Le libéralisme panse les maux du monde

Emmanuel BERNIERI
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10 min readApr 23, 2020

La naissance du Capitalisme et ses conséquences

Des siècles d’histoire ont patiemment construit le monde dans lequel nous prospérons. L’ère contemporaine, façonnée par un Capitalisme largement diffusé sur tous nos continents, garde des racines encore fragiles car si jeunes. En effet, nous situons dans cet article les années 1980, et les événements bouleversants dont elles furent le théâtre, comme début de notre époque.

Les années 1980 doivent être analysées comme un segment crucial de l’Histoire et un prisme essentiel à la compréhension exhaustive de notre monde actuel.

C’est durant cette décennie que le modèle communiste a accéléré sa marche — forcée — vers le discrédit ; que l’URSS s’est effondrée ; et qu’a eu lieu le changement radical de politique économique de la Chine, impulsé par Deng Xiaoping et son socialisme de marché, qui permis à l’économie chinoise de devenir capitalo-compatible tout en restant une dictature totale, totalitaire.

Dans le même temps, deux leaders emblématiques du Capitalisme ont façonné ce qui sera la philosophie et la ligne conductrice de l’Économie Mondiale pour les quatre décennies qui suivront: Ronald Reagan, aux Etats-Unis, et Margaret Thatcher, au Royaume Uni.

La France, elle, s’essaya à une autre voie avec le socialiste François Mitterrand. Un essai raté et un échec cuisant qui conduiront notre pays au bord de la banqueroute et forceront le président à prendre le Tournant de la Rigueur seulement quelques années plus tard, opérant ainsi un virage à 180° aussi bien dans la politique du pays que dans les principes de l’homme, dont la “souplesse idéologique” demeure à ce jour rarement égalée.

Nous voici arrivés à la dernière décennie du millénaire.

C’est ici au tour des années 1990 de constater, abasourdies, le forfait des champions socialistes et communistes, au profit d’une victoire sans appel du Capitalisme sur toutes les doctrines et modèles alors en lice.

Résolus ou résignés, la plupart des pays du monde prendront acte de cette victoire et adopterons le Capitalisme comme norme économique indiscutable, sans aucune remise en question, ignorant ainsi les défauts manifestes de notre vainqueur dopé, qui ne daigne même pas les dissimuler.

Les économies ayant adopté en premier les réformes nécessaires à la diffusion du Capitalisme dans leurs tissus seront les premières à souffrir de ses vices. Nous pouvons ici évoquer l’exemple terrible de la fin de l’ère Thatcher, qui offrit à l’économie britannique l’expérience de l’un des antagonismes capitalistes suprêmes, à savoir la coexistence de la croissance et d’inégalités explosives, à travers tout le pays.

part du PIB capté par tranche de population, des 10% les plus riche en bleu au 10% les plus pauvres en marron.

le coefficient de Gini permet de mesurer les inégalités de revenus au sein d’une population

De la lecture de ces graphiques nous pouvons observer qu’à la fin des années 1990, en Grande-Bretagne, les richesses se trouvent concentrées au niveau du premier décile de la population. Les populations les plus pauvres n’ont pas bénéficié des politiques et mesures mises en place, ce qui n’a pas empêché une croissance de la richesse au niveau national.

Du côté des entreprises, c’est l’époque bénie de La City. Le Capitalisme joue son rôle de terreau fertile et propice à l’essor des grands groupes, notamment grâce à un allié de poids : les institutions politiques.

Ainsi, la place financière anglaise connaît une croissance sans commune mesure et devient rapidement la première place financière mondiale, avec l’émergence d’acteurs bancaires colossaux, comme Royal Bank of Scotland ou encore HBOS.

