Leçon 6/10 pour une métamorphose :

Clara Delétraz
SWITCH COLLECTIVE
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5 min readJul 5, 2015

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BE DEVIANT RATHER THAN DIFFERENT

Be extraordinary, be different, be unique: voilà ce que je lis sur tous les blogs, pinterests, insta liés à l’entrepreneuriat, au freelancing et au développement personnel. C’est devenu le nouveau mantra. Je dois dire que je trouve ça fatigant et terriblement convenu. Et plutôt paralysant pour engager une métamorphose.

Le problème c’est qu’il faudrait être différent mais surtout pas déviant.

Le problème c’est qu’il faudrait être différent mais surtout pas déviant. Unique, mais dans des normes qui font que quand même on est tous pareils. Je trouve par exemple que même dans un milieu comme celui des startups censé être “alternatif” où justement l’injonction à la différence est permanente, tout devient très uniforme. Un peu tous les mêmes références, les mêmes univers graphiques, les mêmes régles qui sont devenues… des normes.

On porte aux nues la différence mais la déviance, la prise de distance par rapport à des normes, ça dérange. Moi qui suis entre deux projets par exemple, “déviante” en quelque sorte de la norme CDI ou d’une case bien délimitée, je sens que ça rend mal à l’aise autour de moi. Il faut être prêt à se prendre en pleine face les angoisses des gens qui t’entourent.

Khamara

Et pourtant c’est pas une maladie la déviance. De tous temps, le vrai créateur, courageux, pionnier, c’est celui qui ressent la norme mais qui ne la subit pas. Et la déviance devient d’autant plus intéressante quand plusieurs déviants se reconnaissent entre eux et se mettent à faire des choses ensemble.

C’est comme ça que le jazz est né par exemple. C’est mon amie M. qui m’a fait découvrir à l’occasion de cet article la sociologie de la déviance. Howard S Becker, qui était sociologue donc, mais aussi pianiste de jazz dans les années 60, a écrit Outsiders sur les musiciens de jazz pour illustrer le concept de déviance: « les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains individus et en les étiquetant comme des déviants ».

Donc le sujet c’est pas d’”être unique” ou “être différent”. C’est un pléonasme de toutes façons. Le sujet c’est de comprendre la norme et de savoir quoi en faire : celle que tu veux suivre et celle dont tu veux dévier. C’est de trouver ta part d’étrange, de décalé. Et c’est d’identifier d’autres déviants avec lesquels tu peux commencer à monter un mouvement.

Le problème c’est que ça fait confondre “Personal branding” avec “Personal meaning”

Ces injonctions à la différence et à l’extraordinaire, ca te laisse aussi penser que tu peux gérer ta vie, tes aspirations, ton identité comme on gère un business. Comme si tu étais un produit à positionner par rapport à la concurrence. On t’apporte plein de réponses toutes faites: raconte les choses comme si, comme ça, utilise tel outil etc… Il y a des blogs, des MOOCs, des articles à n’en plus finir sur tout ça. Pour exister et exprimer ta prétendue identité.

On t’apporte plein de réponses alors que le seul sujet c’est de te poser les bonnes questions. Pour accoucher vraiment de toi-même. Qu’est ce tu aimes vraiment faire? Qu’est ce qui est vraiment important pour toi? A quoi tu donnes du sens? Quelles sont tes besoins, tes valeurs, tes idéaux?

Du coup ça te fait croire que la réussite donne du sens. Alors qu’il n’en est rien. Comprenez moi bien: c’est super la réussite, je suis pas en train de faire une ode à l’échec. Personne n’aime l’échec. J’ai aimé réussir mes études par exemple. Mais ça ne m’a pas rendu plus heureuse je crois. Et surtout ça ne m’a pas donné plus de sens.

Quand Spinoza dit que l’ambition de l’homme est d’atteindre le plus haut degré de perfection de lui-même, il parle d’une quête intérieure, celle du sens et de la réalisation de soi: en dehors des normes extérieures de la réussite et du bonheur dont on te rabâche les oreilles toute la journée.

Ce n’est pas parce que tu réussis, au regard des critères de réussite que la société a définis, que tu es à ta place. Et d’ailleurs si tu as peur de sortir d’une norme que tu subis parce que justement tu as réussi et que tu ne veux pas tout perdre, demande toi: si tu as réussi en faisant des choses auxquelles tu ne donnais pas complétement de sens, qu’est ce que ce sera quand tu feras quelque chose en quoi tu crois vraiment? Quelque chose qui fait que tu deviens qui tu es, comme nous le conseille le vieux Pindare.

Le problème c’est que ça te fait oublier que c’est bien aussi l’universel

On est tous différents, oui. Mais dans le fond de nos tripes, on se pose un peu tous les mêmes questions. Et c’est quand tu es un peu sincère, que tu appelles la sincérité des autres en retour, que tu t’en rends compte. Qu’est ce que je veux faire? Qu’est ce que je sais faire? Est ce que ça a du sens pour moi? A quoi je pourrais vraiment servir? Pourquoi je reste alors que je suis pas heureux? Je crois qu’on est tellement nombreux à se poser ces questions ou à se les être posé que c’est cool de se le dire. Ca fait du bien aussi un peu d’universalité.

N’oublions d’ailleurs ce que nous disait Deleuze: “si tous les marginaux se rassemblaient, ils seraient majoritaires”.

Bref, tout ça pour dire que plutôt que Be different, je dirais:

BE deviant and MAKE a difference.

Ou alors pas de mantra du tout, parce qu’on n’est pas obligé de plonger dans ce nouveau système de croyances qui te propose des potions toutes faites au lieu de t’interroger sur ta propre recette.

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Clara Delétraz, co-fondatrice de Switch Collective

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Clara Delétraz
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SWITCH COLLECTIVE co-founder www.switchcollective.com #futureofwork #worklife Co-founder & ex-deputy director of la French Tech