La force de la différence.

Makeba Chamry
Le Bureau des Rituels
4 min readJul 24, 2017

Itinéraires de patrons atypiques.

Un entretien avec le sociologue Norbert Alter au sujet de son livre éponyme.

L’idée du livre, simple et brutale à la fois, est de s’interroger sur la capacité à à inverser son destin et faire de sa différence une ressource. Après 3 années d’enquête, Norbert Alter nous livre une analyse approfondie et quelques clefs de lecture sur les profils de patrons atypiques : femmes, minorités ethniques, homosexuel(le)s, autodidactes, qui peuvent être une source d’inspiration pour des patrons « classiques » et une opportunité pour observer ce qu’apporte « l’étranger » aux pratiques managériales.

Une identité de l’entre-deux

Ces personnes ont adopté une position d’étranger et rompu assez largement avec leur milieu d’origine. Il leur a fallu prendre de la distance pour exister avec les autres. Ils sont dans un entre-deux, ni d’ici ni d’ailleurs. Norbert Alter souligne le fait que quand on n’est pas dans son milieu d’origine on observe le monde avec beaucoup de curiosité et une grande vigilance.

Ces patrons atypiques parlent d’abord de leur expérience de la stigmatisation car ils en ont gardé la trace, le stigmate, elles ont été marquées à un moment de leur vie. Alors qu’aujourd’hui, tout le monde se trouve un peu décalé, déplacé, ces personnes permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans la société actuelle.

Une culture de l’effort et du risque

Cette culture de l’effort se caractérise par une charge de travail très importante au moins durant une partie de leur carrière. Tous les entrepreneurs prennent des risques mais c’est encore plus le cas pour les patrons atypiques. On distingue en sciences sociales, le risque passif et le risque actif. Dans le cas de ces patrons atypiques, afin d’éviter le péril, ils prennent des risques actifs… et font ce que les autres ne font pas. Et c’est grâce à cela qu’ils vont peut-être pouvoir éviter le péril… peut-être seulement… mais, s’ils ne le font pas, ils seront forcément soumis au péril et donc au risque passif ! Comme disait Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ! ».

Une intelligence sociale rare et subtile

Ce sont des personnes étonnantes car à la fois distanciées par rapport aux normes, une hauteur de vue qui échappe aux représentations standardisées du management, mais elles sont aussi plus impliquées, plus engagées dans le rapport aux autres et à l’entreprise. Ils aiment tisser des liens basés sur le rapport humain, en touchant directement leurs interlocuteurs au cœur. Ils prennent le risque d’être eux-mêmes et invitent les autres à faire de même. Elles sont plus en relation avec les personnes qu’avec les fonctions, elles ont un contact beaucoup plus direct, elles ont beaucoup d’humour, qui est la distance par rapport au rôle et à la fonction.

Elles sont aussi souvent en empathie, une capacité à se mettre à la place de l’autre du point de vue émotionnel et en développant des qualités d’écoute et d’analyse afin de mieux comprendre un environnement dont ils ne maîtrisaient pas les codes. Ils utilisent souvent l’image du « caméléon ». Mais être empathique n’est pas exempt de manipulation même si l’auteur ne les accable pas sur ce point.

Créer des liens entre des univers différents

Comme on leur a donné la capacité d’exister avec leur différence, ils donnent à leur tour. Des gens généreux qui transmettent le lien social. Ils savent investir dans leurs relations d’affaires des choses plus composites que les patrons plus classiques, en ajoutant de la symbolique et de l’affectif.

Ces patrons atypiques sont des « passeurs ». Des passeurs de frontières, des passeurs de cultures, des identités extrêmement précieuses. Être passeur, ce n’est pas savoir passer de la culture française à la culture chinoise ou américaine. C’est surtout savoir identifier d’autres milieux sociaux, d’autres ressources, d’autres réseaux, une source d’une grande richesse car source de libertés dans les méthodes de gestion et styles de management. Ils innovent car ils ne respectent pas les règles du jeu. L’auteur cite un patron d’une grande entreprise, autodidacte qui lui disait de façon imagée qu’il n’avait pas de GPS dans sa voiture, ce qui lui permettait de se perdre, source de rencontres nouvelles et de repérages de terrains inconnus.

L’idéal type de l’entrepreneur : la capacité à interpréter son histoire

Ce qui les intéresse, c’est devenir ce qu’ils sont, être respectés par les autres et se respecter soi-même. Et c’est pour cela que ce sont des personnes très réflexives et analytiques, avec une grande intelligence sociale, une volonté d’être soi, en questionnement permanent. Leurs identités personnelle et professionnelle sont associées, alignées. Elles ont besoin de prendre le temps de réfléchir à ce qu’elles sont. Cela a quelque chose à voir avec la résilience de Boris Cyrulnik, une capacité à être fort dans les relations.

Au final, ce sont des personnes qui ne sont pas tranquilles, qui peuvent être heureuses, mais qui ne sont pas bienheureuses. Elles ont réussi à obtenir la reconnaissance des autres et sont fières dans leur différence. Toutefois, elles disent souvent, « on nous regarde positivement mais on est sous surveillance ». La stigmatisation est sublimée mais néanmoins latente.

Norbert Alter est professeur à l’Université Paris-Dauphine et spécialiste de la sociologie des organisations.

La force de la différence. Itinéraires de patrons atypiques, par Norbert Alter, PUF, 2012.

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Makeba Chamry
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