Des lendemains libéraux - Esquisse d’une France libérale

Emmanuel BERNIERI
alluvie_news
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11 min readMay 1, 2020

Ce texte vient conclure un cycle de trois papiers dans lesquels j’ai mené une réflexion sur les différences entre Capitalisme et Libéralisme, ainsi que sur la dimension fondamentalement auto-destructrice du premier (Le capitalisme, un communisme inavoué — tbd_news, Le libéralisme panse les maux du monde)

Dans ce troisième papier, nous allons penser le monde d’après.

Je vais partir d’une société hypothétique, débarrassée des oripeaux du Capitalisme et ayant opéré un franc virage vers le Libéralisme.

Dans cette société, la bonne fortune nous sourit. La personne élue Président-e de la République française en 2022 est fervemment libérale.

Cette personne a les moyens de mettre démocratiquement en place une politique libérale. Appelons cette personne Hercule. Hercule sera ici notre valeureux héros, envoyé en mission pour terrasser l’hydre capitaliste.

Étudions à présent comment notre héros pourrait faire avancer nos sociétés vers un idéal libéral, et quelles pourrait être les implications de cette nouvelle trajectoire.

Au lendemain de l’élection, le combat avec le Capitalisme reste à mener : ce modèle n’a pas coutume de s’avouer vaincu aisément et notre héros sait que l’amalgame Libéralisme / Capitalisme a encore quelques beaux jours devant lui. Tout reste à faire et à déconstruire.

Notre héros mythique n’était pourtant encore personne il y a deux ans.

Il y a deux ans, nous étions en 2020 et le Capitalisme en était à son chant du cygne.

La Crise sanitaire puis économique et financière du Covid-19 et les décennies qui ont précédé ces bouleversements, telle est la période pivot qu’il nous faut une dernière fois étudier afin de finir d’expliquer comment le Capitalisme a lui même créé les conditions de son effondrement.

Après ce récit chronologique, nous reviendrons vers notre héros et décrirons les premières étapes fondamentales du virage libéral qu’il s’apprête à adopter ainsi que leurs effets sur notre pays et sur nos relations internationales.

Chronologie de la déchéance du Capitalisme — Récit de campagne de notre héros libéral

Rappelez-vous, nous sommes en 2022 et portons ici un regard critique sur les récents bouleversements auxquels nous avons dû faire face.

La Crise du Coronavirus — Acte final de l’effondrement de nos économies

La Crise du Coronavirus n’aura finalement été qu’une énième occasion d’observer en action les failles irréconciliables du Capitalisme et de constater l’impossible survie de ce système.

Comme il fallait s’y attendre, les Banques Centrales, ces chères pompières pyromanes, sont rapidement et massivement intervenues, comme elles l’avaient fait plusieurs fois depuis la Crise de 2008. Faisant fi des règles et principes fondamentaux de prudence en matière d’inflation, elles ont une nouvelle fois refusé corriger les racines du mal qui rongeait nos économies et se sont à la place contentées de jeter à la volée des seaux d’eau — les plus chers de l’Histoire !

L’incendie était finalement toujours le même que celui qu’elles avaient failli à éteindre, crises après crises, et qui était resté sournoisement dormant depuis des décennies.

Par cette combustion, aussi durable que non maîtrisée, de tous les piliers qui, jusqu’alors, assuraient la timide stabilité de nos systèmes et de nos économies, nous nous sommes laissé glisser vers une économie où l’Argent ne voulait plus rien dire.

La planche à billets a vomi du papier sans s’arrêter. Pendant la Crise du Coronavirus, la Fed a ainsi injecté (NDLR : montant à date) quelques 200 Mds de dollars par semaine dans l’économie étasunienne.

Aujourd’hui, en 2022, les marchés financiers regagnent péniblement leurs pertes de 2020, alors même que les prévisions économiques sont de plus en plus sombres sur l’ensemble de la planète.

Un même mal, les mêmes effets

C’était le cas en 2008, ce le fut de nouveau en 2020.

Parmi les victimes des crises économiques et financières récente figure notre tissu de petites entreprises. Une savante extermination a de nouveau été effectuée, laissant nos petites entreprises s’effondrer les unes après les autres, au profit des Grandes Entreprises, ébranlées mais toujours suffisamment solides financièrement pour se maintenir à flot et pour dévorer l’espace laissé vacant par ces petits acteurs.

