Flor del Valle, vie en cordillère Andine

Laguna Isolada

Excursion à la Laguna Isolada. Deux heures de cheval dans la forêt toujours pleine de surprises, laissant parfois apparaître le volcan Villarica. Sol ocre ou sombre, pierre ou terre, arbres imposants et majestueux donnant une prestance toute particulière aux bois. Et puis apparaît la lagune à l’eau transparente, apparue suite au tremblement de terre de Valdivia. Des poissons sautent çà et là, d’énormes blocs de pierre cubiques sont détachés, les oiseaux chantent sur une branche tout proche de moi : ils n’ont pas de raison d’avoir peur ici.

L’objectif: me rendre au plus proche de peuples Mapuche, autochtones de la cordillère andine pour tenter d’intégrer une communauté. Rendez vous donc ans une ferme familiale au mode de vie ancestral pour une première expérience, au fin fond des montagnes.

Pucón, village touristique connu pour les excursions aux volcans et thermes. Une heure de plus dans un bus aux râles douteux pour atteindre Currarehue, le tout petit village de la vallée. Le bus est plein, ce sont des visages andins et souriant, étrangement calmes malgré la chaleur et la promiscuité. Me voilà en terre Mapuche. Puis encore deux heures supplémentaires sur une piste de terre, encadrée de monts escarpés, pour accéder à Flor del Valle Je ne sais pas encore à quel point le Covid-19 me permettra de me déplacer, mais il ’apparaît rapidement qu’en milieu rural et isolé, la vie est semblable à une quarantaine permanente : une isolation souhaitée, heureuse et basée sur l’entraide locale.

Une ferme sans barrière

Le plus grand volcan d’Amérique Latine tutoie le ciel au dessus de la forêt de cohihues. Les lumières changent à chaque instant de la journée, et le soir laisse place à un ciel illuminé de milliers de points scintillant. Une maison de bois, où chaque planche garde son caractère unique traduisant le travail artisanal à l’origine du foyer. Des pintades, des poules, des chèvres, des chiens, des cochons mènent leur quotidien : ici, c’est la maison qui est clôturée, pas les animaux. Les moutons sont tout de même parqués. Les chevaux et les vaches paissent au dessus, dans la montagne. Un autre bâtiment constitue la remise, et derrière la porte grinçante, des selles faites main, des tapis de laine, des paniers tissés et des peaux qui sèchent suspendues sous le toit.

Des panneaux solaires sont posés sur le toit de la maison, le poêle à bois brûle doucement aux heures de repas, une théière sans arrêt sur le feu prête à abreuver un invité. L’eau de la rivière alimente la maison. Pas de véhicule, les chevaux sont un moyen de transport bien plus indépendant et économique, et les boeufs un tracteur bien plus maniable.

Lumière du soir sur la ferme

Le fogón, occupe également une place importante. Il s’agit du lieu de cuisine traditionnel Mapuche et toujours utilisé ici pour les gros repas, pour cuire les tortillas (pain) dans la cendre ou faire griller le blé. C’est un lieu convivial, où on n’entre qu’à condition d’y avoir été invité

Des humains

Ici, vivent Tello et Edith, tous deux ayant naquit, grandit et vécu dans un périmètre de trente kilomètres alentours. Ils se sont installés là où régnait la forêt, on abattu les arbres un à un, utilisé leurs tronc pour bâtir leur foyer. Tello est un artisan, un éleveur, un fin connaisseurs de la manière de subvenir à ses besoins dans la montagne. Il transforme la peau des animaux tués pour leur viande en licol de cuir artistiquement tressé ; il fait de ses excursions en montagne (campear) une cueillette de plantes comestibles et médicinales, ne visite à ses animaux et une observation fine source d’apprentissages et de compréhension de son environnement. .Edith est une femme de caractère, qui cache derrière ses manies maniaque un soin attentif à sa famille. Je découvre chez elle une grande sensibilité, et des yeux qui pétillent lorsque j’aborde les sujets relatifs à la famille, à la cause des femmes, au jardin ou au tissage. Passé les premier voile, elle s’avère un professeur de cuisine et de tricot patient, et son rire est la plus grande des récompenses. Le couple est parent de deux enfants. Le fils est installé au village avec sa famille. La fille, Alicia, est mère célibataire de Valentin, et passe beaucoup de temps chez ses parents. Du haut de ses trois ans, cet enfant rayonne d’intelligence. Enfin, des visiteurs passent un peu tous les jours, le temps d’un repas, d’un renseignement ou d’un coup de main.

A gauche : Alicia et Valentin, en route pour le chantier bois dans la forêt. A droite, Tello et Edith à l’atelier découpe de bois

Vivre en montagne

Quotidiennement, Tello et Edith sont occupés à vivre. Couper du bois pour préparer l’hiver et alimenter le poêle de la cuisine ; nourrir les animaux ; parfois en abattre un et le préparer pour pouvoir s’en nourrir ; cuisiner ; construire ; tisser ; tresser le cuir… Mais aussi passer du temps avec les visiteurs, ou aller donner un coup de main à un voisin. Il faut sans arrêt réfléchir, remettre en question, observer et de développer des compétences très variées. Le temps s’articule autour du rythme de la nature, imposant humilité et respect envers la montagne.

