Sur les Internets #32 —Contre-pied

Où l’on parle de ceux qui n’ont pas peur d’aller à contre-courant pour redevenir audibles.

Kéliane Martenon
Sur les Internets
10 min readNov 16, 2022

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Merci d’encadrer ce tweet au-dessus de vos bureaux svp.

— « Sur les Internets », c’est une sélection des meilleurs formats innovants et créatifs. Pour vous abonner, c’est par ici.

1. La course poursuite de Tim Cook

En résumé — Light Phone est l’anti-iPhone : un téléphone ultra minimaliste, sans Internet, app’ ni appareil photo. Et pour faire leur promo, ils ont eu une idée originale : se lancer le challenge de convaincre ni plus ni moins que Tim Cook de passer au Light Phone. La campagne est résumée dans cette vidéo de 3 min : elle mérite vraiment le coup d’oeil.

Pourquoi c’est intéressant — Parce que le storytelling est captivant : une véritable course poursuite pour tenter d’atteindre un homme avec un déséquilibre des forces (petite marque vs géant de la Silicon Valley) qui les rend sympathiques dans leur quête. Ensuite parce que si la campagne a réussi à tenir dans la durée, c’est parce qu’elle a su être créative en termes de formats : panneaux publicitaires, pub dans la presse, camions tournants devant les évènements tech, faux Apple Store… Ils n’ont (évidemment) jamais été contactés par le CEO d’Apple mais le coup de pub leur a valu d’être en rupture de stock pendant plusieurs semaines.

Dans la même veine —Cette campagne rappelle l’opé “Allez Howard, un café” de Michel et Augustin qui s’étaient lancés le défi de décrocher un rendez-vous avec le CEO de Starbucks pour le convaincre de commercialiser leurs cookies. Ce qui est intéressant dans leur format, c’est 1) le feuilletonnage en épisodes ; 2) l’incarnation face caméra avec les 2 mêmes protagonistes qui nous embarquaient dans leur périple.

Pour aller plus loin —Au passage, Light Phone a aussi lancé un programme de parrainage avec des URL uniques à dispo de leurs clients et 10% de com’ à chaque nouveau client acquis grâce à eux. Ce qui est cohérent avec leur positionnement, c’est d’avoir misé sur ce bouche-à-oreille comme canal d’acquisition plutôt que sur de la pub sur les réseaux sociaux… qui les auraient fait participer aux dark patterns qu’ils dénoncent. Habile, Bill.

2. Comment Bernie Sanders a fait de son identité visuelle une arme politique

En résumé — Bernie Sanders a développé l’une des identités visuelles les plus identifiables chez les politiques américains. Ce design délibérément vintage s’inspire pêle-mêle d’affiches des mouvements ouvriers des années 80, de couvertures d’album ou encore de NBA. Et depuis qu’il n’est plus en campagne, il se lâche côté créativité pour varier les déclinaisons.

Pourquoi c’est intéressant — Tyler Evans, le directeur artistique de Sanders explique comment il assume cette identité visuelle très souple… pour en faire un levier au service de ses combats sociaux. Concrètement, il parodie les codes graphiques (typo, couleurs etc.) des grandes marques dont il veut défendre les salariés comme Starbucks, Dunkin Donuts ou Kellogs. Plutôt habile pour 1) ne pas lasser et utiliser chaque affiche, chaque visuel pour faire passer un message ; 2) taper dans l’oeil de l’audience qu’il cible.

Pour aller plus loin Le compte Instagram de Tyler Evans montre l’énorme travail créatif.

3. Loom quitte Twitter. Et a bien raison.

En résumé — La marque de vêtements éco-responsables Loom vient d’annoncer qu’elle fermait son compte Twitter avec humilité et auto-dérision : “on a à peine plus de 1000 abonnés et environ 2 likes sous chacun de nos tweets : on sent que la twittosphère se remettra de notre départ”.

Pourquoi c’est intéressant — Déjà parce que trop peu de marques se posent la question de la finalité de leur présence sur un réseau social, la majorité préférant cocher la case et être partout. Pourtant, si on y réfléchit 3 minutes : 1) la plupart n’ont aucun intérêt à avoir un compte Twitter ; 2) quand des gros comptes ont 10 000, 100 000 voire pour certains 10 millions d’abonnés et font… 10 likes sur leurs tweets, il faudrait quand même avoir le courage de se dire que ça n’a aucun sens.