Les Etats et les Banques Centrales d’alors, terrifiées par les spectres d’un chômage de masse et d’une récession sans précédent, se sont un nouvelle fois faits complices et victimes de ce mécanisme, et ne se sont donnés d’autre choix que celui de laisser ces Grandes Entreprises prospérer en les mettant à l’abri des faillites.

Le piège était finalement aussi magnifique que l’issue s’est avérée funeste. Les économies d’échelles des premières années font nécessairement et rapidement place au sauvetage en temps de crise, réduisant les finances publiques des Etats à néant et poussant la population vers toujours plus de précarité.

La question n’était alors plus de savoir si le Capitalisme est viable. Les deux décennies que nous venions de traverser et les quatre crises auxquelles elles sont auront exposées (Bulle Internet, Subprime, Dettes européennes puis Covid), dont deux parmi les plus dévastatrices jamais traversées (Subprime et Covid), ont mis un point final aux croyances naïves nourries par cette idéologie.

La question qui s’est alors posée fut de savoir quel modèle allait pouvoir le remplacer et nous garantir de ne plus nous précipiter à nouveau dans les même travers.

2022 — Le virage libéral

Dans cette analyse, je vais me concentrer sur les implications économiques ainsi que sur le rôle de l’Etat dans un système libéral. Bien d’autre aspects pourraient être approfondis, parmi lesquels les relations entre la France et l’Union Européenne, ou encore le rapport d’un gouvernement d’obédience libérale avec l’armée. J’ai fait le choix de ne pas développer ces aspects ici afin de ne pas alourdir mon analyse. Je profiterai des prochaines semaines pour développer des analyses sur ces différents points.

***

Hercule vient d’être élu.

Il sait qu’il doit s’atteler à redonner aux marchés leurs attributions pleines et entières et de rééquilibrer les finances publiques. Hercule va donc drastiquement modifier la façon dont les finances de l’Etat se construisent.

Pour ce faire, plusieurs décisions seront prises dans le but de stimuler l’emploi et la consommation, tout en supprimant les investissements publics dans les domaines non-régaliens.

Si l’on regarde du côté des finances publiques, en 2019 l’Etat avait accusé un déficit public de 73 Mds € (En 2019, le déficit public s’élève à 3,0 % du PIB, la dette notifiée à 98,1 % du PIB — Informations rapides — 73) et cumulé une dette de 1.825 Mds €. (https://www.aft.gouv.fr/files/medias-aft/7_Publications/7.2_BM/BM_2019/355_Bulletin%20mensuel%20d%C3%A9cembre%202019.pdf). Quant à la proportion de notre dette détenu par des non résidents: celle-ci se montait à 54,8% des encours totaux.

La grande question que se pose Hercule en 2022 est de savoir comment résorber ce déficit et commencer le remboursement effectif des dettes colossales contractées durant les 50 dernières années, tout en recentrant les dépenses de l’Etat sur ses missions régaliennes.

Le premier travail d’Hercule : Refonte ministérielle

Le premier travail de notre héros sera la redéfinition de ses ministères, ce qui lui permettra de concentrer les missions de l’Etat.

En redéfinissant ses ministères, Hercule envoie un signal républicain : il fait un pied de nez à ses prédécesseurs et tourne le dos à la plupart des grandes figures de la Vème République, voire également des précédentes.

Exit les ministères des sports, du travail, de la transition écologique, des comptes publics, de la cohésion des territoires, de l’outre-mer, de l’agriculture, ou encore de la culture.

Ces actions et ces missions ne disparaissent évidemment pas totalement. Elles perdent toutefois leur ministère et de trouvent absorbées par des ministères régaliens.

Le but est de repenser le rôle de chaque ministère et offrir à chacun la possibilité se concentrer sur les missions régaliennes. En d’autres termes, ce nouveau découpage ministériel a explicitement pour objectif d’éviter les “guerres d’ego” et également de limiter la cacophonie gouvernementale, telle que nous avons pu la connaître.

Il n’y aurait, par exemple, plus de différenciations entre l’Outre-Mer et les territoires. L’ensemble fera partie intégrante du nouveau Ministère de l’Intérieur.

