Le capitalisme, un communisme inavoué

Emmanuel BERNIERI
alluvie_news
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9 min readApr 16, 2020

Les femmes et hommes politiques qui nous gouvernent, comme la plupart d’entre nous — citoyens — d’ailleurs, associent et confondent sans complexe les notions de Libéralisme et de Capitalisme.

De ce fait, la critique récurrente et profonde qui est faite du Capitalisme vient également se déverser et entacher le Libéralisme. Les codes ADN des deux modèles, tout en étant proches, contiennent des variantes pourtant profondes et irréconciliables. Il existe en effet bel et bien entre ces deux philosophies des différences fondamentales, organiques.

Ce papier étant plus long que les précédents (https://medium.com/tbd-news), j’ai décidé de le diviser en trois papiers pouvant se lire indépendamment les uns des autres car soutenant des idées analysables séparément.

Dans ce premier papier, je m’attache à reprendre ce qu’est le Capitalisme et son application, ainsi qu’à démontrer en quoi ce modèle partage beaucoup de similarités avec l’application qui a été faite du Communisme. Nota — il ne sera pas question ici de la philosophie communiste aux sens de Polanyi et de Marx plutôt de ses applications, notamment en URSS.

Dans le deuxième papier, je m’attellerai à démontrer en quoi un retour au Libéralisme strict pourrait être salvateur pour notre monde.

Enfin, dans le troisième et dernier papier, je m’essaierai à l’écriture d’une fiction utopiste en imaginant ce que serait un monde appliquant pleinement les préceptes du Libéralisme.

Le Libéralisme et le Capitalisme, deux modèles à bien distinguer

La définition du Capitalisme repose avant tout sur la notion d’accumulation, que ce soit celle du capital comme facteur (moyen) de production, à un niveau macroéconomique, ou bien, à un niveau individuel, celle des biens, de l’épargne. Cette accumulation a un but, celui de la compétitivité confortable et conservée grâce aux économies d’échelle.

Le Libéralisme, quant à lui, repose sur les notions d’échanges libres (#1) et non-faussés (#2) entre agents économiques.

De ces deux notions découlent plusieurs autres pré-requis. Nous nous concentrerons ici sur deux d’entre eux, qui, lorsqu’ils sont agrégés aux notions d’échanges libres et non-faussés, constituent le socle des préalables à d’économie libérale.

Tout d’abord, les agents économiques doivent être libre d’interagir ou non avec le marchés.

Ensuite, il doivent posséder les connaissances nécessaire à l’estimation de la valeurs des biens, ce qui implique la nécessité de l’accessibilité à l’éducation pour tous.

La notion de liberté d’interaction avec le marchés impose que l’influence des acteurs du marché ne puisse impacter celui-ci dans sa totalité. De ce dernier point, nous pouvons extraire l’inadéquation fondamentale du Capitalisme et du Libéralisme. En effet, le capitalisme puisqu’il repose sur l’accumulation, promeut un modèle de concentration entre des Grands Acteurs qui sont, de facto, les seuls à même d’imposer ses règles aux marchés.

Cette nuance capitaliste fondamentale distingue Capitalisme et Libéralisme de manière irréconciliable. En effet, le modèle de concentration capitaliste produit une collusion — malsaine — entre les secteurs public et privé, qui renforce donc le pouvoir des grandes entreprises (Grands Acteurs), ainsi que leur confortable compétitivité, creusant donc inexorablement les inégalités entre les acteurs.

Le Libéralisme, quant à lui, laisse une très grande latitude en matière de prises de décisions des agents économiques, à leurs risque et périls.

Si l’on voulait faire une analogie, nous pourrions prendre l’exemple de deux créateurs d’avions : l’un, capitaliste, et l’autre, libéral.

Le capitaliste, lors son vol d’essai, sera conforté par la présence d’un parachute dans le cockpit de son pilote, de telle sorte qu’il peut prendre beaucoup plus de risques, sachant que l’issue aura nettement plus de chances d’être favorable, ou bien aux impacts limités.

Quant à l’avion du libéral, le fait que l’état ne lui fournisse rien et ne l’aide pas l’incitera à la prudence.

Ce problème du Capitalisme a d’ailleurs été justement dessiné par l’un des plus ardents défenseurs de Libéralisme, Milton Friedman. Friedman considérait en effet que les grandes entreprises, fers de lance du capitalisme, étaient finalement les ennemis du marché du fait de leur poid déstabilisateur sur le marché.

Bien sûr, à cet argument pourrait être opposée l’idée que le Libéralisme n’interdit en rien l’accumulation et que, de ce fait, le Capitalisme ne serait que la continuité “pure” et simple du Libéralisme. Rejoindre cette idée, c’est admettre et s’inscrire volontairement dans une confusion assumée des deux modèles.

Cela serait vrai si le monde dans lequel nous vivons n’était pas en perpétuel changement, occasionnant de fait des crises qui rebattent (écrasent et reconstruisent) les cartes, de manière aléatoire.

