A Mexico, la chasse à l’eau courante au temps du Covid

Malgré les recommandations d’hygiène face à l’épidémie, environ 40 millions de Mexicains n’ont pas accès quotidiennement à l’eau et multiplient les trouvailles et les arrangements pour s’en procurer et en stocker.

Emmanuelle Steels
Text-Mex
3 min readMay 1, 2020

--

Se laver les mains fréquemment… Mais avec quelle eau ? La principale recommandation sanitaire en ces temps de Covid-19 résonne comme une aberration dans beaucoup de foyers mexicains. Ceux où le robinet est un engin purement décoratif, qui crachote, les bons jours, un filet de liquide brun. Car l’eau courante n’est pas si courante.

Un peu plus de 10 millions de foyers, soit quelque 40 millions de Mexicains, n’ont pas accès quotidiennement à l’eau. Par intermittence, jaillit un liquide qui n’est ni potable ni vraiment transparent. Une majorité d’habitations disposent des installations basiques qui sont reliées au réseau de distribution d’eau. Mais les canalisations sonnent souvent creux. Dans la capitale Mexico, les habitants jonglent en permanence avec les coupures d’eau.

Guet et guerre

En plus du pompage dans les nappes aquifères de la ville, un système d’acheminement colossal a été mis en place pour approvisionner la vallée de Mexico, qui comprend la capitale de 8 millions d’habitants et sa banlieue. Les failles du système et les fuites provoquent des coupures intempestives. En bon indicateur des inégalités, les pénuries d’eau touchent particulièrement les quartiers populaires de l’est de la ville.

“Au début de l’épidémie, on a passé un mois sans eau”, raconte Martha Martínez, qui vit sous le même toit que sa fille, le mari de celle-ci et leurs deux enfants. Cette habitante de Tlahuac, une des zones “sèches” de Mexico, décrit les étapes épiques de la chasse à l’eau dans son quartier.

Elle habite dans un ensemble d’immeubles de 60 appartements. Les jeunes se réunissent et font le guet sur les grandes avenues. Dès qu’ils voient passer les camions-citernes de la municipalité, ils les prennent en chasse à moto ou à pied. Entre les bandes des différents lotissements, c’est la guerre. Ceux qui parviennent à sauter les premiers sur le camion l’emportent. Le véhicule est détourné et le chauffeur convaincu de remplir la citerne des logements. Puis, billets à l’appui, il est persuadé par les habitants de rabattre d’autres camions-citernes dans les jours qui suivent.

Flotte jaunâtre

Ensuite, il faut gérer habilement la récolte d’eau. “J’ai deux barils de 100 litres et toute une panoplie de bidons et de seaux dans mon appartement, relate Martha Martínez. Après le passage du camion-citerne, je remplis tout et je fonctionne avec ces réserves.” L’eau des lessives est recyclée pour laver les sols. La flotte jaunâtre, brune ou orange, qui jaillit après les longues pénuries, sert à arroser les plantes. Et quand il n’y a plus d’eau et que les camions-citernes se montrent fuyants, les habitants se lavent avec les bidons de 20 litres d’eau potable achetés dans les commerces.

Après un mois complet sans une goutte s’échappant du robinet, la municipalité de Tlahuac s’est engagée à envoyer un camion-citerne tous les deux ou trois jours à chaque ensemble de logements. Exceptionnellement, pandémie oblige, l’eau est livrée. On concède à la population le droit de se laver les mains.

--

--

Emmanuelle Steels
Text-Mex

Correspondante au Mexique / Periodista corresponsal en México desde 2008. Escribí “El teatro del engaño” (2015) y “Mexique, la révolution sans fin” (2018).