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Tendances sur la XR au Québec
10 min readAug 19, 2019

Tendances sur la XR au Québec

Xavier K. Richard, en collaboration avec Larissa Christoforo et Marine Leparc

Québec/Canada XR présente à ses lecteurs une série d’articles sur l’industrie des technologies immersives. Dans ce premier état des lieux, nous plongeons au coeur de l’histoire récente de la XR et analysons quelques-unes des tendances les plus marquantes de la création contemporaine au Québec.

Comment nommer l’immersif?

Dans un environnement où la technologie immersive avance à pas de géant et tisse des collaborations toujours plus étroites avec l’être humain, il nous est apparu adéquat de catégoriser les champs d’activités pour mieux s’y retrouver : réalité virtuelle (VR), réalité augmentée (AR), réalité mixte (MR), hologrammes, mapping, réalité X (XR). Tour à tour, on a vu la VR s’afficher comme promesse de médium social et de divertissement de l’avenir, l’AR porter le rêve de la démocratisation et de l’accessibilité du savoir, et la MR tirer le meilleur parti des deux.

Le terme XR, qui date de 1961, à la suite d’une intervention de Charles Wyckoff sur une pellicule photo qui dépassait le cadre de la vision humaine normale, semble ouvrir de nouvelles perspectives aujourd’hui, permettant entre autres à l’industrie de nommer ces technologies émergentes grâce à une définition plus large et mieux adaptée aux élans artistiques des créateurs. La XR désigne l’environnement élargi de la réalité mixte. Il englobe un large éventail de procédés technologiques, d’interfaces, de machines et de logiciels conçus pour la création de contenu immersif de type VR, AR, MR ou autres, et qui permettent de faire entrer des objets numériques dans le monde physique ou inversement. Le « X » dans « XR » représente une variable extensible, une notion qui peut à tout moment s’étendre à de nouveaux champs d’expérimentation. Cette malléabilité est, selon certains experts, favorable à la création artistique : «Il faut parler d’immersion de manière inclusive», commente Hugues Sweeney, producteur exécutif du studio interactif de l’ONF. « C’est assez typique de notre milieu, on aime changer de terme au 5 ans, mais la notion de XR est probablement la notion la plus inclusive qui ait été proposée depuis 2015. Elle permet notamment de concevoir des projets mixtes entre les expériences usagers sans devoir ériger des frontières terminologiques. » Tous ne sont pas, néanmoins, friands de cette nouvelle appellation. C’est le cas de Mathieu Savard, co-fondateur et directeur technologique chez Altkey à Québec : « Pour nous, la XR désigne surtout une réalité mixte mieux adaptée à son environnement, notamment via des procédés plus performants d’intégration des objets, comme par exemple l’occlusion. La XR devient un terme quelque peu galvaudé si on y inclut le concept de VR. »

Dans l’ensemble, le secteur d’activité de la créativité numérique est en forte croissance. Alors que le chiffre d’affaires de près de la moitié des entreprises sondées était de moins de 500 000 dollars en 2015, plus du tiers d’entre elles aujourd’hui ont un chiffre d’affaires entre 1 et 5 M$.

Il serait ardu d’estimer le nombre de compagnies au Canada, au Québec ou à Montréal dont le secteur d’activité se retrouve rattaché à la XR. Par ailleurs, le défi persiste sur la mesure de cette croissance dans les prochaines années. À tout le moins, la XR permet de rassembler les pratiques sous une dénomination inclusive. Est-ce que cela sera suffisant pour augmenter la notoriété des créations auprès du grand public, ou encore pour jouer un rôle bénéfique dans la représentativité auprès des acteurs politiques? Une chose est sûre, les oeuvres, elles, participent à la notoriété de la XR auprès des auditoires.

Parallèlement aux questions terminologiques, nous observons d’autres tendances dans le panorama québécois de la création numérique :

Tendance 1 : La VR qui fait tourner les têtes

L’industrie possède son lot de contraintes pour rejoindre un large auditoire. Mathieu Savard n’hésite pas à évoquer un « désert du VR » : « C’est plutôt rare qu’une application ou une expérience qui te fait dire OK, ça a changé ma vie. Je n’ai pas l’impression que les gens vont acheter des casques pour la maison, car on veut rester connecté avec notre environnement, la famille, les enfants, etc. Pour moi, ça ne sera jamais grand public. »

Même si, parmi les entreprises de création immersive, c’est la VR qui est la plus produite et la plus développée (comme le souligne cet article du FMC), les oeuvres indépendantes doivent faire face avec une dynamique bien ancrée : les oeuvres voyagent peu, ce sont les publics qui doivent à l’inverse venir vers les créations. En découle un défi de tous les instants : créer du contenu extrêmement fort pour attirer le plus large d’usagers possible.

