Vivendi peut-il devenir le studio européen majeur ?

Frederic Guarino
The Mediaquake

--

Paré de son trésor de guerre de presque 30 milliards d’euros après les ventes d’actifs des 3 dernières années, Vivendi a abattu sa première carte avec l’offre, modeste, sur Dailymotion.

Retour en arrière: délesté de ses joyaux telecoms, le groupe a été recentré par Vincent Bolloré et les dirigeants de Vivendi autour de la musique avec Universal Music et pour le cinéma/tv sur la production et l’exploitation via Canal + et Studio Canal. Comme l’avouait récemment Arnaud de Puyfontaine, le volume du trésor de guerre de Vivendi est tel “qu’[il] n’en dort plus la nuit”. On le comprend, vu les capacités stratégiques que ces 30 milliards permettent, à un moment-clé pour l’industrie du divertissement.

L’offre sur Dailymotion fait beaucoup de sens pour un groupe encore très tributaire de revenus dits traditionnels et qui doit se tourner vers le digital comme moteur de croissance. On peut penser que les conseils avisés de Yannick Bolloré, aux commandes d’un groupe Havas lui aussi résolument tourné vers les canaux digitaux, n’y sont pas pour rien. Vivendi a promis à ses actionnaires et au marché un plan d’attaque d’ici la fin 2015, en l’attendant, essayons de faire quand même un peu de prospective.

1. Dailymotion annonce certainement d’autres acquisitions dans le secteur de la vidéo en ligne

La probable acquisition de Dailymotion par Vivendi remplit le cahier des charges du gouvernement français qui souhaite un repreneur tricolore et a découragé d’abord Yahoo et maintenant PCCW. Pour mémoire, l’actionnaire de contrôle de PCCW, Li Ka Shing, le tycoon de Hong Kong a été à l’origine du groupe Orange au milieu des années 90. Une alliance avec PCCW aurait été un retour au bercail. Vivendi doit accélérer son développement dans la vidéo en ligne pour préparer l’avenir et l’acquisition de Dailymotion répond à cet impératif. Le rôle de distributeur en ligne des produits Vivendi par Dailymotion est méconnu mais à noter. En effet, Dailymotion est le distributeur en ligne de Canal + au Canada. Il est possible d’envisager une extension de cette stratégie, qui peut rappeler celle opérée par HBO, qui lance cette semaine HBO Now, son service en ligne, découplé de l’abonnement au câble.

Etant donné ses moyens, Vivendi va très certainement procéder à d’autres acquisitions digitales, pourquoi pas aux Etats-Unis. Vimeo, qui appartient au groupe IAC de Barry Diller, serait une cible intéressante, notamment en raison de son avance sur la vidéo sur demande via le web et la production originale. Vivendi va aussi certainement regarder les opportunités sur les marchés émergents d’Asie, d’Amérique Latine et du Moyen-Orient.

2. Canal+ et Studio Canal pourraient être mariés avec un mini-studio américain pour accélérer la mutation du groupe en acteur de taille mondiale

L’industrie américaine du divertissement subit un certain emballement et une redistribution des cartes. Les studios centenaires ont, pour la plupart très bien résisté aux mutations technologiques et restent les meilleurs distributeurs de contenus. Leurs activités de production tv sont florissantes et s’exportent très bien. La course au contenu original. lancée par HBO à la fin des années 90, a créé des mini-studios très dynamiques et aux capacités de production éprouvées. Vivendi est très certainement à l’étude du dossier AMC Networks, propriété de la famille Dolan de New York, actionnaire de contrôle et dirigeant du cablo-distributeur Cablevision. Les Dolan ont réalisé un spin-off de AMC Networks en 2011 et l’ont introduit au Nasdaq. Sa capitalisation boursière est de 5.5M de $. AMC Networks est opérateur de 4 réseaux cablés: AMC, IFC, SundanceTV et WeTV. Ses succès dans la création originale de séries tv: Mad Men, Breaking Bad, The Walking Dead, en font un mini-studio incontournable. Un mariage avec Vivendi permettrait au groupe de rentrer par la grande porte sur le marché américain, avec une force de frappe très complémentaire de l’activité de Canal+ et de Studio Canal. Les chaînes de AMC Networks constituent un débouché naturel pour les productions originales de Canal+, ainsi que pour celles de Studio Canal. La maîtrise de la chaine de production originale par AMC Networks pourraient aussi être une pièce maîtresse dans une stratégie de mini-studio côté cinéma, étant donné le poids très important de la Vidéo Sur Demande dans les revenus du cinéma indépendant qui correspond à la ligne éditoriale de Canal +.

3. Canal Satellite et ses 5 millions d’abonnés peuvent constituer un actif stratégique pour faire grossir l’activité en Europe et ailleurs

Le groupe Canal+ a opéré une croissance externe via le rachat des chaînes à péage Nethold du groupe Richemont en 1996. Il est possible que l’histoire se répète, à partir du socle Canal Sat et de ses 5 millions d’abonnés. Vivendi a vendu SFR à Altice mais n’a peut être abandonné ses ambitions telecoms. En effet, le satellite continue à être une technologie en croissance sur le marché sud américain et asiatique. Vivendi est certainement à la recherche de proies sur ces marchés, où une combinaison des offres de Canal+ et d’autres acteurs — pourquoi pas AMC Networks — pourrait constituer un bouquet attractif. Ensuite, le satellite permet d’être opérateur internet et de cibler les bassins de population qui ne sont pas ou mal desservis par l’ADSL et le câble. Là aussi il y a certainement des opérateurs dignes d’intérêt pour Vivendi.

Vivendi, décrié par presque tous et presque laissé pour mort, est de nouveau un groupe aux ambitions mondiales dans le divertissement. Les prévisions de Jean-Marie Messier sur la convergence entre les contenants et les contenus se sont pour la plupart avérées plus qu’exactes mais peut être trop tôt pour Vivendi. Un Vivendi puissant et aux moyens énormes est un ultime pied de nez aux importuns pour Messier, surtout si le groupe refait une entrée fracassante sur le marché américain….

--

--