Irving et UdeM: Argent sale et faux diplôme

Symbiose
Synthèse
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5 min readMar 29, 2020

Par Antoine Zboralski

Ce texte reprend des éléments du communiqué de Symbiose du 2 mars 2020 et le complète avec les informations à jour et d’autres arguments.

Le 17 mars dernier, l’Université de Moncton devait procéder à l’annonce d’un don dit « historique » par la fondation de la famille Arthur L. Irving et d’Irving Oil dans le cadre de sa campagne de financement Évolution. Quelques jours avant cette annonce, on apprenait qu’Arthur Irving allait recevoir un doctorat honorifique en administration des affaires de la part de l’UdeM. Curieuse coïncidence. La COVID-19 a cependant reporté l’annonce du don (dont le montant reste inconnu), et annulé la collation des grades durant laquelle le doctorat honorifique aurait été décerné, sans pour autant que ni le don ni le doctorat ne soient remis en question. Il serait pourtant urgent de le faire. Voici pourquoi.

De l’argent fait sur le dos des écosystèmes et du climat

Auteur: Chris LeBoutillier

Alors que le Conseil des gouverneurs de l’université a récemment reconnu l’importance pour l’institution de lutter contre les changements climatiques et d’exercer un rôle de leadership en la matière, la voici qui accepte un don majeur de la part d’une industrie dont les activités émettent à elles seules plus de 20% des gaz à effet de serre de la province et qui a renoncé à ses propres objectifs de réduction d’émissions de carbone. L’Université de Moncton devrait agir pour protéger la planète sur laquelle ses étudiantes et étudiants vont devoir (sur)vivre, au lieu d’accepter de l’argent issu directement de la dégradation de notre milieu de vie. Elle pourrait, par exemple, désinvestir l’ensemble de ses fonds des énergies fossiles et mettre en place un plan ambitieux pour faire face à l’urgence climatique. Plusieurs études et rapports ont d’ailleurs montré les multiples avantages à sortir des industries fossiles, même d’un point de vue financier (voir Hunt et al. 2019, Trinks et al. 2018, Sanzillo et al. 2018, ou encore Henriques et Sadorsky 2018).

Évasion fiscale et dégradation des services publics

Auteur: Eric Perlin

Ce don porte également un paradoxe et une injustice flagrante. L’Université fait face à un sous-financement par le gouvernement provincial, qui l’amène à augmenter les droits de scolarité au détriment de l’ensemble des étudiantes et étudiants (+476$ à +872$ pour la dernière session d’automne). Ce sous-financement est une conséquence directe des pratiques d’évasion fiscale bien documentées de la famille Irving, notamment d’Irving Oil, qui génèrent un manque à gagner important pour la province et entraînent une carence de services publics. On se souvient, par exemple, de la récente décision du gouvernement Higgs de fermer les urgences de six hôpitaux durant la nuit. Au vu de la crise sanitaire de la COVID-19 dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, on ne peut que se réjouir que le gouvernement ait finalement fait machine arrière face à la mobilisation des citoyennes et citoyens. Mais il n’est pas pour autant allé chercher l’argent des paradis fiscaux pour alimenter les caisses de la province. Et quand on sait que le don d’Irving serait lui-même éligible à une déduction fiscale, on ne peut que s’indigner de la double peine infligée aux habitant.e.s de la province.

Un don pour les étudiant.e.s?

Campagne de la FÉÉCUM contre l’endettement étudiant

Il a été dit que ce don bénéficierait directement aux étudiantes et étudiants de l’université, et qu’il serait donc dommage de les en priver, surtout vu leur précarité financière. Mais ces bénéfices sont très exagérés. Les dons ne vont jamais compléter le budget de fonctionnement de l’université, et ne permettent donc pas de compenser un tant soit peu le manque de financement de la part du gouvernement provincial. À la fin, l’université augmente quand même ses frais, au détriment de l’ensemble de la population étudiante. Généralement, ce type de don est utilisé pour mettre en place des bourses attribuées à quelques étudiantes et étudiants, qui souffrent ainsi un peu moins de leur passage à l’université, financièrement parlant. Et les autres n’auront qu’à emprunter davantage. Si tout le monde avait payé ses impôts comme il aurait dû au lieu de s’enrichir toujours plus, on n’en serait probablement pas là.

Un diplôme acheté

Le fait qu’Arthur Irving se retrouve dans la liste des récipiendaires 2020 des doctorats honorifiques est la cerise sur le gâteau de l’hypocrisie (à moins que le doctorat en question soit en évasion fiscale et pollution de l’environnement). Ainsi, il suffirait de faire un don substantiel à l’université pour obtenir sa plus haute distinction en échange. Comme l’a dit Alain Deneault, professeur de philosophe à l’Université de Moncton, mais également auteur du livre Paradis fiscaux: la filière canadienne, par rapport à ce doctorat honorifique: «Que vaut un titre lorsqu’on subodore qu’il est attribué de manière monnayée? L’université est un des rares domaines où l’argent déprécie ce qu’il achète.» Elle devrait donc revoir sa copie.

L’hypocrisie est totale

Ce don et ce doctorat sont historiques par l’hypocrisie à la fois des donateurs et de l’Université de Moncton. Les premiers, en entretenant leur fausse image de générosité tout en pillant les contribuables de la province et en détruisant notre environnement. La seconde, en acceptant de recevoir l’argent de ceux-là même qui l’assèchent financièrement et mettent l’avenir des étudiantes et étudiants en péril, et en décernant à son donateur un doctorat honorifique en échange. L’Université de Moncton devrait refuser ce don, établir des critères environnementaux et sociaux ambitieux pour sa campagne de financement, et retirer Arthur Irving de la liste des récipiendaires de doctorats honorifiques, sans quoi elle se déshonorera encore plus. Nous serons là pour lui rappeler.

Antoine Zboralski, étudiant au doctorat en sciences de la vie et président de Symbiose

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Environnement et justice sociale — Université de Moncton