Evasion en Pays Basque

vignoble Irouléguy, table d’orientation d’Ascarat

Le Pays Basque. Les prémices des Pyrénées qui se jettent dans l’Océan. Les paysages bocagers aux milles nuances de vert qui, à l’heure où décline le soleil, semblent se couvrir d’or et de mystères, si bien qu’un lutin surgissant de derrière un buisson ne surprendrait pas. Le pays ne semble pas la France, les écrits troqués pour une langue aux origines mystérieuses, les maisons blanches aux volets vert ou rouges nichés entre les vallons. Alors que dans toute la France, les installations de jeunes agriculteurs diminuent dangereusement, le Pays Basque ne connait pas une telle tendance. Et pour cause, les locaux, enracinés sur leur territoire, souhaitent perpétuer leurs traditions en vivant de la Terre et en restant dans leur pays natal. S’ensuit un dynamisme local bien ancré : les AMAP ou ventes directes sont nombreuses et offrent tous les produits nécessaires à l’alimentation, l’envie de favoriser l’économie locale est un engagement quotidien mais aussi un acte valorisant et identitaire. La monnaie locale, l’eusko, est la première monnaie locale européenne.

La parte en bois de la maison Espila, 1763

Espilako Xuria

Je pose mon sac à dos à Ascarat (ou Askarate en euskara), chez Paul Carricaburu basque pure souche et attaché à son pays. Ingénieur agricole, forgé de voyages en Afrique et d’années d’enseignement en lycée agricole, il a finalement décidé de faire revivre la ferme familiale en devenant viticulteur en appellation d’origine contrôlée de la région : l’Irouléguy. La plantation a commencé en 2008, puis s’est poursuivie sur quatre parcelles de caractère, atteignant un total de 1,5 hectares. C’est en 2018 que la toute première cuvée fait son apparition. Paul a décidé de davantage travailler en accord avec ses valeurs, et après des années d’utilisation de produits chimiques sur la ferme, il cultive aujourd’hui en agriculture biologique. Mais cette vigne est bien plus qu’une agriculture, elle est chargée de symboles et de valeurs. Elle est en lien étroit avec la maison familiale, Espila, bâtie en 1763, qui garde toutes ses lettres de

noblesses et dont les murs murmurent encore des souvenirs. « La Terre nourrit tout, les sages et les fous, maiiiis il faut la travailler » se plaisait à rappeler Amatxi, la grand-mère. Le Pays Basque divisait autrefois ses maisons en deux teintes symboliques, selon l’orientation religieuse de ses habitants. Les blancs (xuris), étaient les proches de l’Eglise, les curés ; tandis que les rouges (gorris), étaient les laïcs. Espila était connue pour sa couleur rouge, pourtant remise en question lorsqu’un oncle de la maison est devenu prêtre. “Espila, xuri ala gorri? mahainean goxagarri, ahosabaian dantzari mundukideen kantari…” (« Espila, blanc ou rouge? agréable à table, il danse dans votre palais au chant des citoyens du monde… »). Le petit texte imprimé sur chaque bouteille de Paul prend tout son sens. Ce n’est pas l’orientation politique ou d’opinion qui importe, mais plutôt un investissement citoyen au jour le jour. Et pour le vigneron, les agriculteurs en bio furent des citoyens du monde avant les autres, soucieux de la santé des hommes et de l’environnement.

Mahastittipia (la petite vigne), c’est la parcelle la plus proche de la maison, le petit bijou, première plantée en 2008 en cépage petit manseng sur une terre de grès, faciès lapitza. Surplombant la Nive et le village, les pieds de vigne plantés Nord-Sud dans le sens de la pente narguent fièrement les terrasses des vignobles voisins qui épousent les monts alentours.

Paul à la débrousailleuse

Itharaco, la vigne au caractère rude tout là-haut sur la colline, perçant au milieu des bois, a été plantée en 2010. Les pieds de gros manseng veillent jour et nuit sur la maison en contrebas. C’est la parcelle la plus pentue, mais elle offre le trésor inestimable d’une tranquillité et d’une vue sans pareille lorsqu’on lui rend visite. En appellation Irouléguy, la pente explique les 1000 heure de travail par hectare (contre 350 heures en moyenne sur le reste de la France).

Itharaco dominant Escarat

Vient ensuite Sorhueta, plantée en 2009 en petit et gros manseng et petit courbu, sur un sol de dolomies argilo-calcaire. Elle offre quelques fraises des bois et bientôt pêches des vignes pour remotiver les travailleurs qui bichonnent les lianes. Cette parcelle est forte en signification pour Paul, elle a dès son défrichage su rappeler au vigneron la fragilité de la vie, qui aime à remettre la valeur du temps à sa juste place : « Lan ona egin denean, ez dauzute galdeginen zombat denboraz bainan nork egina duen » (« Quand un travail est bien fait, on ne demande pas combien de temps il a fallu pour le faire mais qui l’a fait ») disait souvent sa mère.

