Les femmes ou les “oublis” de l’Histoire — épisode 51 : Pauline Villeneuve

Juliette Raynaud
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3 min readSep 5, 2024

Vous connaissez Pauline Villeneuve ? Née esclave en Guadeloupe, elle fut affranchie à Nantes et devint religieuse en 1716. Le combat qu’elle mena pour son émancipation et sa liberté suscita des débats juridiques majeurs sur le statut des esclaves dans le royaume de France.

©Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage

Pauline naît esclave en Guadeloupe en 1697. Elle est la propriété de Madame Villeneuve.

Nantes, janvier 1714. Pauline entre dans le port de Nantes à bord du navire Généreux qui vient de traverser l’Atlantique depuis la Guadeloupe. Elle accompagne sa propriétaire qui la met en pension au couvent des Bénédictines du Calvaire dès son arrivée avec l’intention de la retrouver à l’issue de son séjour à Paris. La pratique est rare ; la plupart des personnes esclavagisées qui entrent en métropole restent attachées au service domestique de leur propriétaire quand elles ne sont pas placées en apprentissage.

La jeune fille de 18 ans postule au noviciat de l’ordre. Déterminée et soutenue par de puissant·es allié·es, Pauline s’oppose à sa propriétaire quand celle-ci vient la rechercher en 1715. Dans l’acte de réception au noviciat établi le 26 janvier 1715, les sœurs ont pris la liberté de lui attribuer le patronyme de sa propriétaire et Mme Villeneuve y est qualifiée de « famille », non de propriétaire. Aucun élément dans les documents établis par les bénédictines ne mentionne le statut d’esclave de la jeune femme ni même, comme il est fréquent alors, sa couleur de peau.

Déterminée à récupérer celle qu’elle considère comme son bien, Mme Villeneuve tente de faire valoir ses droits sur Pauline devant le tribunal de Nantes, en se basant sur le Code Noir qui régit les rapports entre personnes libres et personnes esclaves dans les colonies françaises. L’enquête menée dans le courant de l’année 1715 conclut à l’indépendance de Pauline : la déclaration préalable indiquant que sa propriétaire l’avait conduite en métropole avec l’intention de la ramener dans les colonies n’a pas été établie.

Elle prononce ses vœux le 7 juillet 1716, sous le nom de sœur Pauline Rose de Sainte Thérèse. Elle demeurera plus de 50 ans dans sa congrégation à Nantes, où elle meurt en 1765, âgée de 69 ans. Elle y avait acquis le statut de « Vénérable mère », titre qui témoigne du respect dont elle jouit dans sa congrégation.

Pauline est enterrée au cimetière de La Bouteillerie, à Nantes.

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L’histoire de Pauline souligne l’imbroglio juridique que représente la présence de personnes au statut d’esclave sur le sol du royaume de France.

La victoire juridique de Pauline est exceptionnelle et doit le rester : sitôt le jugement de son procès rendu, le Conseil royal de la Marine est sommé de publier un texte afin d’éviter d’autres recours. Au mois d’octobre 1716, l’Édit du roi concernant les esclaves nègres des colonies, voulant légitimer les pratiques de la traite atlantique et l’esclavage colonial et préserver les intérêts des colons et des colonies, instaure une double rupture dans le droit français : il revient sur le principe du droit du sol et il crée dans le royaume une catégorie d’individus dont le statut n’existe pas jusque-là, celui des personnes vivant en esclavage.

Selon le principe du « sol libre », ordonnancé par Louis X en juillet 1315 à l’intention des serfs du domaine royal, toute personne esclave foulant le sol de la France métropolitaine devient automatiquement libre : « toutes personnes sont franches en ce royaume, et sitôt qu’un esclave a atteint les marches d’icelui, se faisant baptiser, est affranchi ». Cependant, au début du 18e siècle, cette disposition semble incompatible avec l’arrivée toujours plus importante d’esclaves en métropole, sans compter que les colons s’y opposent ouvertement.

Le principe du sol libre sera rétabli par la Révolution Française en 1791, avant d’être de nouveau suspendu ensuite par Napoléon en 1802, puis réaffirmé par Louis-Philippe 1er en 1836, et enfin élargi à toutes les colonies françaises en 1848 lorsque l’esclavage est définitivement aboli par la IIe République.

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Texte inspiré du livre 1716 Pauline une esclave au couvent de Krystel Gualdé, Editions Midi-Pyrénées, 2021

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