#ParlonsTravail : pourquoi les syndicats n’ont pas (encore) compris l’ère du switch

par Denis Maillard

SWITCH COLLECTIVE
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5 min readOct 28, 2016

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Switch Collective fédère une communauté d’actifs en quête de sens et leur apprend à inventer un parcours qui leur correspond grâce à du contenu, des événements et sa formation “Fais le bilan”.

Nous publions ici la tribune d’un auteur invité. Denis Maillard est directeur stratégie et communication chez Technologia, cabinet de prévention des risques professionnels. Il est l’un des experts français sur le sujet des mutations du travail.

Il existe aujourd’hui deux manières de parler du travail et de l’avenir du travail. L’une procède d’une découverte, l’autre d’une redécouverte.

Le travail, une découverte numérique

La découverte, c’est celle que le développement de l’économie numérique nous invite à réaliser lorsque nous réfléchissons aux implications de la transition actuelle sur notre façon de travailler ou de nous représenter le travail à l’avenir : qu’appelle-t-on encore travail à l’heure du digital labor et de l’implication des consommateurs dans la création de valeur ? Quelles implications l’automatisation des tâches va-t-elle avoir sur le travail qualifié ou non qualifié ? Autant de questions relativement neuves qui se posent chaque jour de manière plus aigüe.

Le travail, une redécouverte syndicale

La redécouverte est celle que les syndicats, depuis quelques années, font des conditions de travail réel de leurs adhérents ou des salariés. Non pas qu’ils aient été aveugles à ce qui se passe dans les entreprises, mais plutôt qu’ils se sont aperçus, au moment où l’on a commencé à parler de souffrance au travail et de suicides professionnels, qu’ils s’étaient beaucoup occupé d’emploi durant ces 30 dernières années mais bien peu du travail. Cela tient avant tout à l’économie fordiste dont le fameux « compromis » portait sur un soutien à la consommation de masse à partir d’augmentations continues de salaire au détriment de l’amélioration des conditions de travail. Le « syndicalisme de la feuille de paye » faisait avant tout porter ses efforts sur ce que le sociologue Henri Vacquin avait appelé à l’époque des « primes de nuisance » : une prime pour supporter le bruit, une pour supporter les salissures ou faire nettoyer ses vêtements, une pour supporter la pénibilité etc. qui constituaient autant d’acquis sociaux venant petit à petit s’agréger au salaire. Mais qui ne rendaient pour autant pas le travail plus agréable.

CGT ou Confédération générale du… travail !

Dans leur ensemble les syndicats ont décidé de tourner la page de cette époque. Ils s’intéressent maintenant beaucoup plus au travail, à la qualité de vie au travail et redécouvrent qu’ils se nomment Confédération générale du… travail (CGT) ou Confédération française démocratique du… travail (CFDT). Le travail ne désigne donc plus seulement le camp des salariés mais aussi la préoccupation la plus commune et la plus partagée par la majorité des Français même lorsqu’ils n’ont pas d’emploi ou se débattent avec les temps partiels comme près de 20% des salariés aujourd’hui.

La question qui se pose tout naturellement c’est de savoir si l’intérêt pour le travail à l’heure numérique et l’intérêt pour le travail de la part des syndicats se rejoignent. Normalement, ils devraient ; c’est le moins que l’on puisse attendre.

Le travail redevient une question politique

Sous le titre, « Parlons travail », la CFDT a lancé début octobre 2016 une grande enquête en ligne, un peu longue (plus de 150 questions) mais très agréable à renseigner. C’est l’une des premières fois qu’un syndicat se lance dans une enquête de cette ampleur et, à l’heure où j’écris ces lignes, près de 70 000 personnes y ont déjà répondu. L’objectif de la CFDT est de mettre le travail au cœur du débat de la campagne présidentielle.

Evidemment ce questionnaire s’adresse à tous les Français et par conséquent, le travail, dont nous parle la CFDT à travers les questions posées, ressemble assez largement au travail dans l’économie fordiste finissante mais encore largement dominante. Après avoir organisé l’industrie, celle-ci s’est attaquée aux services et génère désormais frustrations, burn out et bore out.

Quand parle-t-on de « mon travail » ?

Il ne s’agit pas d’accabler le syndicat mais de remarquer qu’à côté de nombreuses questions portant sur les relations au chef, aux syndicats ou à la vie de bureau, quelques questions (quatre ou cinq en réalité) traitent vraiment des aspirations actuelles des salariés.

Le besoin de quitter son emploi (le fameux « job out ») pour s’adonner à une activité qui revête du sens ou à l’organiser autrement, voire à multiplier les expériences et les activités, n’est pas majoritaire dans les faits, mais il l’est dorénavant dans les représentations et les esprits. On ne trouve pourtant qu’une question portant sur la volonté de changer de métier, qu’une autre sur le cumul d’activité et une ou deux encore sur le projet de créer une entreprise. L’impact du numérique sur le travail, son organisation et son sens est à peine abordé, si ce n’est d’une façon très classique concernant les emails en vacances, l’accès à internet au bureau et la possibilité du télétravail.

Notons en revanche, que lorsqu’on commence le questionnaire, il est possible de personnaliser un peu le début de l’enquête et de se dire « indépendant » à la question renseignant son contrat de travail. Un peu plus de 1% des répondants (725 personnes) s’étaient d’ailleurs définis comme cela lorsque je suis allé voir les résultats, consultables au fur et à mesure que l’étude se réalise.

Il y a alors sept questions consacrés aux personnes « à leur compte » (indépendants, professions libérales ou auto-entrepreneurs) qui traitent du degré d’indépendance, du temps de travail, du volume d‘heures, du sentiment d’indépendance ou des tâches administratives. Mais rien sur le travail lui-même qui intervient de manière standard dans un second temps.

On se prend alors à rêver d’un questionnaire réellement personnalisé qui permettrait à tout travailleur quel que soit son « statut » de rendre compte de son expérience du travail et mêlerait évidemment des questions identiques à tous les profils et des questions spécifiques aux différentes situations. Et pourquoi pas rendre possible le fait de poser soi-même les questions que l’on estime irréductibles à son métier mais éventuellement partagées par d’autres…

Si la question du travail est bouleversée par le numérique alors le numérique devrait aussi bouleverser la manière d’en parler. C’est la limite de #ParlonsTravail.

Denis Maillard

Switch Collective fédère une communauté d’actifs en quête de sens et leur apprend à inventer un parcours qui leur correspond. Pour en savoir plus sur son programme de formation “Fais le bilan”, c’est par ici.

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