacés. En parallèle, l’achat de plus d’une voiture par famille devient une pratique normale et le trafic automobile atteint son pic en 2008.

La crise économique mondiale change la donne. Face à cette situation, des ONG et divers mouvements activistes se mobilisent pour protester contre les conditions dégradées de mobilité à Budapest : les cyclistes, en particulier, constituent un groupe de pression important. À la tête de l’un de ces mouvements, Dávid Vitézy a conduit ses propres actions jusqu’à être chargé par le nouveau maire de Budapest, en 2010, d’une mission ambitieuse : proposer un nouveau modèle institutionnel pour la politique de transports de la ville.

Sous son impulsion s’ouvre alors une période de renouvellement des transports urbains de Budapest, avec notamment la création de BKK, l’agence de transports intégrés de Budapest, conçue sur le modèle de la TFL (Transport For London). Il en a été le premier et charismatique CEO.

L’entreprise de décongestion et d’amélioration de la qualité des transports publics constitue la principale mission de BKK entre 2010 et 2014.

Plutôt que de partir de la demande en transports publics pour adapter l’offre, Dávid Vitézy fait le pari d’influencer les choix de transports et le mode de vie des Budapestois. Cela passe par une politique proactive qui tient en 5 points :

  1. Allouer de nouveaux espaces aux transports publics, en réaménageant notamment des tunnels urbains et des parkings en espaces verts dédiés aux stations de tramways ;
  2. Trouver de nouvelles sources de financement pour cette politique, à l’instar des vélos en libre-service, sponsorisés par l’entreprise pétrolière MOL ;
  3. Adopter une démarche centrée sur l’utilisateur et des services durables, avec des outils de gestion du trafic en temps réel et le développement, auprès des voyageurs, d’une information de qualité qui se déploie également sur les réseaux sociaux ;
  4. Mettre en place une politique tarifaire audacieuse, en réduisant notamment de 10% prix des billets, ce qui conduit à l’augmentation du nombre de passagers et génére une hausse des revenus de 20% entre 2010 et 2014 ;
  5. Définir de nouvelles priorités dans le trafic urbain, en donnant systématiquement la priorité aux bus et tramways de la ville plutôt qu’aux voitures grâce à une gestion intelligente des feux de circulation, et ce afin d’augmenter de 7% la capacité du réseau sans hausse des coûts.

De nombreux défis subsistent pour BKK et la politique des transports de Budapest, au premier rang desquels l’intégration des transports en communs et leur interopérabilité à l’échelle régionale, dans un contexte de gouvernance relâchée voire inexistante sur les territoires périurbains. Des incertitudes naissent depuis le changement de direction de BKK, portant principalement sur la capacité de BKK à convaincre toutes les parties prenantes des avantages à développer une offre intégrée de transports, mais également de projets et de gouvernance.

“We still have to repair the old mistakes”, conclut Dávid Vitézy, en se référant aux difficultés de construire le nouveau tracé ferroviaire liant l’aéroport de Budapest, non desservi par rail, au centre-ville.

--

--