Pourquoi je déteste aimer Game of Thrones

Âmes sensibles, s’abstenir.

Note : l’article ne contient miraculeusement pas de spoilers.

L’opportunisme paie. L’effervescence conjuguée des réseaux sociaux et des campagnes de promo pour Game of Thrones, season 3 m’a achevée d’écrire quelques lignes teintées de mauvaise foi (mais de foi tout de même) sur… le livre. L’original. L’ancestral chainon manquant avec du vrai papier recyclé dedans. Ce foutu bouquin, commencé après avoir regardé les deux premières saisons d’HBO qui m’ont à la fois énervé et frustré, malgré la qualité indéniable des acteurs, de la photo et de la mise en scène. Enfin ! Je parcourais librement les vastes contrées de Westeros, imprimant mon propre rythme à travers l’infinité de lignes peuplant ces pavés massifs que sont les tomes de A Song Of Ice And Fire, déroulant leur Histoire avec une grande “hache”. Mais en suis-je sorti indemne ?

L’éternelle ambivalence

Ma première surprise vint du tempo, à la fois rapide et lent. Les chapitres sont légions et succincts (10 à 20 pages), Martin jonglant sans répit entre la dizaine de personnages dédiés. De cette manière, on sent les rouages de l’histoire se mettre en place et cliqueter les uns contre les autres pour faire avancer le mécanisme principal, qui tourne certes sans répit mais avec une lenteur diablement provocante. L’effet, immédiat, est de s’avaler des kilomètres d’encre jusqu’à repaître son envie de découvertes, rebondissements et autres aventures pimentées. En clair, des chapitres palpitants et incroyablement fouillés au service d’une trame principale dont on peine à comprendre les enjeux avant la bagatelle de deux mille pages. Lorsque j’eus enfin compris ce sadisme infâme, je me sentis joué par un auteur mégalomaniaque et arrogant (“Mais pour qui se prend-il, *****”) et tout aussi interloqué : je ne me l’avouais pas, du haut de ma prétention de lecteur, mais j’étais enfin surpris par un livre que je pensais formaté par le genre médiéval fantastique. Sans le savoir, j’avais mis le doigt dans l’engrenage.

“Fidèle lecteur, mon semblable, mon frère !”

À mes risques et périls, je continuais donc ma lecture mouvementée, jouant avec le feu de mon plaisir. Parlons de l’histoire. Implacable elle roule littéralement sur les figurines en plastique qui font office de protagonistes. Ne cherchez pas de Frodon, pas question de laisser un vulgaire jouet voler la vedette à cette hydre à 10 têtes. Lorsque l’auteur en coupe une -sans anesthésie pour notre empathie-, d’autres s’engouffrent dans la brèche pour combler le vide. On les déteste, leur souhaite le pire dans nos pensées vengeresses mais quoi qu’il arrive ce satané bouquin ne nous appartient pas. On se retrouve condamnés à être les témoins privilégiés d’un massacre en règle de la figure héroïque. Comment parler de héros lorsque leur pouvoir de décision se limite… à ne rien décider, justement (sigh). Martin s’amuse comme un diable à tromper ses personnages, leur tendre des pièges dans lesquels ils vont misérablement tomber. Pour mieux les balayer, quelques centaines de pages plus loin, d’un revers de la plume. Combien de fois me suis-je damné de ma propre naïveté en m’attachant, plein d’espoir, aux actes d’untel ou unetelle avant de les voir encaisser un cruel retour de flamme ? A Song of Ice and Fire souffle le chaud et le froid sur ces destins croisés, sans s’encombrer de sentiments.

The Devil is in the Details

Enfin détaché de ces futilités que sont sentiment et identification , on apprécie l’enchevêtrement des chapitres contés avec une allégresse inégalée. Chaque vêtement, chaque monture, chaque pierre recouverte de mousse deviennent vivant grâce à cette écriture souple et sans concession. J’y attache la seule comparaison valable à The Lord of the Rings. Les deux ouvrages trouvent leur poésie dans les petites choses de leurs mondes imaginaires. Parfois, Martin s’en amuse en contant les moindres subtilités d’une vie affective adolescente forcément ennuyeuse de banalité. Quelques pages plus loin, on apprend qu’au même moment une bataille décisive et tant attendue venait d’éclater. J’avoue avoir jeté mon pauvre exemplaire contre un mur en espérant que le choc secoue les mots et les remette dans le bon sens. Rien n’y fit. Je continuai ma lecture en avalant encore une fois ma frustration devant ce Mur de pages qui me renvoyait à la face ma propre prétention.

Lassé de boire la tasse, je décidai d’apprendre l’humilité et appris à me laisser porter par le courant. Soudain l’action se transforma, grâce au talent de Martin, en une lame de fond qui vint traverser les chapitres en me faisant chavirer de délectation.

Merci à Baudelaire.

Originally published at https://www.lestroisdoigtsdelamain.com on April 4, 2013.

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