Je suis Adèle Haenel — Addendum

Aleksandra
3 min readNov 8, 2019

--

Le regard d’Adèle, c’est presque un mème — Capture d’écran de la vidéo de Mediapart

Une courte remarque en guise d’addendum à mon article précédent (Je suis Adèle Haenel).

L’homme dont les exactions sont dénoncées par Adèle Haenel exerce son droit de réponse dans Mediapart, et c’est normal.

C’est le texte d’un homme qui joue sur le tableau de la pitié :

J’ai bien conscience du peu de poids que mes propos vont avoir. Votre journaliste a mené une enquête et même si aucune des personnes entendues n’a fait état du moindre geste déplacé de ma part, l’étroitesse de la relation que j’entretenais avec cette adolescente suffit à m’accabler. Mon exclusion sociale est en cours et je ne peux rien faire pour y échapper.

Mais surtout, et c’est cela qui m’interpelle le plus, l’auteur y fait exactement ce que les hommes font, toujours : il sublime. La sublimation, c’est le mot que j’avais employé dans l’article précédent :

En se racontant, et en lui racontant, l’amour, encore pouvait-il sublimer [en sciences des matériaux : passer directement de l’état solide à l’état gazeux] son regard, s’enfumer lui-même d’abord.

Et il sublime magnifiquement, en rendant hommage au caractère irrésistible de la femme. Et de l’enfant, donc, à l’époque.

“J’ai sans doute été le premier admirateur d’Adèle Haenel et convaincu, malgré les difficultés qu’elle rencontrait, qu’elle était à l’aube d’une immense carrière. Je n’ai jamais eu à son égard, je le redis, les gestes physiques et le comportement de harcèlement sexuel dont elle m’accuse, mais j’ai commis l’erreur de jouer les pygmalions avec les malentendus et les entraves qu’une telle posture suscite. Emprise du metteur en scène à l’égard de l’actrice qu’il avait dirigé et avec laquelle il rêvait de tourner à nouveau.

A l’époque, je n’avais pas vu que mon adulation et les espoirs que je plaçais en elle avaient pu lui apparaître, compte tenu de son jeune âge, comme pénibles à certains moments. Si c’est le cas et si elle le peut je lui demande de me pardonner.”

Mais pour bien comprendre cette réponse, enlevez-en le romantisme. Enlevez-en l’hommage au talent et à la force, enlevez-en l’onirisme. Que reste-t-il alors? Il reste… : c’est de sa faute, elle avait qu’à pas être comme ça! Elle avait qu’à pas être aussi belle et aussi passionnée!

C’est à peu près équivalent à “elle avait qu’à pas s’habiller aussi sexy!”. Et en disant tout ça, finalement, ne trahit-il pas quelque chose, comme quelqu’un qui dirait que la robe était très courte? Il justifie, il se justifie, par la beauté de l’émotion, à laquelle il lui était apparemment impossible de renoncer. C’est toujours tentant de se justifier, d’essayer d’expliquer, de produire une causalité. C’est beau cette manière dont il parle d’elle d’ailleurs! Mais c’est une dissociation totale, entre l’homme amoureux, et l’homme qui agi. Il s’est convaincu d’avoir pu régler cette dissonance cognitive entre son désir et l’interdit. Il s’est convaincu d’avoir pu et su choisir entre les deux. Or le propre de la réduction de la dissonance cognitive, a contrario du renoncement et de la résilience, c’est de produire un mensonge.

Si vous n’avez TOUJOURS PAS regardé Adèle Haenel en train de changer le monde :

--

--

Aleksandra

❤ Canari sauvage et Poisson rouge ❤ It’s not a bug, it’s a feature ❤