Pour Nicolas S. Roy, directeur de création chez DPT, le contenu a toujours été la clé pour démocratiser la VR. Et il apparaît que les studios commencent à prendre de la maturité et à se professionnaliser. « La tendance est de se rapprocher d’Hollywood et du cinéma dans leur façon de créer des blockbusters. Au Québec, c’est sûr que nous ne produisons pas encore beaucoup de fiction, disons des fictions avec des acteurs scannés en 3D. Mais c’est un modèle intéressant. »

Tendance 2 : l’AR et la démocratisation de la XR

Pour beaucoup d’observateurs, l’enjeu du moment est d’élargir les auditoires en s’émancipant du casque de réalité virtuelle ou des lieux physiques de diffusion. Mathieu Savard défend que la démocratisation de la XR passe par la MR : « La chose qui pourrait changer la donne en ce moment, ce dont je rêverais, c’est que des casques de MR soient mis sur le marché et deviennent grand public. »

Plus immédiate, l’AR est peut-être la technologie avec le plus de potentiel sous-utilisée, mentionne Hugues Sweeney. « On sous-estime encore les capacités de la AR sur mobile. Tout le monde a encore en tête Pokémon Go, et pense à l’AR de manière un peu ironique. Mais on oublie que ce jeu a permis d’alphabétiser quantité d’utilisateurs sur cette nouvelle technologie et ce nouveau langage. Pour moi, il reste encore beaucoup à faire en mobile et en AR. »

Mathieu Savard soulève que l’AR offre quelques avantages dans un cadre d’espace public. « L’AR, c’est moins de gestion de casques, moins d’humains à gérer, et c’est surtout plus accessible.» Il persiste cependant des frictions : « tous les téléphones sont différents, les gens peuvent être réticents à installer une app sur leur téléphone, et ce n’est pas toujours adapté pour les enfants. Le phénomène important sous-jacent, à mon avis, c’est probablement que les expériences XR vont globalement et progressivement se miniaturiser. »

Tendance 3 : investir l’espace public

Si la XR investit de plus en plus notre vie de tous les jours, c’est notamment grâce à son implantation dans l’espace public : dans les villes, dans les cinémas, dans les musées. Ces institutions ont développé au fil des ans une sensibilité envers l’expérience utilisateur, créneau où la XR y trouve une place de choix. Ces partenariats non seulement font rayonner l’expertise et l’industrie locales, mais créent également des opportunités pour faire grandir les auditoires.

Hugues Sweeney, de l’ONF, mentionne qu’il y a eu une prise de conscience chez les institutions sur le rôle de l’expérience utilisateur. Pour lui, il s’agit d’une réalité concrète qui a donné un second souffle au studio interactif qu’il dirige et positionne mieux le rôle de la XR dans ce secteur. « Auparavant, les musées, par exemple, s’occupaient du contenu et s’occupaient ensuite du design et de l’expérience utilisateur. Depuis 5 ans, on remarque la tendance inverse, soit d’abord de se doter d’une expérience utilisateur et ensuite définir le contenu. »

À Québec, Mathieu Savard y voit certes des opportunités d’affaires, mais celles-ci sont restreintes. « Pour nous, ça reste des petits projets, du cas par cas. Les dates de lancement sont souvent serrées, et le marché, lui, limité. C’est pourquoi on regarde davantage vers l’international, par exemple vers la France, la Chine, ou la Suède. » La productrice indépendante Audrey Pacart partage la même préoccupation, mais cite tout de même le Quartier des spectacles comme modèle à suivre dans l’intérêt de la création indépendante : « Aujourd’hui, au Canada et au Québec, dans le monde du muséal, la VR et l’AR c’est microscopique, si on se compare avec la France par exemple, ou les États-Unis. Il y a beaucoup de sensibilité à éveiller encore. »

À Montréal, le Centre Phi fait figure d’exception dans le domaine de la diffusion en programmant ponctuellement à son agenda des oeuvres XR locales et internationales. Notons par exemple l’exposition Björk Digital, et plus récemment The Horrifically Virtual Reality.