Elevage

Le soir tombe, Edith avance claudiquant avec un sceau de grains au milieu de la cour. Les dindes, poules, poussins accourent autour de la femme appuyée sur sa canne qui n’hésite pas à réprimander les cochons trop curieux. Les volailles sont ensuite enfermées dans le poulailler pour la nuit, à l’abri des éventuels pumas. Les moutons et chèvres sont rentrés. Les deux cochons, Chancho et Chancha n’hésitent pas à affronter les autres animaux de la ferme pour grappiller un peu de rab’ sur leur ration, ou à se faufiler dans le jardin dès que la porte est restée entrouverte. Je suis en charge des chiens : Innocente, le fidèle ami qui accompagne, avertit et chasse les prédateurs. Luna, le belle chienne pastorale, qui suit ses chèvres partout dans la montagne et les protège du puma. Et Sumara, le chiot en phase d’éducation pour seconder Luna. Elle a été mise avec les chèvres dès son plus jeune âge, les identifiant ainsi comme une famille qu’elle suit et protège.

A gauche, Chancho et Chancha. A droite, Innocente dans un rayon de soleil.

Les vaches sont en liberté dans la montagne, et il faut de temps à temps aller voir si tout va bien, ou redescendre quelques animaux. Elles sont calmes, approchant lorsqu’elles sont appelées par Tello, par un puissant « Vaaaca ! ». Plusieurs fois, j’ai eu l’occasion de partir de longues heures à cheval, à la recherche d’animaux partis un peu trop loin dans l’immensité des monts, j’ai eu l’occasion de « ir a campear ». Les paysages se succèdent. Ce sont des colihues (Chusquea culeou) d’un vert clair qui occupent les flancs ravagés par un incendie il y a une quarantaine d’année. De vieux troncs noircis jonchent le sol. Plus haut, ce sont des coihues ou roble, des lengas, et autres arbres de la famille des Nothofagacées. Sous leurs hautes silhouettes, viennent les michaïs, buissons aux fruits acides, le canelillo et autres plantes médicinales. La terre fine et sombre se soulève en nuage au passage des sabots. Plus haut encore, ce sont les araucarias et robles qui dominent. Ils imposent une majesté et une sérénité au lieu, de leur large tronc et de leur cime tutoyant le ciel. Les aaraucarias, ces étranges pins, déploient leurs branches épineuses en arcs de cercle. Le lichen vert gris abonde, ajoutant un peu de magie à la forêt. De temps à autres, surgit un pan de roche gris sombre à faire jalouser les grimpeurs.

Dans une petite vallée, surgit un cours d’eau, modifiant le paysage et laissant la place à une prairie humide. C’est l’occasion de sortir la harina tostada, du blé grillé moulu que l’on met dans un verre sortit de la sacoche, mélangé à la délicieuse eau du ruisseau. En fin de journée, le soleil rasant donne un autre visage encore à la montagne. Je suis bien avec Pildorita, cette petite jument au caractère bien trempé qui regorge d’énergie. Les vaches sont rassemblées et descendues dans le calme, suivies d’un nuage de poussière traversé de la lumière d’or du soir.

De gauche à droite : Pildorita. “campeando” dans la montagne. Valentin et Tello ramenant des poutres à la ferme.
A gauche : Araucarias, robles et cohihues. A droite : facile de se faufiler avec une charrette tout terrain pourtant chargée.

Les vaches sont habituées jeunes au contact de l’homme. Deux mâles, Jamoncito et Llegaste, ont été éduqués pour devenir les boeufs de la ferme, répondant à la voix. Ils travaillent attelés pour déplacer une charrette ou tirer des troncs, remarquables dans leur maniabilité entre les arbres de la forêt et sur terrain accidenté. Le travail est certes plus lent que ce que pourrait faire un engin motorisé ; mais l’activité est bien plus plaisante, bien plus économique et bien plus adaptable. Pas besoin de créer de chemin, pas de risque de tasser le sol. Il s’agit d’une activité à laquelle parfois, toute la famille assiste avec plaisir.

Les génisses sont parfois descendues avec leur veaux lorsqu’il y a besoin de lait. Une semaine durant, nous avons trait une dizaine de vaches quotidiennement. Les veaux sont enfermés dans le coral et les mères sont là au petit matin. Les vaches sont rentrées une par une dans le coral : les pattes arrières sont attachées, le veau vient téter un peu pour faciliter la traite, puis il est éloigné. Il faut ensuite traire à la main, dans les premiers rayons du soleil de la journée. Mon efficacité est bien médiocre face à mes hôtes qui ont des gestes mesurés et précis. La mère retrouve ensuite son veau. Tout est fait dans un calme impressionnant, et dans une connaissance et un respect avérés de chaque animal. Le lait est ensuite dégusté frais au petit déjeuné, transormé en quesillo, en manjar (confiture de lait) ou tout autre sorte de met.