De l’autre côté de l’Atlantique, les lois qui entravaient le Capitalisme sont petit à petit abrogées aux Etats-Unis. Prenons l’exemple du Glass-Steagall Act, loi d’inspiration libérale qui avait pour but d’empêcher une banque d’être en même temps une banque de dépôt et une banque d’investissements, afin d’éviter que celle-ci ne mette en danger l’épargne des citoyens. Cette loi, véritable étendard emblématique de l’anti-capitalisme, fut abrogée en 1999.

Comprendre et analyser objectivement le monde dans lequel nous évoluons aujourd’hui nécessite d’admettre une dualité capitaliste fondamentale : le Capitalisme a amené une forme de croissance dans le monde et, avec cette croissance, une réduction drastique de la pauvreté. Le Capitalisme a aussi produit une augmentation des inégalités et une concentration des richesses.

Un monde capitaliste, c’est également un monde qui repose sur une incohérence de fond : le modèle capitaliste exige des rendements toujours plus importants, mettant donc toujours plus de pression sur les classes les plus pauvres, et augmentant mécaniquement toujours plus les inégalités. Les conséquences de mécanisme vicieux étant les crises successives et inéluctables que nous affrontons aujourd’hui.

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Le Capitalisme a définitivement perdu ses derniers liens avec le Libéralisme à l’occasion de la Crise des Subprimes, puis des suivantes. Lors de cette crise, les gouvernements sont intervenus massivement et sans hésiter, jetant aux orties les principes, auparavant fondateurs, de leur logiques capitalistes, au premier rang desquels figurait l’absence d’intervention de l’Etat dans l’économie.

Les fleurons des décennies précédentes ont été nationalisés, comme par exemple la Royal Bank of Scotland et HBOS, toutes deux massivement subventionnées par le contribuable anglais sous la houlette du premier ministre de l’époque, Gordon Brown (Gordon Brown décide la nationalisation partielle de banques britanniques).

La crises des Subprimes a mis en avant la collusion public-privé, ainsi que les arrangements — parfois — mesquins entre les élites des affaires et élites politiques, à l’image de la banque Lehman Brothers dont la faillite est autant dû à ses mauvais investissements qu’à la décision du gouvernement étasunien de la sacrifier au profit d’institution plus proches du pouvoir, comme JP Morgan ou Goldman Sachs, qui ont pu racheter les activités de leur concurrente déchue pour une bouchée de pain. N’oublions pas, par ailleurs, que le responsable du Trésor étasunien de l’époque était un ancien directeur de Goldman Sachs et que, depuis lors, tous les ministres du Trésor sont passés par Goldman Sachs à un moment de leur carrière.

Face à ce système extrêmement concentré, nous pouvons opposer le système libéral où la prise de risque ne peut être faussée par un interventionnisme étatique massif, ou de la part d’autres institutions, telles que les Banques Centrales.

Ce que le Libéralisme change par rapport au paradoxe capitaliste

Dresser le bilan des quarante années de Capitalisme forcenés que nous avons traversées, il convient d’affronter une réalité crue : les crises économiques s’enchaînent de plus en plus rapidement, augmentant de manière exponentielle les inégalités et mettant toujours plus en péril nos systèmes économiques et sociaux, avec une emprise toujours plus importante des élites économique et des dirigeants politiques sur l’ensemble des strates de la société.

Aujourd’hui, cet aveuglement idéologique nous pousse à vainement maintenir en vie un système par essence mortifère, qui ne fait qu’accroître les inégalités et qui produit inlassablement un ressentiment de la base pour les élites.

Les multiples relents nationalistes et la Crise des Gilets Jaunes sont les plus récentes expressions du malaise enfanté par le Capitalisme dogmatique. La question est maintenant de savoir si une autre voie est possible, sans que celle-ci ne nous fasse glisser vers d’autres extrêmes idéologiques, qui finiraient par eux aussi nous pousser vers les mêmes issues funestes.