Le nouveau cabinet ministériel sera composé comme suit:

  • Le Ministère de l’Intérieur, qui reprend les prérogatives de l’Outre-Mer, de la transition écologique, de la cohésion des territoires, et de l’agriculture.
  • Le Ministère de l’Exterieur (changement de nom du ministère de l’Europe & des Affaires Etrangères)
  • le Ministère des Armées
  • le Ministère de la Justice,
  • le Ministère des Finances, qui reprendra les prérogative du Ministère des Comptes Publics et de celui du Travail.
  • le Ministère de la Santé
  • le Ministère de l’Education, qui reprendra les prérogative de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieures, des Sports, et de la Culture

Le deuxième travail d’Hercule : Dissolution de l’Impôt

Il est temps pour Hercule de mettre en place sa mesure fondamentale : la suppression de l’Impôt.

Loin d’être une décision démagogique, temporaire ou un simple changement d’étiquette, cette suppression est un bouleversement philosophique, un chamboulement idéologique.

L’impôt dissous sera et partie remplacé par une très forte augmentation de la TVA. Celle-ci sera poussée jusqu’à atteindre les 30%. Cette augmentation sera évidemment accompagnée par une revalorisation du SMIC proportionnée à l’augmentation de la TVA. Cette revalorisation devra permettre d’éviter un appauvrissement dramatique des couches les plus pauvres.

Faire disparaître l’impôt, c’est aussi dire adieu à l’ensemble des niches fiscales, ainsi qu’à plusieurs missions de l’Etat, dont de nombreuses subventions. La disparition de l’Impôt s’accompagne de la revente de l’ensemble des participations de l’Etat dans des entreprises privées.

Le troisième travail d’Hercule : Réassurance constitutionnelle

A ce stade, les détracteurs de notre héros commenceront à lui reprocher le flou constitutionnel qui entoure la première année de son mandat. A ces reproches Hercule réaffirmera son adhésion, dans un premier temps au moins, aux principes de la Vème République.

Dans la première partie de son mandat, Hercule prendra le parti de s’appuyer sur la grande force de la Vème république, à savoir sa stable endurée. En prenant appui sur cette base solide, Hercule offre à son gouvernement le cadre nécessaire à l’enclenchement les grands travaux économiques.

Notre héros ne cachera toutefois pas son ambition constitutionnelle à moyen-terme. En effet, une fois les principaux changements économiques mise en place, une nécessaire refonte constitutionnelle sera opérée à l’issue de la deuxième partie du mandat de notre héros.

Cette refonte devra permettre aux citoyens de prendre leurs responsabilités et de davantage prendre part au débat ainsi qu’à la construction nationaux.

Hercule s’engagera donc probablement à poser les bases d’une VIème République qui reposera, entre autres, sur une dose importante de proportionnelle à l’Assemblée et sur une démocratie plus directe car plus décentralisée, où élus locaux et électeurs se trouveront rapprochés grâce à l’élagage administratif que nous observerons juste après.

Le quatrième travail d’Hercule : L’élagage administratif

Rationaliser les ministères, repenser les modes de financement de l’Etat, tout en assurant pour l’instant une stabilité et une cohérence constitutionnelles… Hercule avance. Il progresse. Mais il a conscience qu’il manque un pilier à ces chamboulements.

Les évolutions qu’Hercule et son gouvernement mettent en place devront s’accompagner d’une révision en profondeur du mille-feuille administratif territorial. Hercule détricotera certaines de ces strates, parmi lesquelles les départements, différentes collectivités, l’intercommunalité ou encore les métropoles.

L’objectif de l’éclatement des strates territoriales est de rationaliser la répartition des ressources de l’Etat sur le territoire.

Trois échelons seront donc maintenus :

  • Notre Parlement, qui correspond à la représentation nationale,
  • Les Régions,
  • et les Communes, grandes bénéficiaires de l’éclatement des strates et dont le rôle se trouvera considérablement renforcé. Ce renforcement sera aidé par le ruissellement des prérogatives des states dissoutes vers cette ultime strate.

Le cinquième travail d’Hercule : Repenser les relations internationales économiques

Nous ne parlerons pas ici de la relation de la France, avec l’Union Européenne car ce sujet nécessite en lui-même un papier que je préfère publier plus tard.

Tournons-nous à présent vers les relations internationales.

Dans l’inconscient collectif s’est ancrée une — fausse — idée selon laquelle le libéralisme implique que n’importe quelle entreprise française peut être rachetée par une entreprise étrangère et que le maître mot est le Laisser-Faire.