Le Libéralisme prône un gouvernement en capacité d’assumer pleinement ses tâches régaliennes : armées, justices, affaires étrangères et intérieures et finance publique, ce à quoi je souhaite également ajoutée la santé et l’éducation car, si nous en revenons à notre notion de marchés non faussés, il est du rôle de l’état de faire en sorte que sa population soit éduquée et en bonne santé.

Ainsi, si la gouvernance de nos économies occidentales, développées, avait été d’inspiration libérale rigoureuse en 2008, la crise des Subprimes n’aurait certainement pas vu le jour. D’une part, la Banque Centrale étasunienne n’aurait pas utiliser les taux d’intérêt pour masquer le déclin des Etats-Unis. D’autre part, les produits toxiques créés et revendus par l’industrie bancaire étasunienne auraient été évalués comme trop risqués et ne se seraient pas propagés comme cela a été le cas.

Si malgré tout la crise de 2008 avait surgit, le plan de sauvetage des grandes entreprises alors déployé n’aurait jamais vu le jour. Ces entreprises auraient fait les frais de la philosophie de “risques et périls” et aucun état n’aurait admis d’assumer la transmission du risque porté par ces Grands Acteurs via des dettes proprement ingérables.

En 2008, l’économie se serait effondrée, laissant couler les acteurs viciés et offrant le sursis à ceux en capacité de se relever. Cela aurait même permis l’émergence d’un nouveau modèle plus en adéquation avec les besoins réels de notre monde.

En 2008, l’économie se serait effondrée, faisant table rase et offrant à nos modèles une vraie chance de reconstruire un système durable et solide.

2008 aurait donc pu nous sauver de 2010 avec la crise de la dette, de 2020 avec sa crise financière, et des années qui suivront.

Le Capitalisme, au contraire, du fait de l’inexorable collusion public-privé souffre d’un réflexe tenace, celui de toujours chercher à sauver ses pairs et ainsi donner toujours plus de pouvoirs aux Grandes Entreprises. C’est de ce réflexe qu’est née la notion de too big too fail, statut quasi-mythique d’une entreprise qui ne peut pas — ne doit pas ! — s’effondrer, quoiqu’il en coûte.

Observez autour de vous à quel point ce phénomène est d’actualité. Nous avons sous nos yeux des entreprises, comme Boeing, qui dans un monde effectivement libéral, auraient dû péricliter du fait de ses prises de risques inconsidérées, mais qui attendent d’un jour à l’autre, sereinement, un chèque de 60Mds de dollars de la part du Congrès étasunien afin de les sortir de leurs errements.

Le Capitalisme appliqué: un retour au fondamentaux du Communisme

Si l’on reprend l’idée centrale du Communisme, à savoir la collectivisation des moyens productifs, nous pouvons alors oser qualifier le Communisme de capitaliste.

Certes, les moyens de productions ne sont pas entre les mains du privé. L’objectif reste cependant le même. Rare seront ceux qui s’étonneraient d’ailleurs aujourd’hui de voir la Chine communiste être l’un des acteurs s’en sortant le mieux dans le monde capitaliste.

Il serait par ailleurs pertinent d’analyser une tendance contemporaine du capitalisme qui, dans son évolution récente, du fait de cette collusion public-privé, n’aura finalement jamais autant tendu vers le modèle communiste tant décrié de l’URSS. Ainsi, les pouvoirs économique et politique se retrouvent-ils entre les mains d’une élite qui dispose de tous les leviers nécessaire pour agir selon sa volonté, sans se préoccuper des classes non dirigeantes, des masses, des sans-dents.

La Crise du Coronavirus vient éclairer cette analogie sous un jour nouveau. Elle met en lumière une verticale du pouvoir renforcée, avec au centre la sacro sainte Economie et les Grandes Entreprises, que nos états veulent à tout prix sauver.

Certes, lorsque l’on mesure la hauteur de la déferlante, il est pertinent de faire remarquer que même un libéral devrait intervenir pour éviter une explosion pure et simple des marchés. La question est finalement de savoir comment.

La crise de 2008 a apporté un triste enseignement à tirer de la théorie capitaliste: les pertes ont été pour l’Etat, et donc le peuple qui, par l’intermédiaire de l’Etat s’est endetté. En conséquence, cet Etat a notamment eu à renoncer aux investissements dans le milieu de la santé, qui se font cruellement ressentir aujourd’hui. Il n’y a cependant jamais eu de retours d’ascenseurs, de retours sur cet investissement colossal.

Dans un monde libéral, l’Etat peut intervenir ponctuellement mais avec des contreparties sonnantes et trébuchantes. C’est pour cela que les Banques Centrales existent.

Au lieu de cela, les Banques Centrales, dans notre beau monde capitaliste, interviennent aujourd’hui sans aucune contrepartie. Ainsi, la Banque Centrale étasunienne a purement et simplement annulé la notion de risque aux Etats-Unis en garantissant tous les prêts de toutes les banques grâce à la planche à billets (Wall Street : la Fed abolit le risque, les indices américains exultent).

