L’effondrement, ma première religion

Aleksandra
5 min readAug 23, 2019

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Crédit photo Erik Bjerkesjo — CC-BY-SA-3.0

Je ne suis pas croyante. Le catéchisme n’aura pas réussi à abuser de ma crédulité, et rien ne m’a convaincue que dieu existe. Je ne crois en rien en fait. Depuis que j’ai 5 ans précisément. C’est l’âge auquel j’ai apparemment compris que mes congénères ne vivaient que par et dans les histoires qu’ils se racontaient, à côté du réel, sans jamais se demander pourquoi ils font ce qu’ils font. Je les regardais du dehors, je n’étais pas parmi eux, et je n’ai toujours pas vraiment quitté ma planète pour rejoindre la leur.

Mais avec l’âge, j’ai réalisé que j’avais quand même une croyance bien ancrée depuis toujours : que je devais avoir tort. Que c’est moi qui ne comprenais rien. Que ce doute sur notre stupide et violente civilisation, il devait m’être réinjecté dans toutes mes interactions avec l’humanité, en intraveineuse, jusqu’à l’overdose de doute sur soi et d’autodestruction.

Spectacle de breakdance

Nous inventons la religion, parce que nous craignons notre propre divinité et notre propre puissance, nous sommes effrayés par nos propres conséquences, nos propres lumières, nos propres désastres, paralysés par la honte. Alors quand nous détruisons notre écosystème, ce n’est pas nous c’est le destin! Quand nous éradiquons les autres espèces vivantes, ce n’est pas nous c’est la calamité qui les fait disparaître! Quand d’autres ont tellement faim ou sont tellement pauvres, ce n’est pas nous, c’est un dieu qui les soumet à des épreuves! Et quand nous brillons et faisons rayonner l’amour… ce n’est pas nous non plus, si jamais il se sait que nous pouvons briller, nous ne pourrons plus nuire.

Nous, nous faisons toujours de notre mieux bien sûr…. Nous ne sommes que de faibles créatures soumises au hasard de la fatalité!

Mais quelque chose s’est éveillé en moi. Je crois en quelque chose maintenant : je crois que je dois cesser de penser du mal de moi-même. Surtout, cesser d’être honteuse à la place de ceux qui ont de bien meilleures raisons que moi de l’être. L’être juste ma part, et pour le reste être fière. Je crois que je suis puissante.

Je crois aussi en ceux qui ont la même révélation que moi ces temps-ci : nous avons perdu pied, et il est nécessaire de nous refaire des racines, qui nous relient de nouveau entre nous, à nous-même, et à la nature. Je crois que nous sommes puissants, et que cette puissance, à la fois la force et la capacité à faire, nous ne devons pas la confier à un autre, qu’il soit un dieu, un politicien au sourire lisse ou carnassier, ou bien encore le service marketing ou RSE* d’une multinationale.
(*Responsabilité Sociétale des Entreprises, service souvent rattaché à la communication)

L’effondrement, c’est ma toute première religion. C’est la première histoire que l’humain se raconte à laquelle je crois. Je n’ai pas vu Jésus ni la Vierge, et je n’ai pas vu non plus de mes yeux l’effondrement, dont personne vivant ici et maintenant n’aura jamais toute l’image. Mais j’en vois bien des échantillons, et je refuse de regarder ailleurs. A vrai dire, je ne crois pas dur comme fer que les pires horreurs vont forcément se produire. Ça je ne sais pas, et j’ai peu de certitudes. Je crois surtout que le créneau temporel de civilisation dans lequel nous nous trouvons pousse à leur maximum tous les principes erronés qu’on se trimballe depuis une pincée de millénaires. Il y aurait des humains meilleurs que d’autres… principe étendu ce siècle dans toutes ses dimensions imaginables. Et les humains seraient au-dessus de la Vie elle-même.

Cette nouvelle religion a ses rites et ses intérêts, et c’est même intrinsèquement une religion apocalyptique. Mais c’est une religion distribuée, sans culte. Quelques grands apôtres, quelques grandes messes. Mais l’essentiel est en soi.

C’est peut-être surtout aujourd’hui une contre-religion, plus fondée sur l’éloignement de repoussoirs que sur le suivisme de modèles. Tout est à inventer, tout est en train de naître en nous. Ou plutôt : tout reprend sa juste place qui lui avait été enlevée pour faire de nous de petits consommateurs dociles et dépendants.

La trajectoire est celle de la voie de l’autonomie et de l’entraide, en retrouvant tout ce qui permet de construire tout cela, tant sur le plan spirituel que matériel. Une sorte d’individualisme partageur.

Comme toute bonne religion, elle utilise le levier de la culpabilité, pour qui veut voir les choses comme ça… Et c’est bien la première fois que je me laisse en toute conscience dicter des comportements sans broncher. Boycotter tel vendeur, produit ou marque : je fais! Ne plus faire tel ou tel geste surconsommateur ou polluant : je fais! Aller dire mon opinion prosélyte : je fais!

Je faisais déjà un peu tout ça bien sûr, j’y étais disposée. C’est une religion qui ne me demande rien, aucun effort, qui me demande d’arrêter ce que je n’aime déjà pas faire. Je n’ai pas pris l’avion depuis un bon moment et y allais à reculons il y a quelques années pour le travail. Ce sont mes ablutions : j’essaie de me laver de la course au conformisme consumériste à laquelle j’étais destinée, de me laver de ma peau d’objet d’un système, pour en devenir un sujet.

La chute d’Icare, 17ème siècle, musée Antoine Vivenel

Je me radicalise, mais comme toute bonne croyante, je dérogerai aux règles que m’impose ma religion. Cela dit je n’en ferai pas un secret culpabilisant à confier au prêcheur pour faire pénitence, j’en ferai juste un trait de vulnérabilité et d’indiscipline toute humaine, et je ne chercherai que le regard de ceux qui sont comme moi, pas le pardon de l’autorité, mais l’amour de mes pairs.

Quant à l’écofascisme que les trolls pourront pointer… je vous embrasse. C’est vrai que maintenir des millions de personnes ici, et des peuples entiers ailleurs, dans la pauvreté (et donc dans l’insécurité alimentaire et politique), en entretenant la croyance que la pauvreté est innée, au profit de la ponction de valeur, c’est de la pure générosité démocratique, et pas du tout une religion qui prétend détenir la Vérité en brandissant croissance, capitalisme, jeux boursiers, inégalités mondialistes comme des évidences.

Allez, on se voit au potager ❤

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Aleksandra

❤ Canari sauvage et Poisson rouge ❤ It’s not a bug, it’s a feature ❤