Au Mexique, les domestiques confinées chez leurs employeurs

Emmanuelle Steels
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3 min readApr 29, 2020

Confinés avec la bonne. Certains Mexicains, parmi les plus privilégiés, ne veulent pas renoncer à leur domestique en cette période d’épidémie de Covid-19, alors que les citoyens sont censés rester chez eux. Précaires, mal considérées, une grande partie des 2,4 millions d’employées de maison, dont 300 000 rien que dans la capitale Mexico, ont continué à travailler. Et si beaucoup sont confinées, ce n’est donc pas chez elles.

Marcelina Bautista, fondatrice et dirigeante du syndicat des employées de maison, soupire au bout du fil en énumérant les actions arbitraires des riches familles mexicaines.

«On a reçu plusieurs plaintes d’employées mises à la porte, parfois après vingt ou trente ans au service d’une même famille, parce qu’elles ne voulaient pas rester enfermées avec ces gens.»

En effet, comment envisager pour eux d’empoigner un balai, de laver leur linge sale ou de se faire à manger… toutes ces tâches dévolues à leur indispensable muchacha (“bonne”)…

Bautista affirme que ses pairs en voient «de toutes les couleurs». Il y a celles qui sont enfermées contre leur volonté et ne peuvent pas disposer de leur jour hebdomadaire de repos pour s’occuper de leur propre famille. Celles qui sont renvoyées chez elles sans paie «parce que l’employeur prétexte qu’il ne perçoit plus son salaire». Et puis celles à qui l’on ordonne d’astiquer plusieurs fois par jour toutes les surfaces…

«Leur travail n’est pas considéré comme un emploi à part entière», explique le sociologue Roberto Zedillo, spécialiste de l’exclusion. «Beaucoup de Mexicains considèrent leur domestique comme un membre en plus de la famille.»

Sous couvert de relation affective, on ne reconnaît pas leurs droits. Malgré les réformes législatives récentes qui obligent les employeurs à les engager sous contrat et à les affilier à la sécurité sociale, une infime minorité d’entre elles osent revendiquer ces droits, par crainte de perdre leur travail.

Les employées qui changent tous les jours de maison doivent passer plus de deux ou trois heures quotidiennement dans les transports publics.

«Si les 300 000 travailleuses domestiques de la ville de Mexico pouvaient rester chez elles durant trente jours, ce serait bénéfique pour tout le monde dans la lutte contre le virus», affirme Marcelina Bautista.

En leur absence, les riches se retroussent les manches et découvrent les tâches ménagères, dont ils commentent les difficultés sur les réseaux sociaux…

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Emmanuelle Steels
Text-Mex

Correspondante au Mexique / Periodista corresponsal en México desde 2008. Escribí “El teatro del engaño” (2015) y “Mexique, la révolution sans fin” (2018).