Autrement dit, comme vous l’avez peut-être déjà lu dans mon précédent papier (Après le coronavirus, le déluge — tbd_news), l’argent ne vaut plus rien car ne veut plus rien dire. Il peut être imprimé de manière potentiellement illimitée.

La Banque Centrale européenne ne devrait d’ailleurs pas tarder à suivre ce modèle (la Banque Centrale anglaise ayant déjà emprunté cette voie — Coronavirus : la Banque d’Angleterre va financer directement les dépenses du Royaume-Uni).

Le Capitalisme pense ainsi utiliser une parade similaire à celle employée il y a 12 ans, en cachant sous le tapis les débris d’un système recollé laborieusement et à la va-vite. Penser repousser l’échéance, inévitable, de la marche du temps est illusoire. L’issue est inexorable et le système capitaliste finira par s’effondrer sur lui-même sous le poids de ses incohérences, comme le communisme l’a fait avant lui.

Finalement, à l’image du monde communiste, les chiffres de la relance annoncés ne veulent désormais plus rien dire. Notre époque ressemble douloureusement à l’époque pénible où les Secrétaires du Parti annonçaient fièrement l’extraction de millions de tonnes de charbon, alors même que celui-ci n’était pas utilisé pour faire tourner l’économie réelle.

Autour de nous, ce n’est pas du charbon, mais plutôt des milliers de milliards d’euros qui vont être créés par la Banque Centrale afin de financer du vent et ainsi maintenir la Grande Illusion.

Cela se voit déjà dans les marchés financiers: alors que le nombre de mort croît régulièrement, les marchés se sont à nouveau orientés à la hausse à la suite des annonces des Banques Centrales.

Le capitalisme ne s’accommode pas bien de la démocratie

Aujourd’hui, si nos femmes et nos hommes politiques associent si librement les notions de Libéralisme et de Capitalisme, ce n’est pas uniquement par fainéantise intellectuelle mais aussi dans le but d’obscurcir le débat pour ne présenter que deux issues à nos sociétés.

Selon notre “expert national”, Jacques Attali, un choix binaire s’offrirait à nous : la lumière divine du capitalisme d’un côté, l’obscurantisme aliénant du communisme dans l’autre. Ce choix binaire est un schéma connu et tissé à l’aide de robustes maillons invisibles dans nos imaginaires à tous. Notre inconscient partagé ne voit pas de véritable choix dans cette proposition, nous n’avons que trop appris que le coût humain, en millions de morts, induit par les applications passées du Communisme.

Pas de pilule bleue ou de pilule rouge pour nous. Ce n’est pas vraiment un choix que l’on nous offre, mais plutôt une injonction, une évidence, un renoncement.

Et si nous avons la chance de vivre encore dans un semblant de démocratie qui permet que nous puissions effectivement réfléchir, voire même dénigrer les propos de notre expert-penseur, il faut aujourd’hui se rendre compte que le capitalisme empiète de plus en plus sur la démocratie, en le tordant, en l’essorant, jusqu’à lui faire perdre ses valeurs initiales.

Un exemple qu’il me paraît judicieux d’avancer serait celui de la réforme de l’ENA (Ecole Nationale de l’Administration), entreprise par le Président Macron. Cette réforme entend notamment promouvoir une pratique qui était jusqu’à il y a peu était interdite ou en tous cas largement limitée: le pantouflage. Cette pratique autorise un étudiant de l’ENA de naviguer entre le public et le privé, sans avoir à se soucier de la collusion que cela entraîne, ainsi que des divers conflits d’intérêts inhérents à ce genre de pratique.

Malgré les attaques du capitalisme sur nos démocratie, il ne faut cependant pas tomber dans les bras des opposants frontaux à ce système. Gardons la lucidité nécessaire pour voir dans les alternatives proposées des traitements génériques qui, si appliqués, parviendront tôt ou tard aux mêmes résultats.

Ainsi quand Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen appellent à un nouveau keynésianisme et à une intervention tous azimuts de l’Etat dans l’économie, ce n’est finalement qu’un appel à la reproduction des mêmes schémas problématiques que le Capitalisme emprunte déjà, à savoir une concentration à l’excès du pouvoir entre les mains d’une minorité. Le risque final étant la détérioration sans précédent de nos démocraties, de nos tissus sociaux et de nos économies.

En offrant au Libéralisme la promotion qu’il mérite et en le proposant, enfin, comme véritable alternative au choix binaire et hypocrite qui nous est aujourd’hui proposé entre Capitalisme et Communisme, nous pouvons espérer faire émerger une solution viable non seulement sur le plan économique mais aussi politique et sociétal.

Nous verrons dans le papier de la semaine prochaine comment le libéralisme pourrait devenir une clef de voûte d’un système planétaire plus équilibré.

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