L’Allemagne à l’heure du choix

Emmanuel BERNIERI
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8 min readApr 9, 2020

Il fut un temps où nous aurions pu discuter ici d’une Allemagne qui comptait avant tout sur l’Europe pour son développement et souhaitait l’émergence d’un nouveau modèle européen, afin d’être un contrepoids tangible au géant américain et aux nouvelles puissances émergentes, comme la Chine.

Force est de constater que ce temps n’est plus.

Cette belle germano-européiste n’est plus et les grandes idées qui l’accompagnaient ont pris du plomb dans l’aile.

Aujourd’hui l’Allemagne est à un croisement de son histoire. L’Allemagne va devoir prendre des décisions décisives pour son future. C’est ce que nous allons explorer dans ce papier.

L’Allemagne exsangue : Sortie de la guerre froide

Après sa défaite à l’issue de la seconde guerre mondiale, l’Allemagne est démantibulée, estropiée, écartelée entre les Alliés : l’URSS et le monde occidental, sous la férule des Etats-Unis. Cette Allemagne diminuée est aussi divisée qu’affaiblie — à terre.

Au lendemain de la réunification, et pour la (les ?) décennie qui suivra, les ravages du communisme seront encore criants à l’est, tandis qu’à l’ouest le développement du pays aura creusé un fossé entre les deux Allemagne qui est, aujourd’hui, plus que jamais visible.

A partir de l’accélération de la construction de l’Union Européenne et des années 2000, l’Allemagne fera le pari de l’Union au sein de l’Union. Ce pari s’inscrivait alors comme une solution palliative aux inégalités chroniques qui la tiraillait toujours. L’Allemagne du début du millénaire a ainsi souhaité s’ancrer dans une alliance supra-nationale qui aurait dû créer les conditions de l’épanouissement et de la prospérité du pays tout entier.

C’est à cette période, que furent lancées les Réformes Hartz. Ce chantier d’envergure constituait un important train de réformes du marché du travail voulu par le chancelier de l’époque, Gerard Schröder. Ce train de réformes devait apporter une réponse au chômage galopant auquel le pays faisait face, résultat inévitable d’une fracture du pays toujours visible, à vif. L’objectif des réformes était de flexibiliser le marché du travail allemand à l’extrême en créant notamment ce qu’on appelle aujourd’hui les ein Geld-Job, que nous pouvons traduire par “job alimentaire”, et qui consistent en des emplois sans contrat bien déterminé, ni salaire minimum. La flexibilisation amenée par la réforme allait de pair avec une restriction sévère — draconienne — des aides aux chômeurs, incitant donc les personnes sans emploi à retourner le plus rapidement possible vers l’emploi, quitte à accepter lesdits ein Geld-Job.

La combinaison de ces deux mesures a eu un effet extrêmement positif sur le chômage et sur l’économie globale du pays, avec une chute visible et durable du chômage,

un excellent taux de croissance,

et une réduction de la dette de l’état:

Cette conjoncture positive du début des années 2000 offre à l’Allemagne un répit — illusoire — pendant lequel le pays peut espérer commencer à se construire en s’appuyant sur son unité retrouvée.

La situation n’est cependant pas la même dans les pays de l’UE qui n’ont pas pris le même train de mesures que l’Allemagne et qui souffrent désormais d’un désavantage compétitif dans une Europe à l’ère de Schengen, sans barrière douanière, et dans un monde toujours plus mondialisé.

La crise de 2008 et la rupture de l’Allemagne avec l’Europe

La crise de 2008 et la fin de l’Allemagne européiste

Lorsque la tornade d’effets de la crise de 2008 s’est abattue sur l’Union Européenne, l’Allemagne a été frappée de plein fouet. Son économie, principalement tournée vers l’export, l’a rapidement mise à terre. Toutefois, la reprise allemande, rapide et puissante, a été bien supérieure à celle des autres pays, du sud de l’UE notamment.

L’Allemagne, grâce à son rapide rétablissement économique, a créé autour d’elle une légende puissante de “héros économique européen” et a imposé progressivement son modèle — sa recette ! — d’austérité budgétaire au continent.

La diffusion large de ce modèle, à travers l’Europe, s’est faite aux dépens des spécificités historico-économiques des autres peuples, notamment ceux d’Europe du Sud, que nous oserons ici qualifier de moins dociles que le leurs cousins germanique.

A partir de ce moment, une nouvelle fracture se crée. Celle-ci entre les pays du Nord de l’Europe et ceux du Sud avec, entre les deux une France taraudée entre son identité latine et son ambition allemande.

L’Allemagne, du haut du trône économique européen sur lequel elle s’est propulsée, va cultiver, nourrir et diffuser un ressentiment aussi tenace qu’efficace à l’encontre de plusieurs pays — la Grèce et l’Italie, principalement — qui résistent, encore et toujours, à sa philosophie d’austérité.

Ce ressentiment encouragera finalement l’Allemagne à se détourner des alliances historiques tissées, notamment avec son voisin français, au profit d’une alliance nouvelle, renforcée voire privilégiée avec les Etats Unis.

Dès lors, l’Allemagne privilégiera obstinément son économie, tournant ainsi le dos à l’économie commune européenne. Cet allemano-centrisme sera visible dans les freins sévères imposés à la politique de défense européenne, ou encore dans le refus des eurobonds. Par cette nouvelle position, l’Allemagne aborde un rapprochement aussi étroit que surprenant avec la politique d’un des pays les plus historiquement eurosceptiques : le Royaume-Uni.