Tendance 4 : la création hors les centres

Le secteur culturel canadien a tout de même joué un rôle important pour développer l’industrie de la création XR hors Montréal. À Ottawa, notamment, des musées nationaux s’en sont épris (Anthropocène au Musée des beaux-arts du Canada, ou encore Birdly VR au Musée canadien de la nature), et des projets naissent aux quatre coins du Saint-Laurent, dont au Musée de la Gaspésie, qui a reçu récemment le Prix d’excellence de la Société des Musées du Québec pour Gaspésienne no 20. Dans le sillon d’Ubisoft, implanté à Québec et à Chicoutimi, un marché de talents est également en train de naître, consolidant les acquis de cette industrie.

Le portrait économique n’est toutefois pas toujours raccord avec ces velléités, comme le souligne Mathieu Savard, de Altkey : « À Québec, les compagnies apparaissent et disparaissent. Je pense à La Riposte studio, Alexor, Immersive 360, toutes des compagnies qui ont fermé leurs portes. Le mot d’ordre, c’est que c’est dur, et que tout le monde doit faire un pivot à un moment où à un autre vers un modèle d’affaires différent. »

En effet, il semble que le marché existe, mais qu’il est ardu de tirer son épingle du jeu. En région plus qu’ailleurs, les créateurs sont toujours en phase d’expérimentation. Ce qui amène la tendance inverse lorsque des compagnies d’événementiel pivotent elles-mêmes vers l’immersif pour accroître leur expertise, à l’image de Novom immersive à Québec, qui vient de fusionner avec une compagnie de technologie, comme le mentionne Mariona Ferrer, directrice de Québec EPIX chez Québec international : « C’est sûr que les modèles d’affaires ne sont pas évidents. Les grandes institutions voient un peu toujours la technologie comme un gadget. C’est l’effort de Québec EPIX notamment de créer du maillage, et d’aider les entrepreneurs à sortir parfois du divertissement pour travailler avec des secteurs comme la santé ou le génie civil, et, surtout, à aller s’inspirer à l’international. »

Québec/Canada XR consacrera d’ailleurs un prochain article sur les programmes de soutien aux créateurs et producteurs XR.

Tendance 5 : le rayonnement international

Le rayonnement à l’international figure aussi sur la liste de préoccupations des créateurs, et les opinions ne sont pas unanimes à ce sujet.

Pour Audrey Pacart, productrice indépendante, les blockbusters à la québécoise sont chose rare : « Les acquis sont minimaux. C’est vrai qu’il y a eu quelque chose d’extraordinaire avec Félix & Paul, ce qui a permis de mettre le Québec sur la carte. Mais à part Félix & Paul et l’ONF, disons, le rayonnement des oeuvres canadiennes est quasi-inexistant à l’international. La réalité, c’est que le financement public ne le permet pas. Personnellement, je persiste à travailler en production en incluant des formats non-immersifs, question de faciliter la diffusion. »

En entrevue, Samantha Cook, directrice chez Artefact 5, demeure optimiste. Elle précise que Montréal n’est pas devenue une plaque tournante pour les créateurs d’effets spéciaux par hasard : les créateurs y sont talentueux. « Le Québec compte un nombre incroyable d’entreprises qui travaillent à la création de jeux, d’expériences et d’applications VR / XR qui mélangent les lignes. Les studios québécois font de grandes choses en matière de narration, comme par exemple d’Afterlife de Signal Space Studios, et excellent dans la création de partenariats internationaux pour créer du contenu XR en mouvement. »

Récemment, Artifact 5 a pu faire un saut à l’international, grâce notamment au maillage entre disciplines. Le projet en question a été réalisé dans le cadre d’une collaboration à Sundance avec les cinéastes américano-néerlandaises Jongsma + O’Neill, et a mené l’équipe à créer une expérience narrative en VR portant sur l’innocence et le tumulte de l’enfance.

Conclusion

Cet état des lieux sommaire de la création XR au Québec jette les bases pour une série d’articles qui exploreront différents défis auxquels fait face l’industrie et permettront de développer la réflexion sur la discipline. René Pinnell, PDG de Kaleidoscope, disait qu’« Il a fallu plus de 100 ans au cinéma pour devenir l’art que l’on connaît aujourd’hui. À l’image du cinéma, il faudra plus de temps à la réalité virtuelle pour devenir un art », dans un rapport du Leadership Council for Immersive Art & Entertainment en 2017 (on peut retrouver ce rapport — en anglais — ici).

Peut-être ne sommes-nous pas (encore) en mesure de prédire l’avenir de la XR.

Québec/Canada XR s’efforcera cependant de présenter des sujets qui semblent importants pour ses acteurs : la relation à l’éthique, les notions du droit dans le domaine ou encore les coproductions internationales et les enjeux de financement seront traités par les experts du milieu pour mieux nous éclairer.

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