FibreTigre
Studio 404
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3 min readMar 3, 2016

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Le téléphone, cet indispensable angoissant

Si le son ne vous angoisse pas trop, cette chronique est aussi écoutable en mp3 ici :

Nous avons tous notre petite terreur quotidienne qui a pas trop d’importance dans l’absolu mais qui nous mine : le collègue relou, le patron qui met la pression, être en retard… en ce qui me concerne, un jour sur deux, je dois…passer un coup de fil.

Un paradoxe : le smartphone caline nos addictions en maintenant un lien social moderne fort, mais la fonction originelle du smartphone, c’est à dire le téléphone, n’est pas trop appréciée, voire source d’angoisse.

Un récent sondage twitter avec plus de 1000 contributions indique que pour 80% des sondés, l’appel téléphonique est une source d’angoisse !

Imaginez, vous avez rendez vous avec quelqu’un. Très probablement, le contact s’est initié par un petit stalk mutuel, vous avez échangé par mail et, parce qu’il faut bien se rencontrer, vous vous êtes donné rendez-vous. À aucun moment vous n’allez communiquer par téléphone…SAUF si vous avez un problème.

Si vous ne trouvez pas le lieu du rendez-vous.

Si vous devez annuler au dernier moment.

Le téléphone, qui avait pour fonction de relier deux personnes très éloignées relie aujourd’hui les individus au contraire très proches dans l’espace et dans le temps (car, par exemple, sur le point de se rencontrer).

Par voie de conséquence, le téléphone est donc porteur de messages d’urgence ou de mauvaises nouvelles. C’est rarement par mail que vous allez apprendre quelque chose de grave que l’on veut vous transmettre.

Il existe d’ailleurs la « Peur du Téléphone », un trouble anxieux identifié (j’ai la peur du téléphone). Beaucoup d’entre vous ne consultent jamais leur messagerie — parfois votre répondeur téléphonique dit « envoyez moi un SMS ! ».

Et puis n’est ce pas angoissant ? Vous composez un numéro et vous attendez qu’on vous réponde ou non, chaque bip est un point de suspension, vous vous introduisez dans la vie de quelqu’un sans savoir si à cet instant il souhaite vous répondre. Cette « création d’instance IRL » forcée a un petit coté agressif, voire impoli.

Le téléphone est aussi le territoire de l’improvisation : contrairement à un message écrit, vous n’avez pas la possibilité de relire vos bêtises avant d’appuyer sur entrée : elles sont dites, et puis tant pis — heureusement que les paroles s’envolent…

L’identité visuelle et sonore du téléphone n’a pas changé en 20 ans…d’ailleurs, quelqu’un qui communiquerait avec vous uniquement par téléphone ne serait-il pas un ringard angoissant qui paie tout en liquide, qui calcule en anciens francs et qui vous raconte de croustillantes anecdotes sur Mitterrand ? En évoquant cela, Lam me parlait de « cycle » : en effet, au début du téléphone, la correspondance écrite fut très rapidement considérée comme très formelle, longue et couteuse, un hobby de dilettantes.

Et bien le cycle s’est inversé, en 2016, les paroles resonnent gravement tandis que les écrits sont légers et doux. Illustration : imaginons qu’un homme appelle Daz et lui dise « Bonjour Monsieur, votre pénis est trop petit. Je vous invite à acheter du Cialis. » C’est d’une violence…et pourtant, c’est le quotidien de nos spams écrits.

D’ailleurs, pas de boite à spams pour le téléphone…et si c’était la feature manquante dans un monde où, liste rouge ou pas, votre numéro va se balader partout après votre première commande internet ? Ah oui, ça ferait peut-être perdre de l’argent aux compagnies téléphoniques…

Je dois avouer néanmoins que le téléphone a ses avantages : en dépit des émojis, l’écrit, souvent trop trempé d’ironie, possède souvent une ambiguité qui peut amener à des malentendus, voire des conflits. Dans ce cadre, pour clarifier les propos et souvent les apaiser, rien ne vaut la chaleur d’une voix humaine…mais une fois de plus, le téléphone aura été l’outil de la crise, l’ultime recours, comme un petit sauveteur caché sous une vitre à briser en cas d’urgence.

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