Il est ici important d’apposer un nouveau regard sur le bilan des Réformes Hartz qui, bien qu’ayant porté une certaine grandeur (et robustesse) économique allemande, ont aussi fait le lit d’un problème — une crise ? — démographique d’ampleur : la baisse de la fécondité,

associée à la pauvreté de la population.

Du fait de la chute de sa natalité, l’Allemagne s’est massivement penchée vers la solution migratoire via des flux importants de travailleurs à bas coûts, provenant notamment de Turquie.

Le solde migratoire, qui était déjà positif, est allé jusqu’à exploser en 2015 avec la crise des migrants. Cette crise, en éclatant dans une période où l’économie allemande manquait de main d’oeuvre, représentera une aubaine pour la chancelière Angela Merkel, qui su en tirer profit.

La politique migratoire allemande a malheureusement eu un effet dévastateur sur l’union — encore jeune et fragile — du pays, en appliquant une pression violente sur une fracture allemande qui ne s’était en fait jamais résorbée. Ce nouveau coup porté ouvrit la voie au retour d’un parti d’extrême droite jusqu’alors dormant dans le jeu politique allemand.

Le choix de l’Allemagne

Aujourd’hui l’intransigeante influence allemande de la décennie passée impose à l’Allemagne de cohabiter avec une Europe malmenée et fissurée. L’Allemagne, en ayant cherché à imposer sa volonté et un modèle qui n’était bénéfique qu’à son économie, au détriment des économies du Sud, se trouve acculée et ébranlée.

Le pays, plus fracturé que jamais, paye à présent le lourd tribut de sa politique migratoire suicidaire et de son aveuglement quant à la situation de l’ex-RFA, le tout alors qu’elle doit apprendre à composer avec un nouveau cercle d’alliés, au centre duquel trônent les Etats-Unis, en dépit de leurs défauts.

Un choix sur sa politique européenne

C’est dans ce contexte inédit que l’Allemagne va devoir faire son choix.

Elle pourrait choisir d’essayer de maintenir le cap, en cohabitant avec une Union Européenne unie seulement par son économie et ne prenant résolument pas en compte les spécificités de chaques pays, au risque de cliver encore plus le vieux continent avec une escalade des nationalismes. En faisant ce choix elle se tournerait définitivement vers les Etats-Unis, qui rêvent d’une Union Européenne qui ne serait qu’une annexe au marché américain, incapable de s’imposer en contrepoids crédible.

Ce choix lui permettrait de continuer à jouer une partition qu’elle connaît depuis maintenant quelques années. il lui permettrait même de conserver une certaine stabilité et lui éviterait d’avoir à se soucier de sujet pourtant ô combien importants, comme sa défense, en se reposant totalement sur l’OTAN.

Faire ce choix serait dans la continuité de la politique adoptée depuis maintenant une décennie et lui offrirait le rôle flatteur de trait d’union non plus au niveau européen mais plutôt au niveau mondial, entre le continent américain et le vieux continent. Cela placerait cependant le pays dans une situation peu enviable, à la botte des Etats-Unis.

Elle pourrait, au contraire, revenir sur ses fondamentaux et essayer de relancer l’Union Européenne, avec l’aide de pays dont la France, et de la modifier en profondeur. Ce choix constituerait un pari risqué mais avec un gain potentiel important autant en termes économiques que d’image, avec à la clé un retour de l’Allemagne comme modèle d’intégration dans le continent européen.

En faisant ce choix l’Allemagne reviendrait vers ce qui a fait sa grandeur dans les années 2000 et redeviendrait l’une des locomotive de l’Union Européenne économique mais aussi sociétale. A l’image d’un Helmut Kohl, le ou la future chancelier/re pourrait ainsi éviter une implosion de l’Union Européenne qui semble désormais de plus en plus inéluctable.

En se tournant vers l’Union Européenne l’Allemagne gagnerait une forme d’indépendance que les allemands commencent à appeler de leurs voeux et retrouverait par la même une fierté nationale trop longtemps étouffée au mauvais motif de son histoire passée.

Un choix sur ses relations transatlantiques

Un retour vers un européisme optimiste impliquerait de remettre à plat la relation du pays avec le continent américain, et notamment son servage à l’OTAN.

La probabilité pour que l’Allemagne investisse afin de se construire une armée capable de compenser l’aide fournie par l’OTAN n’est aujourd’hui pas réaliste.

Un choix sur sa politique migratoire

L’Allemagne ne pourra ignorer bien plus longtemps la colère de sa population vis-à-vis de l’immigration. Elle va aussi avoir à faire des choix dans ce domaine qui seront amenés à redéfinir la position de l’Allemagne dans le monde.

Les résultats des urnes de 2019 et 2020 dessinent en effet clairement les contours d’une opposition profonde à la politique migratoire d’A.Merkel.

Toutefois, remettre en cause sa politique migratoire mettrait à genoux une économie allemande aujourd’hui résolument industrielle et donc basée sur un besoin colossal en main d’oeuvre — à bas coûts.

Conclusion

L’année 2020–2021 va chahuter la première économie européenne et représenter un tournant, avec notamment une élection nationale qui nous proposera, espérons-le, des réponses aux choix proposés ci-dessus, ainsi qu’aux défis associés.

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