Calbuco (Chili), ville portuaire entre tradition et industrie

Calbuco, un port stratégique

Calbuco, village stratégique, où s’arrêtent tous les bateaux en direction ou en provenance de l’île de Chiloé, de la Patagonie ou du reste du monde. Avancée de terre faisant face à 16 îles, organisées dans un réseau complexe de canaux, le village portait avant la colonisation le nom de Caicaen, ou lieu des chupones, ces fruits sucrés issus des Greigia sphacelata. A une soixantaine de kilomètres de la ville de Puerto Montt, le petit port vit de l’océan et reçoit chaque jour des cargaisons de bois, de produits de la mer, de pétrole. Mais aussi de drogue. C’est dans ce lieu de tous les contrastes que j’ai posé mon sac à dos. Chez Alex, maître d’art martial et amoureux de la mer.

Le rancho Jiu-Jitsu

Le gymnase en bois de canelo

Alex est revenu sur la terre de ces ancêtres il y a de ça douze année, pour y fonder son école de Jiu-Jitsu. Un lieu avec une dimension d’école de vie, de connaissance de l’océan et de la philosophie martiale. Le gymnase est fait main en bois de canelo, l’arbre sacré des Mapuche. Tout est artistique, dessiné, pensé comme un lieu de vie, au cœur d’un terrain arboré surplombant l’océan. Son but, développer chez ses élèves non seulement le savoir-faire et savoir-être de la lutte, mais aussi au moins deux activités artistiques. Selon lui les anciens vivaient au quotidien de créativité et de spiritualité, et il faut retrouver l’importance de ces modes de vie traditionnels dans nos sociétés.

La culture traditionnelle indigène

La dalca chona

Le territoire côtier de la région de Puerto Montt était à ses début habité seulement par les peuples à canoës. Ils vivaient la grande majorité de leur temps dans une embarcation de bois, semblable à un canoë, et nommée dalca chona. Pour pouvoir allumer des feux dans les bateaux, le bois était enduit de graisse, de sorte qu’il ne brûlait pas. Le peuple vivait de pêche et ne mettaient pied à terre que rarement sur les côtes densément arborées.

Panier à poissons en jonc
Corral de pêche

Grands navigateurs, ils avaient une grande connaissance de l’astronomie et des courants pour aller et venir dans les canaux au grès des marées. Plus tard, ce sont les Williches, venus du Nord, qui se sont installés sur les terres. En défrichant quelques territoires, ils développèrent une agriculture d’élevage et de culture de pomme de terre majoritairement. La zone offrait alors une abondance d’aliments pour les deux populations. Les deux peuples confondus vouaient une place importante dans leur agriculture aux ressources maritimes. La pêche au harpon employait des armes de bois avec une pointe en os, les coquillages étaient collectés et les plus petits rejetés à l’eau ; la chasse sous-marine en apnée était pratiquée par les femmes ; des filets, des paniers et des pièges étaient fabriqués en fibre végétale; les chiens étaient éduqués à rabattre les poissons dans les filets tendus sur la plage. Des coraux de pêche étaient construit en galets pour piéger les poissons à marée descendante. On pêchait également à main nue depuis les embarcation, un exercice d’agilité exercé par les femmes.

Marché de Calbuco. Luche séché

Alex me fait découvrir la soupe maritime, cuite dans une grande casserole au feu. Le cochayuyo est une algue de plusieurs mètre de longs, riche en protéines et minéraux, vendue séchée et en fagots et qui doit être réhydratée pour être consommée. La luche est une algue davantage similaire à une salade de mer, vendue pressée en cylindre. La soupe compte des fruits de mer, des légumes et des patates. Un délice ! J’ai également l’occasion de ramasser des piures, de petits mollusques rouges accrochés aux roches côtières qu’on extrait de leur peau épaisse. Les chupones (sucés en espagnol) sont quant à eux des fruits étranges surmontés d’une épine qu’il faut sucer pour en extraire la chair sucrée. Ils sont collectés du coeur de la plante à large feuilles épineuses par une pince à épiler géante en bois local.