Les étapes de fabrication du quesillo
De gauche à droite : M’essayant à la traite du matin. Petit veau pas bien stressé.

Mis à part les chevaux, qui paissent en liberté avec les vaches, les animaux sont élevés pour leur viande. En montagne, l’autonomie alimentaire n’est pas possible avec uniquement les végétaux. La belle saison est courte et les besoins en énergie importants. Il est intéressant de souligner que l’espagnol dispose d’un mot qui n’existe pas en français : carnear, qui vient de carne, la viande. C’est donc un verbe qui signifie tuer pour obtenir la viande. J’ai assisté à la mort d’une chèvre, en l’honneur d’une fête familiale annuelle le 21 mars. Les propos suivant peuvent choquer, questionner, mais ils sont pourtant la réalité de la vie, qui comprend nécessairement une mort.

J’ai vu le calme des humains et des animaux, et le respect de tous les convives. La chèvre est saignée à a façon d’un puma : deux trous de chaque côté du cou. Le sang frais est récupéré de la gorge, coagulant rapidement en une gelée. Le plat assaisonné est servi immédiatement, comme source précieuse d’énergie pour la famille nourrie. Puis j’ai aidé à dépecer, à vider, à découper. J’ai tenté d’imiter les gestes habitués. La peau a été mise de côté pour le cuir. La viande a été suspendue dans l’espace aménagé pour le repas. Puis cuite peu à peu dans le fogón, le lieu de cuisine traditionnel Mapuche, qui consiste en un abri contenant un trou dans le sol pour cuire les aliments au feu. Le pain est cuit dans les cendres. Toute la famille, tous les amis sont habitués, et j’apparais une humaine bien étrange pour n’avoir jamais assisté et participé à la transformation totale d’un animal, « du champ à l’assiette ». Notre vision occidentale nous ferait voir cette fête comme cruelle, je la vois pourtant comme la plus respectueuse, la plus cohérente qu’il puisse être. Le respect de la vie ne peut exister qu’avec une acceptation de la mort. Une mort qui ici permet la nutrition et le partage.

De gauche à droite : cuisson dans le fogón. découpe avec les moyens du bord dans la maison tout de bois faite par Tello. Viande grillée prête à être servie.

Travail du cuir

Tout est valorisé. Tello travaille le cuir des animaux tués pour la viande : la peau est séchée quelques mois sous abri, puis laissée dans le torrent et raclée pour ôter les poils. La peau est ensuite, salée, pliée et mise dans un bidon sous un poids pendant une semaine, d’un côté puis de l’autre. Vient ensuite la découpe du cuir. Chaque animal permet d’obtenir une souplesse et une épaisseur de cuir différentes. Tello a également hérité de son père l’art de tresser le cuir, pour obtenir des accroches, des licols, des cordages d’une solidité et d’une beauté sans pareille.

Tissage

Edith a suivi plusieurs formations visant à impliquer davantage les femmes dans l’entreprenariat, notamment dans les zones reculées à forte présence Mapuche. Elle tisse à partir de la laine des moutons de la ferme et d’autres fils achetés, selon la tradition indigène, participant à la conservation des motifs symboliques et du savoir-faire.

Cette femme au caractère fort devient, dès lors qu’elle s’installe devant son métier à tisser, pédagogue et presque bavarde ; c’est un plaisir d’apprendre avec elle.

Se nourrir

La serre du potager

Edith se charge également du potager. Un potager à 1000 mètres d’altitude, foisonnant de verdure, composé d’une serre et d’une partie extérieure. Edith est en charge de nourrir la famille et les convives. Elle cuisine sur le poêle à bois en fonte des plats merveilleux : de la confiture de pêche, de la viande de veau de la ferme soigneusement conservée dans un congélateur en ville, de la soupe épaissie à la farine de blé torréfié, des plats à base de maïs, du quesillo, des légumes en tout genre. Les produits transformés en surplus sont échangés contre du miel, de la chicha (cidre de pommes), ou des légumes. Une grosse base de l’alimentation, ce sont aussi les pignons d’araucarias, très énergétiques et conservables tout l’hiver. Nous sommes souvent partis sur la demi-journée à cheval, ramasser les pignons sous les arbres des heures durant, puis redescendus avec nos sacs de 25 kilos sur l’encolure des chevaux. Les pignons sont bouillis ou grillés à la poêle, un délice !

De gauche à droite : sieste sur le retour de l’expédition pignons. Tri des pignons d’araucarias. Torréfaction du blé.

J’ai vu à Flor del Valle l’importance réelle de la connaissance de son lieu de vie : il est nécessaire pour vivre de connaître la montagne, ses habitants, sa météo ; d’avoir les savoirs-faire variés liés à la vie en milieu reculée. Mais surtout d’avoir un respect profond pour un territoire qui peu très rapidement devenir hostile si l’homme qui y vit n’en est pas à l’écoute quotidienne. Dans un tel isolement, l’ancrage dans le territoire est évident ; le partage, l’entraide et l’accueil font partie du quotidien et n’importe quel visiteur arrivant à l’improviste à sa place à table.

Seconde partie dans l’article suivant ;)

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