Aurons-nous un CTO pour la France? 

La nomination récente d’un Administrateur général des données enterre-t-elle définitivement l’idée d’un CTO pour la France ?

Tariq KRIM
Tariq’s Thoughts

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La récente création d’un poste d’Administrateur général des données en France a été à l’origine de plusieurs articles de presse me citant comme l’un des promoteurs de cette fonction. . Ces articles faisaient le rapprochement entre cette annonce et la proposition dans mon rapport sur les développeurs de créer un poste de CTO (Chief Technology Officer) de la France. Comme il s’agit de deux fonctions très différentes, il m’a semblé utile d’apporter quelques précisions sur les enjeux liés à la création de ces fonctions.

https://twitter.com/axellelemaire/status/469027736502427648

Comme je l’ai indiqué à notre Ministre, cette nomination, une première en France, est un bon début, mais elle reste insuffisante.

À la suite de cette annonce, j’ai reçu plusieurs appels de développeurs inquiets qui me demandaient si cette nomination enterrait le projet de CTO et “s’il y aurait un jour un développeur pour prendre en main ces questions au plus haut niveau de l’État”.

C’est une excellente question, à laquelle je ne saurai aujourd’hui répondre et qui illustre malheureusement une spécificité Française. Que ce soit au niveau de l’État ou des grands groupes, y compris technologiques, nos leaders, à de rares exceptions près, n’ont pas la « culture du Code ».

C’est ce cri d’alarme que j’ai voulu lancer lors de la rédaction de mon rapport. Il est vrai que mon engagement pour un CTO est ancien.

Sur l’Open Data, qui n’a pas été mon cheval de bataille, je suis plus circonspect. En effet, si nous ne pouvons que nous réjouir d’aller vers une plus grande transparence de l’action de l’État, les conséquences liées à l’usage de ces données pourraient, si nous n’y prenons garde, se révéler beaucoup moins positives…

Dans un monde « Post Snowden » où quelques géants du numérique (et aussi et peut-être surtout quelques États) dominent par leur taille et leurs capacités techniques le monde des données, il n’est plus possible d’aborder le sujet de l’Open Data avec l’optimisme des débuts.

J’ai eu de nombreuses conversations sur ce sujet avec Henri Verdier et nous ne partageons pas toujours la même analyse.

Car avant d’établir une politique pour les données, il nous faut définir une politique technologique et industrielle au sens large. Afin d’établir des orientations stratégiques pour l’État et surtout définir dans quel monde numérique nous souhaiterons vivre.

Ainsi, ouvrir les bases de données de santé en les associant à des outils de prédiction statistique (ce que certains appellent Big Data) pourrait à la fois sauver des vies ou servir à exclure les patients moins rentables pour les acteurs de la santé. Le profiling, qui est la raison d’être de ces technologies, appliqué au services publics pourrait menacer l’égalité de traitement entre les citoyens, un des fondements de notre démocratie.

Où et comment placer le curseur?

Comment savoir, dans le monde où nous vivrons, si notre destin social ou administratif ne sera pas décidé par des algorithmes sur lesquels nous n’aurons aucune prise ?

Car au-delà de l’accès aux données, on doit se poser la question de la transparence des plateformes, des technologies qui seront utilisées, des architectures d’accès aux données, de leur sécurisation, de la protection de la confidentialité des données sensibles pour les citoyens.

Cette vision technologique ne peut pas être sous-traitée à des prestataires externes, car elle fait désormais partie intégrante de l’action politique.

Aujourd’hui ce savoir-faire est au mieux morcelé, au pire il n’existe pas au sein de l’État. Il faut une personne (ainsi qu’une équipe) pour définir, incarner et mettre en œuvre cette vision.

C’est le rôle d’un CTO de l’Etat.

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