Ensuite parce qu’elle renvoie les personnes qui veulent les suivre… sur sa newsletter. Un canal plus froid, avec des formats longs, où elle maîtrise (quasiment) la diffusion et elle touche peut-être moins de personnes que l’audience fantasmée des réseaux sociaux mais des personnes bien plus engagées, qui ont fait la démarche de les suivre. Moins et mieux.

Pour aller plus loin — L’autre grande force de Loom côté com’, c’est son investissement sur l’éditorial. Ses billets sont, sur le fond et la forme, intéressants à lire. Comme lorsqu’ils expliquent pourquoi ils viennent d’ouvrir une boutique physique.

4. Pourquoi les politiques singapouriens cartonnent sur TikTok

En résumé — Un phénomène assez étrange se déroule à Singapour où une vingtaine de politiques et partis se sont lancés sur TikTok depuis 2020… et y sont étonnamment populaires. Non seulement les taux d’engagement explosent mais surtout, les réactions sont presque… trop enthousiastes, avec des effusions d’emojis coeur et commentaires enjoués.

Pourquoi c’est intéressant —Selon des journalistes qui ont creusé le sujet, il ne s’agirait pas de bots ou faux comptes. La raison serait culturelle : les Singapouriens n’avaient jusque-là pas l’habitude de voir leurs politiques se mettre en scène dans leur “quotidien” et offrir un visage bien plus accessible. Et les jeunes n’étant pour la plupart pas encore politisés, ils auraient une certaine bienveillance à l’égard des vidéos plus personnelles que partisanes de leurs ministres.

Pas de politique politicienne ne veut pas pour autant dire pas de fond. Le meilleur usage de TikTok chez les politiques singapouriens pourrait être celui d’Ong Ye Kung, 52 ans, le ministre de la Santé. Pourquoi ? Parce qu’il parvient à concilier humour et politique publique : pour inciter à ne pas jeter les déchets sur la voie publique ; pour promouvoir l’exercice physique pour rester en forme avec une choré’ improbable

Pour aller plus loinLe papier qui explique le phénomène.

5. Et si on redéfinissait la normalité ?

En résumé — La marque de vêtements Asphalte explique sur Instagram pourquoi elle livre en 3 mois et pourquoi c’est en réalité tout à fait… normal.

Pourquoi c’est intéressant —Asphalte a décidé d’aller, pour des raisons écologiques et économiques, à contre-courant de l’industrie vestimentaire. Sa particularité ? Un système de pré-commandes qui conduit à un délai incompressible de 3 mois. Alors, forcément, quand d’autres marques rivalisent pour nous livrer toujours plus vite, en 24h ou même des courses en 15 minutes, cela peut paraître un poil contre-intuitif. La marque montre pourtant, avec ce carrousel, qu’il suffit… de l’assumer et d’expliquer. (Et à la fin, c’est la tortue qui gagne.)

C’est la même logique que C’est qui le patron qui communique régulièrement sur la composition du prix de ses produits : pour vous faire accepter de les payer quelques centimes plus cher mais en rémunérant correctement les producteurs. Et le succès commercial de la marque suffit à le démontrer : ça marche.

6. CQFD ou une démo qui vaut bien des mots

En résumé — Roe vs Bros, un compte TikTok féministe, s’est amusé à faire un micro-trottoir pour montrer la faible connaissance par les hommes du quotidien des femmes. Et, du coup, inciter les citoyennes à faire entendre leur voix et à aller voter aux midterms.

Pourquoi c’est intéressant — Le format de Q&A est particulièrement bien vu pour TikTok, en cochant toutes les cases : court, humoristique, spontané et incarné. Le message politique ne se dévoile qu’à la fin, comme conclusion d’une démonstration par l’absurde. Et s’il est impossible de mesurer l’effet au final sur la participation électorale, la viralité, elle, a fonctionné : la vidéo qui a le plus cartonné cumule plus de 11 millions de vues. Pour un compte qui n’a “que” 200 000 abonnés, c’est énorme.

7. Des POV bien vus pour rendre le train sexy par rapport à l’avion

En résumé — Amtrak, l’équivalent américain de la SNCF, s’est lancé dans une campagne pour vanter le confort des voyages en train versus ceux en avion.

Pourquoi c’est intéressant — Pour les formats : de courtes vidéos de seulement 7 secondes (!) en split-screen ou en mode TikTok. Et c’est particulièrement habile : la comparaison visuelle en 3–4 photos suffit à sa démonstration. Et aussi parce que, comme l’explique Adrien Lelièvre, journaliste aux Échos, les acteurs du train ont un boulevard pour (re)construire un imaginaire sexy autour des transports collectifs comme le font depuis des années ceux de l’automobile ou de l’aviation.