Repenser l’histoire sous l’angle du libéralisme

Jusqu’à présent nous nous sommes concentrés ce que j’ose ici qualifier de Révolution Capitaliste, initiée dans les années 1980 et qui a largement façonnée l’époque dans laquelle nous évoluons. Essayons maintenant de réécrire l’histoire. A quoi aurait pu ressembler notre époque si un tournant libéral avait été pris ?

Reprenons les préceptes de la pensée libérale.

Le rôle de l’Etat n’est pas forcément de faciliter la vie des entreprises au sens où le Capitalisme l’entend ou l’interprète.

La fonction de l’Etat est avant tout de garantir que le marché soit accessible à tous et de permettre les échanges libres et non faussés entre les agents économiques. Pour ce faire, l’Etat va éviter et déconstruire les lois favorisant les concentrations oligopolistiques. Ainsi, une ère effectivement libérale aurait-elle permis que des lois comme le Glass Steagall Act ou le Sherman Antitrust Act aux Etats Unis ne soient pas dénaturées au fil du temps comme. Au contraire, ces lois auraient été scrupuleusement suivies. Cela aurait permis de fortement réguler l’émergence d’entreprises colossales comme JP Morgan ou Fannie Mae et Freddie Mac.

La principale différence entre le Capitalisme et le Libéralisme réside essentiellement dans la notion de responsabilité. Le capitalisme à tendance à diluer les responsabilités en cas de crise pour qu’aucun acteur individuel ne puisse au final se trouver accusé ou incriminé ni n’ait à assumer les responsabilités induites par ses actions et ses décisions.

De manière plus concrète, lorsqu’une entreprise est en bonne santé, il est courant d’associer ces résultats positifs aux vertus et à l’entrepreneuriat heureux de son ou ses dirigeantes, par ailleurs généreusement rémunérés.

Quand l’entreprise s’enfonce dans une crise, alors les pertes sont assumées par la collectivité constituant l’entreprise (management et salariés). Ses dirigeants adorés la veille n’étant alors que des victimes parmi (de nombreuses) autres des remaniements et transformations auxquels l’entreprise va avoir à astreindre dans le but de se relever.

Le Libéralisme, au contraire, exacerbe la notion de responsabilité. L’entreprise ne pouvant jouer le rôle de bouc-émissaire, la responsabilité incombe alors directement au preneur de décisions et les retombés de ces dernières ne peuvent être évitées par une quelconque collusion avec un Etat aux velléités protectionnistes. Cette épée de Damoclès permet une auto-censure, salvatrice pour les marchés.

Ramené à un exemple des plus contemporains, nous pouvons prendre l’exemple de l’avionneur Boeing qui, s’il avait admis comme principe de base qu’aucun deus ex machina ne pourrait venir le sauver de la banqueroute, aurait pu être davantage incité à agir avec prudence et précaution, notamment quant à la mise sur le marché du tragiquement défectueux 737 MAX.

La notion de déresponsabilisation dans le Capitalisme est aujourd’hui particulièrement criante dans le système juridique américain. Nombreux sont les — flamboyants ! — exemples issus de l’actualité où l’Etat étasunien s’empresse d’attaquer en justice des entreprises, principalement étrangères (mais pas uniquement) jusqu’à parvenir à de juteux accords à l’amiable. Ces accords onéreux garantissent à ces entreprise de ne pas être reconnue coupables, et donc de ne pas être privées du financement en dollars ni d’opérer aux Etats-Unis (BNP Paribas condamnée à payer son amende record aux Etats-Unis).

Un savant stratagème chèrement huilé de pots-de-vin institutionnalisés entretenu par un système judiciaire, aux allures quasi mafieuses.

Face à ce modèle moribond, nous pouvons voir que le Libéralisme, loin de reposer sur les entreprises, repose avant tout sur la notion de responsabilité individuelle. Cette combinaison, au delà de son impact sur l’économie comme nous venons de le voir avec la limitation de la prise de risque et donc une moins grande instabilité financière globale, pourrait aussi avoir un impact déterminant sur nos structures et rouages politiques, tout comme sur la gestion des finances des pays.