Hercule oppose à cela une vision pragmatique où des entreprises étrangères bénéficiant d’avantages garantis par de leur Etat d’origine, faussent le jeu libéral et ne pourront donc pas opérer en France afin de ne pas fausser notre marché.

En d’autres termes, si une entreprise étrangère désire entrer sur le marché français mais que celle-ci bénéficie d’aides publiques de son pays, des droit de douanes équivalents aux aides perçues par cette entreprise seront imposés sur les biens et services vendus, afin de ne pas fausser la concurrence.

Afin d’éviter collusions et émergence de monopoles écrasants, le rachat — goulu ! — d’entreprises sera également contrôlé. Par ailleurs, les entreprises bénéficiant d’aides publiques ne pourront tout simplement pas investir ou acheter d’entreprises sur le sol français.

Bien évidemment le rachat d’entreprise par des concurrents est tout à fait envisageable dans les limites des règles du libéralisme, à savoir en maintenant les conditions d’un environnement concurrentiel, sans qu’une influence faussée ne puisse impacter le marché.

La France se désengagera des accords reconnaissant l’autorité des tribunaux d’arbitrage. Les accords commerciaux internationaux sera dénoncés : le droit national devra systématiquement primer sur le droit international.

De même, les relations internationales en matière de diplomatie et militaires seront remises à plat, en suivant ce même raisonnement.

Le sixième travail d’Hercule : Changement de paradigmes. Les exemples de la Culture et de l’Education

Dans le domaine de la culture, secteur jusqu’alors massivement subventionné, le modèle économique sera forcé d’évoluer vers un modèle payant. Ce changement de paradigme sera compensé par la forte augmentation des salaires.

Ainsi verrons-nous se multiplier et se systématiser les systèmes d’abonnement à la Netflix, y compris pour la presse. Les domaines qu’Internet rendait faussement gratuit auront désormais un prix affiché et gagneront en valeur visible, objective.

A ceux qui accuseraient alors notre héros libéral de vouloir privatiser et discriminer l’accès à la connaissance et aux savoirs, il est en effet ici chose aisée que de montrer que la “gratuité” que nous connaissions en 2020 n’était qu’illusoire car financée sur les deniers publics.

La différence se fera désormais principalement sur la qualité et sur la demande de produits culturels. Un produit culturel ne pourra plus espérer survivre sans générer de capitaux et donc sans générer l’adhésion d’un public prêt à payer pour que ce produit soit toujours disponible. De ce fait, générer l’adhésion des concitoyens et non d’un seul individu, d’une organisation, répartissant de manière discrétionnaire des deniers publics, de manière plus ou moins subjective, sera nécessaire.

L’éducation, quant à elle, sera aussi bouleversée aussi bien au niveau de l’éducation primaire et secondaire que de l’enseignement supérieur qui sera revu et repensé afin de s’inscrire sur la longueur et non plus sur les quelques années suivant la fin de la formation secondaire des élèves.

Prenons tout d’abord l’éducation primaire et secondaire. Le gouvernement d’Hercule tâchera ici de mettre en application la plupart des propositions de l’IFRAP (Éducation : la France surpaye de 30 milliards). Ces propositions se basent sur un effort considérable demandé au corps professoral, en échange d’une revalorisation massive de leurs salaires.

Au niveau de l’enseignement supérieur, l’apprentissage continu sera largement renforcé pour que celui-ci joue pleinement le rôle de former les concitoyens et de faire évoluer les compétences avec le temps. Cela évitera le déclassement d’une partie de la population face au progrès technologique, tout en favorisant le maintien durable du lien intergénérationnel en ne laissant personne sur le bord de la route.

Conclusion

L’ensemble de ces mesures ne sont évidemment pas exhaustive mais doivent servir de base à une réflexion plus grande sur ce que pourrait être le choix du Libéralisme dans un monde en crise.

Dans cet article, j’ai voulu imaginer les contours d’une France libérale, pourfendeuse isolée d’un modèle au milieu d’un océan capitaliste. Cette esquisse rapide serait bien évidemment radicalement différente si plusieurs — voire de nombreux — Etats adoptaient parallèlement cette même voie. Partir de ce postulat m’a cependant semblé vainement utopiste.

Il est évident que beaucoup des points survolés ci-dessus mériteraient des approfondissements et analyses complémentaires. Mes prochains papiers tâcheront de développer plus complètement certains de mes arguments et certaines des pistes qui ont été développées ici à travers le prisme de l’actualité.

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