Why Stories : le manifeste

Andrea Zubialde
Talkin’ about a revolution
5 min readMar 25, 2018

Par Luca Giacomoni et Andrea Zubialde, cofondateurs

1. Les histoires : un levier de valeurs, richesse, connaissance et pouvoir

La narration occupe une place centrale dans nos sociétés, et c’est une précieuse opportunité.

La production des séries télévisées n’arrête pas de croître. Les réseaux sociaux sont devenus des outils de mise en scène et de propagande. Les start-ups se forment au storytelling pour gagner leur pari et les stratégies de marketing bâtissent des histoires afin d’augmenter les ventes. Les spin doctors — conseillers à l’ombre des hommes politiques — organisent l’agenda des nos élus sur la base d’une dramaturgie bien précise. La narration est partout, cela va sans dire.

Quelle est la place du théâtre dans ce contexte ? Et les romans, les BD, les films, les opéras ? Quel rôle jouent les blogs, les clips musicaux, les jeux vidéos, les sites web, les articles des journaux ? Du matin au soir, nous sommes plongés dans un univers de récits qui orientent nos choix, modifient nos gestes et influencent nos désirs. Et sur ce même terrain nous bâtissons notre identité, notre économie et notre culture. Cela forge notre réalité quotidienne, et surtout, c’est une immense source de pouvoir.

Est-ce un phénomène nouveau ? Bien au contraire. L’art de raconter — et l’art d’influencer à travers un récit — est un geste profondément humain qui nous accompagne depuis l’aube des temps. A travers les époques, et depuis toujours, la narration a constitué à la fois le moyen privilégié pour véhiculer l’essence même de l’expérience humaine, et une arme redoutable pour façonner les pensées et orienter les comportements. Jusque là, rien de nouveau. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’ampleur de la résonance.

Maîtriser l’art de la narration signifie avoir des outils concrets pour comprendre les transformations en cours autour de nous, faire vivre une idée, articuler du sens et agir sur le contexte. Aujourd’hui plus que jamais, le récit est au cœur de nos vies, s’affirmant comme une clé pour saisir le monde qui nous entoure et le transformer.

2. Reprendre les armes du combat et les rendre accessibles à tous

Nous le savons bien : la diffusion d’une histoire peut être un poison ou un médicament. Parfois les deux ensemble. Une histoire est notre accès sur le monde, et selon l’intention qu’elle véhicule, elle peut l’ouvrir dans toutes ses possibilités ou nous en offrir une vision réductrice. La narration est un art à manier avec sensibilité et avec la plus grande attention ; un art qui exige la même honnêteté que le serment d’Hippocrate et la même finesse d’exécution que le braquage d’une banque.

Regardons ces acteurs qui produisent des histoires. Les artistes : sommes-nous face à des narrateurs conscients du potentiel de leur art ? Pas vraiment. Les politiques culturelles : se chargent-elles de nommer les infinies facettes du réel, d’ouvrir le champ des possibles et de donner du sens aux vertigineuses transformations du présent ? Loin de là. L’éducation : apprend-on à s’approprier la narration comme outil fondamental dans notre société démocratique ? Douteux.

En revanche, médias, politiciens et entreprises semblent bien plus motivés à nourrir notre imaginaire et à bâtir de nouvelles réalités à travers le récit. Ils savent qu’une bonne histoire peut avoir une grande résonance et devenir réalité. D’où vient cet écart ?

Les artistes devraient être les premiers à relever le défi que constitue la crise de l’imaginaire occidental — suivis des institutions culturelles, des médias, etc. Une société qui n’a pas la culture nécessaire pour raconter sa propre histoire est une société en danger. Ceci d’autant plus dans en monde en pleine mutation, traversé par toute sorte de conflits.

La tentation de revenir à des modèles anciens qui rassurent est là : les codes immuables de la religion, la fermeture des frontières, le rejet de l’autre différent de soi. Une culture active nous semble encore et toujours le meilleur antidote contre la peur et la vulgarité du cœur humain.

Mais la culture ne se mesure pas en nombre de livres à la maison, abonnements au théâtre ou à la saison symphonique. “Culture” est cette forme d’intelligence qui permet de restituer la complexité du réel sans la trahir. Ce qui donne le courage de mettre en question l’existant sans offrir des réponses faciles. C’est la gymnastique mentale qui nous aide à écouter et à respecter l’histoire de l’autre.

3. Prendre en charge l’éducation des narrateurs de demain

Il est temps de réfléchir à l’éducation de ceux qui définissent les contours de notre espace mental. Il est temps de diffuser plus largement l’accès à ces outils culturels essentiels. Il est temps de prendre au sérieux la résonance d’un récit bien construit — cohérent, détaillé, inattendu. Nous souhaitons donner vie à une communauté de narrateurs actifs et engagés, conscients de leur force et de leur pouvoir d’action. Pour cela, il nous faut imaginer une nouvelle pédagogie de la narration, capable de marier éthique et efficacité.

Hier, réfléchir en termes de stratégie de communication était le privilège d’une élite. Aujourd’hui, c’est une réalité qui concerne tout le monde. Ecrire un CV ou une lettre de motivation, structurer un dossier de production, faire un pitch, lancer une campagne de crowdfunding, soutenir un examen, rédiger un article, organiser une exposition, préparer un business plan, articuler le fil des pensées en vue d’un concours, transmettre une vision à son équipe ou poster un tweet : d’une manière ou d’une autre, nous sommes tous concernés.

Or, avoir une idée ne suffit pas. Il faut savoir l’exprimer de manière convaincante, la partager et la faire vivre dans un récit collectif. Des compétences précises que l’on peut apprendre, développer et affiner. Alors posons-nous la question : et si on donnait à tout le monde — quels que soient le métier, l’âge, le revenu, la position sociale ou la nationalité — les outils pour se faire entendre dans la rumeur ? Quelles seraient les conséquences ? Peut-être, nous verrions enfin nos plateaux de théâtre se remplir d’une réelle diversité, d’une authentique pluralité de visions et de langages. Et peut-être, nous verrions disparaître l’hégémonie de certains clans — dans le cinéma, la télévision, l’édition — qui racontent des histoires uniquement pour leur petit cercle d’amis.

L’expérience du monde que nous avons aujourd’hui est complexe, non-linéaire. La disruption numérique a bouleversé nos comportements et fait partie de tous les pans de notre vie. La profusion des sollicitations à notre cerveau a modifié notre manière de vivre, de connaître et de communiquer. La levée de barrières aux échanges (commerciaux, humains, d’informations) nous positionne aujourd’hui sur l’échelle planétaire : un événement à l’autre bout de la planète peut nous affecter autant que s’il a lieu au coin de la rue. Les migrations, les tensions identitaires, l’accélération technologique, la déchéance de la notion traditionnelle de travail : tout nous invite à nous poser la question de notre humanité dans le monde à venir.

La création de WHY STORIES est notre façon d’y répondre.

Luca Giacomoni & Andrea Zubialde

Pour aller plus loin :

  • Alessandro Baricco, Les barbares. Essai sur la mutation, Gallimard, 2014
  • Georges Lewi, La fabrique de l’ennemi. Comment réussir son storytelling, Vuibert, 2014
  • Christian Salmon, Ces histoires qui nous gouvernent, Gawzewitch, 2012
  • Nancy Huston, L’espèce fabulatrice, Actes Sud, 2008
  • Christian Salmon, Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2007
  • Stephen Denning, The Leader’s Guide to Storytelling, Jossey-Bass, 2005
  • Peter Watkins, Media crisis, Homnisphères, 2004
  • Annette Simmons, The story factor, Basic Books, 2001

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