Soupe maritime sur le feu

De la colonisation à aujourd’hui : l’industrialisation face à la tradition

Un almud, unité de mesure

L’arrivée des européens en 1553 s’est traduite par la colonisation et l’installation des espagnols une dizaine d’années plus tard. S’entame alors une exploitation des populations et des ressources pour l’exportation vers d’autres zones colonisées. L’abondance de la mer prend une valeur marchande ; l’extraction n’est plus vouée à la simple subsidence des habitants locaux. La diminution des ressources est amorcée. Alors que les peuples à canoës échappent aux travaux forcés en donnant des informations sur les incursions militaires étrangères dans les canaux plus méridionaux ; les Williches sont envoyés à Santiago ou au Pérou, où la main d’œuvre manque. En résulte dès la fin du XVIIIème, un métissage de culture hispanique et indigène encore présent aujourd’hui dans la société de la région. Les espagnols imposent notamment une unité de mesure des produits alimentaires, l’almud, encore utilisée aujourd’hui sur les marchés.

Au XX eme siècle, la surexploitation des ressources est intensifiée avec l’évolution des équipements, plus performants. Citons par exemple l’arrivée des tenues de plongée ou l’augmentation de la résistance et de la taille des filets de pêche. Puis, à partir des années 90, l’élevage de saumons ouvre une nouvelle opportunité d’enrichissement. Le Chili étant le deuxième producteur mondial de saumon, cet élevage est toujours croissant. Il s’agit d’une production contaminante, utilisant des bateaux à forte consommation de pétrole. Les déchets en tout genre sont quotidiennement jetés à la mer, et rapportés sur les plages par les marées. L’économie locale se trouve déstabilisée par les hauts revenus et nombreux postes offerts par les entrepreneurs de l’or rose, qui laissent les familles qui ne vivent pas de l’industrie dans la précarité et l’instabilité. Les saumons sont élevés à haute densité dans des parcs couverts de filets pour éviter les attaques aériennes, nourris de farine de poisson ou de blé, et vaccinés. L’impact environnemental des échappées de salmonidés est non négligeable : il s’agit d’un superprédateur de grande taille et bien souvent porteur de parasites.

Les lumières des industries portuaires, allumées 24h/24

L’industrie se développe, la démographie est croissante, et la population se scinde. D’un côté, sont les industriels qui construisent des infrastructures sur terre et sur mer. Ils ont peu de connaissances des usages traditionnels des ressources, et visent à vivre de leurs gains. De l’autre, sont les habitants ruraux locaux, vivant de la terre et de la mer et qui maintiennent leur culture. Ils ont un usage de la mer et de la terre pour leur consommation personnelle ou le commerce local, et visent à vivre de leurs récoltes. Cette dernière catégorie se retrouve face à un déficit de ressources, et les anciens parlent avec nostalgie des temps où l’abondance n’était pas source de convoitise. D’autre part, les jeunes quittent leur lieu de naissance et la transmission de la culture traditionnelle se perd peu à peu.

Un monde de passionnés

L’île de Chaullin, forêt millénaire d’arayan

Ainsi, la culture culinaire et la simplicité de vie des peuples indigènes, leur respect des dons de la mer sont mis en péril. Cependant, persiste une « agriculture de la mer », une culture maritime forte porté par les nombreux passionnés de la mer. Les fêtes, les rassemblements, sont l’occasion de cuisiner au feu. Chacun sait pêcher, plonger, et connaît les secrets des marées. J’ai vu dans les yeux des amis rencontrés, la passion d’hommes de la mer. Des personnages calmes, heureux de vivre leur vie de famille et leurs projets, mais gardent cet appel de l’océan, ce goût de la solitude contemplative. Ils ont ce quelque chose dans l’âme qui leur permet de s’adonner à la mer pour y trouver les passions les plus extrêmes, la paix la plus complète, la santé, la nourriture et l’infini. Les habitants de cette péninsule ont tous une attache à cette masse d’eau si salvatrice et si dangereuse.

Calbuco abrite une des trois forêts millénaires d’arayan sur l’île de Chaullin. Elle fut le lieu neutre de la région servant de lieu de réunion entre les différents peuples de la région. Aujourd’hui privée, l’île accueille sous l’attention bienveillante de Pascal campeurs et visiteurs. Passés les premiers arbres côtiers, un temple vert se dessine. Les arayan, ces arbres d’habitude à port buissonnant, dressent leurs silhouettes tortueuses tout aussi haut que les olivillos aux larges trons. La lumière douce qui transperce la canopée joue sur les troncs rouges et blancs. Un calme grandiose émane. Ça et là, des troncs sont minutieusement taillés et transformés en œuvre d’art, majorant encore le lien homme-forêt du lieu. L’île reste un lieu de rencontre pour vivre la culture traditionnelle et développer des projets de protection du milieu.

Avec le soutient d’AgroSys

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