Pour aller plus loin —Les comptes Instagram (226k abonnés) et TikTok (108k abonnés, 1,2M de likes) d’Amtrak déroulent cette ligne éditoriale. Le premier mise sur l’effet wow de ses photos quand le second privilégie les POV à l’iPhone et les Q&A.

Bonus — Le packaging minimaliste qui a réussi le combo design et transparence

Une marque de kombucha géorgienne utilise un packaging minimaliste (décliné en dataviz animées sur Instagram) pour littéralement donner à voir graphiquement sa composition. Pas de marketing sur des vertus miracles, juste de la transparence et une attention concentrée sur une seule info : un produit 100% naturel. Efficace.

C’est peut-être un détail pour vous mais…

  • L’art de casser les codes de la photo d’équipe — Le Red Star FC s’est associé à 4 jeunes photographes pour faire des photos d’équipes artistiques… dans un théâtre ou la bibliothèque des Beaux-Arts.
  • Le passeport qui va vous donner envie d’être suisse — Le pays vient de sortir son nouveau passeport. Un design qui vise à valoriser la beauté de ses paysages ET à renforcer sa sécurité, avec des éléments insérés dans l’encre et le papier qui se dévoilent sous lampe UV.
  • Des tampons (scintillants) à collectionner— Pour faire connaître cette région à l’extrême nord de la Russie, méconnue des touristes, des créatifs ont imaginé un faux passeport : le « Polar Pass ». Au-delà de l’esthétisme de l’objet, la bonne idée est d’avoir gamifié l’expérience avec des tampons à collectionner dans 55 lieux à visiter.
  • L’ASMR qui vaut tous les mots — Pour promouvoir sa newsletter matinale « 5 things » qui promet de donner en 5 min les 5 infos indispensables pour débuter sa journée, CNN a dégainé un court ASMR aussi simple qu’efficace.
  • Le fil rouge— Le média britannique The Week a refait son identité visuelle. Sa bonne idée ? Le rectangle rouge de son logo avec lequel il joue sur tous ses supports. Élégant et reconnaissable en un coup d’œil.
  • Petit widget, gros potentiel— On commence à voir les premières applications du Live Activity sur l’écran d’accueil de l’iPhone, que ce soit pour suivre les résultats d’une élection, l’arrivée de son bus ou métro ou avoir les infos pratiques pour son vol.
  • Un site à dérouler — Une designer a eu l’idée de lancer un site… sous forme de thread Twitter. Le genre de site simple, minimaliste et rapide à déployer pour une opé ponctuelle ou un portfolio.
  • Petit détail d’UX pour gros impact ? — Le média new-yorkais Gothamist vient de refaire son site. Et parmi ses bonnes idées, il y a notamment cette (très grosse) barre de progression qui peut inciter les internautes à aller jusqu’au bout de l’article.
  • Trouver son plat signature — Semafor, le média lancé par Ben Smith, ex-chroniqueur star du New York Times, a un format d’interview sous forme de conversation SMS. Déjà vu mais bien fait et digeste.
  • Un ton travaillé… jusqu’au bout —Sur la majorité des sites, les pages obligatoires comme celle sur les données personnelles sont… indigestes. Grammarly a eu l’idée de la vulgariser et la synthétiser, en expliquant au passage son modèle économique. Et si on faisait de même pour les CGV et autres disclaimers juridiques ?
  • Mieux que le bon vieux communiqué — Une startup s’est amusée à envoyer le screenshot du virement bancaire pour annoncer sa levée de fonds.
  • Des badges qui parlent à son audience — Pour son évènement tech annuel, Github a fait ses badges sous forme… de puces électroniques. Pas écolo mais original.
  • Vous ne les verrez plus jamais comme avant — Le format signature d’Apple pour résumer ses keynotes a un nom : les bentos. Voilà.
Et n’oubliez pas de regarder la saison 2 de “Montre jamais ça à personne”

C’est tout pour aujourd’hui : on se dit à dans deux semaines pour une nouvelle fournée de formats créatifs !

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Pour me soumettre des formats sympas, donner votre avis ou juste discuter, je suis joignable par mail, sur Twitter ou LinkedIn.

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Kéliane Martenon
Sur les Internets

Internet, startups & formats innovants • Précédemment, chef(fe) des Internets de Bruno Le Maire.