La vigne en fleur

Enfin Uhaldia, plantée en 2013 en gros manseng sur roche volcanique, l’ophite de Keuper. Un sol riche dans un vallon calme où les oiseaux viennent chercher les masses d’air chaudes pour s’élever et le ruisseau en contrebas chante doucement.

A Espila, les valeurs de l’accueil, du partage et de la transmission sont de mise. Paul fait partie de diverses associations de paysans, d’accueil, et propose du wwoofing. Entre deux excursions auprès de ses chouchoutes, le vigneron reçoit les intéressés dans son chai, l’ancienne étable qui abritait des vaches pendant son enfance. Il raconte avec du pétillant dans les yeux, l’histoire de son vin. Ce sont des clients curieux, des cavistes venus d’Espagne, de la côte ou des villages alentours. Ce sont en tous les cas des heureux, qui repartent avec un vin « subtil et élégant », qui délecte les papilles, et de surcroît, nourrit les âmes par son histoire de passion.

Escapade basque

Village d’Espelette, excursion au mont Mandarin. De là-haut, des roches grises qui adoptent de drôles de formes. Une forteresse dont les vestiges persistent au milieu d’une herbe régulièrement broutée. Un groupe familial bivouaque là pour prendre le temps d’une sortie escalade. Ils sont sacrément bien. Une source d’eau qui murmure. D’où le choix d’emplacement de la forteresse. Des vautours, des milans qui côtoient les planeurs. Ils ont vue plongeante sur ces monts et ces bocages, les veinards. Des îlots de forêt çà et là. Du hêtre en haut, arbre tortueux et mystérieux dans sa majesté. Du châtaignier en fleur plus bas, arbre traditionnel aux multiples usages. Des brebis, des pottocks, des vaches, qui se partagent les mêmes brins d’herbe. Des champs vert tendre, jaunes et parsemés de boules de foins ou rayés d’andains. Des champs marrons tout juste semés. L’ombre des arbres sur les champs en cette fin de journée printanière. Des fermes, des poquets de maisons blanches aux toits rouges. Tout au fond, à l’Ouest, l’Océan. Au Sud, quatre profondeurs de champ ; des montagnes d’un bleu toujours plus sombre dans le lointain.

C’est calme et jovial. Les êtres qui sont ici connaissent leur montagne. Ils l’aiment. Ils l’habitent.

Le mont Mandarin

Les espadrilles d’Albertine

Il faut s’aventurer dans les rues pavées de Saint Jean Pied de Port qui épousent le dénivelé de la région. Passer le pont, s’attarder à regarder les couleurs des maisons basques dans le bras d’eau, sur fond de petites montagnes vertes et rondes. Oser franchir la devanture des espadrilles d’Albertine. Des chaussures de cordage et de toiles colorées tapissent les murs. Patricia — la fille d’Albertine- est installée devant sa machine à coudre. Elle perpétue le savoir-faire qui se transmet de mère en fille depuis deux générations. L’espadrille, bien plus qu’un chaussant, est avant tout un objet culturel et identitaire de la région, tant côté français qu’espagnol, bien que de l’autre côté des Pyrénées, la chaussure soit agrémentée d’un lacet. Le modèle est découpé dans un des innombrables tissus de la boutique, et cousu sur une semelle tout droit venue de Mauléon, capitale de l’espadrille.

La chaussure a fait son apparition alors que la culture de chanvre et l’élevage de chevaux faisaient partie du paysage. La semelle est faite de matière locale : un cordage en fib :re de chanvre, renforcée de crin ; et le tissu était produit sur le territoire. Rapidement, l’espadrille s’impose comme la chaussure de travail dans les champs ou dans les mines. Au XXème siècle, alors que le succès de l’artisanat basque

prend de l’ampleur et que l’espadrille devient le nécessaire du mineur, de nombreuses jeunes espagnoles, les Hirondelles, traversent la chaîne montagneuse pour travailler en tant que couturières.

Pour Patricia, continuer à coudre à la main les espadrilles, c’est vendre un bout de culture et favoriser l’échange avec le client. Aujourd’hui, la semelle est doublée de caoutchouc et ne cesse de se moderniser, bien que la chaussure traditionnelle soit toujours bien présente. Les tissus varient, le cuir est également travaillé, et la version escarpin ou basket a aussi sa place. Un métier de passion qui laisse une place à la créativité. Après tout, la culture ne peut exister que si la passion est là, et avec deux aspects essentiels : un héritage du passé et une créativité source d’évolution.

Merci au soutien d’Agrosys !

Lucie Maurel

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