Le politique, dans un monde libéral doit se focaliser sur les tâches régaliennes, auxquelles j’associe la santé et l’éducation, fondamentale pour garantir le libre accès au marché, de manière non-faussée. Le mythe de l’Etat Stratège, ou de l’Etat Providence, soutenu par les chantres du keynésianisme n’ont pas leur place dans ce système. Le but du Libéralisme est de fournir aux citoyens les solutions leur permettant de s’en sortir eux-mêmes, et non pas de les protéger sans contrepartie, sans devoirs.

Le financement de l’Etat libérale ne repose pas sur l’impôt, qui est un prélèvement foncièrement arbitraire, trop dangereusement proche des intérêts électoraux et du démagogisme. Tout le monde aura ici en tête le souvenir de François Hollande et son impôt racoleur de 75% sur les plus grandes fortunes. Dans un système libéral, le financement de l’Etat provient intégralement de la TVA, ce qui permet une stricte égalité de traitement entre individus.

Je soutiens ainsi l’idée qu’il ne serait ni choquant ni irréaliste de rehausser la TVA près des 30%, pour peu qu’il n’y ai plus de charges ni d’impôts prélevés sur les entreprises ou sur leurs employés.

Ce changement radical de politique fiscale aurait un effet dopant sur les salaires ainsi que sur le marché du travail, tout en garantissant des revenus à l’équilibre pour l’Etat et en permettant donc des investissements conséquents dans ses missions régaliennes.

Le cas d’école du Coronavirus

Prenons l’exemple de la Crise du Coronavirus. Nous pouvons qualifier d’ubuesque le traitement qui en est fait.

Les Banques Centrales interviennent tous azimuts en entretiennent l’espoir illusoire de maintenir à flot un système défaillant depuis déjà plusieurs dizaines d’années. Depuis la publication de mon premier article, Après le coronavirus, le déluge — tbd_news le 2 avril, le bilan de la Fed a grossi de plus de 600 Mds, soit une augmentation quotidienne de 31.5 Mds USD, cela correspond grossièrement à 10% du budget de l’état français annuel (Etats-Unis: le bilan de la Fed atteint un nouveau record à 4 700 milliards de dollars).

Le Capitalisme révèle à nouveau les contours du schisme irréconciliable qui le sépare du Libéralisme par ses velléités interventionnistes persistantes qui pourraient faire rougir d’envie le plus fervent des économistes attérés (http://www.atterres.org/).

Les sauvetages extravagants deviennent notre lot quotidien, pensons ici aux sauvetages en cours et à tout prix des grands groupes tels que Boeing, le tout accompagné d’une envolée des dettes d’Etats qui n’auront comme véritable conséquence que d’accroître l’asservissement de nos démocraties, au profit d’une système capitaliste verrolé.

Face à cette triste réalité demeure l’espoir d’une autre trajectoire. Cette trajectoire alternative serait celle d’un l’Etat qui, ayant fait l’effort de se désengager de ses tâches non régalienne et conforté par un équilibre budgétaire garantit par les recette de sa TVA, serait en mesure d’investir massivement dans la santé et ainsi de garantir son excellence. Il en serait de même pour le système éducatif, aujourd’hui au bord de l’asphyxie aussi bien dans l’enseignement primaire, secondaire ou supérieur.

A ceux qui m’opposeraient l’idée qu’un Etat libéral ne permet pas de réguler les prix, prenant donc le risque de rendre ce système caduque, j’oppose l’idée de la liberté d’interaction avec les marchés, condition nécessairement garantie par l’Etat, ainsi que la lutte contre les monopoles, ce qui contraindrait les entreprises à s’ajuster en fonctions des désidératas des citoyens, et non de ceux des actionnaires. L’entreprise se retrouverait alors à sa bonne place, à savoir celle d’une organisation au service de ses usagers, et non l’inverse.

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