Créer une organisation responsable en utilisant la gouvernance participative
De plus en plus, nous entendons les dirigeants parler de responsabiliser les membres de leur organisation. L’idée est d’amener les gens à s’approprier et à assumer la responsabilité des rôles et des tâches, et à prendre des initiatives pour faire progresser l’organisation et améliorer ses résultats. Malgré les bonnes intentions, l’impact de ces ambitions est souvent limité.
Le problème est que la grande majorité des équipes n’ont pas vraiment l’impression de s’approprier leurs méthodes de travail. Tout leur a toujours été dicté : des rôles qu’elles jouent, aux réunions auxquelles elles participent, en passant par les outils qu’elles utilisent.
Comment pouvons-nous avoir une organisation responsabilisée si nous ne changeons pas la structure du pouvoir ? Que faudrait-il faire pour que chacun ait vraiment son mot à dire dans l’organisation ?
La nécessité d’une nouvelle approche
Tout le monde ressent le poids de la dette organisationnelle : des processus dépassés, l’absence d’accords documentés ou explicites sur la manière dont le travail doit être effectué, et le flou autour de la question de savoir qui prend la décision finale dans diverses situations. Nous parlons de ces défis et encourageons les gens à s’approprier leur travail, mais nous manquons d’un forum où nous pouvons mettre à jour les politiques, les rôles et les accords pour refléter les besoins actuels.
Dans la plupart des organisations, on part du principe que l’on n’a pas le droit de faire quoi que ce soit sans en avoir reçu l’autorisation. Avec le temps, la bureaucratie s’accumule jusqu’à ce que presque plus rien ne puisse être entrepris. Seuls les cadres supérieurs sont en mesure d’agir librement et de prendre des décisions au nom des personnes qui effectuent le travail. Tous les autres, non autorisés à résoudre leurs propres problèmes, développent un sentiment d’apathie et d’impuissance acquise. Les dirigeants sont dépassés parce qu’ils travaillent dans une structure où la prise de décision est concentrée au sommet. Tout cela conduit à un cercle vicieux où l’engagement diminue, où des erreurs sont commises et où les dirigeants ne font plus confiance à personne. Empêcher les gens d’utiliser leur jugement et de prendre ce type de décisions est trop lent pour notre monde dynamique et en constante évolution.
Mais il existe une alternative. Les organisations progressistes veillent à ce que chacun ait la liberté et l’autonomie d’utiliser son jugement pour servir l’objectif de l’organisation. Leur hypothèse par défaut est que vous pouvez tout faire, sauf si une politique ou un accord spécifique l’interdit. Pour que cela fonctionne, il faut partir d’une position de confiance. Les organisations progressistes distribuent autant que possible l’autorité aux équipes et aux individus qui travaillent au plus près du marché ou des clients, là où se trouvent l’action et l’information. Les équipes peuvent alors assumer une pleine responsabilité et une véritable appropriation de leur travail et de leur façon de travailler. Il en résulte un meilleur apprentissage organisationnel et de meilleures performances.
La norme de la réorganisation continue
Le modèle habituel de changement organisationnel consiste en une réorganisation à grande échelle tous les deux à quatre ans. Ces restructurations sont risquées, difficiles à mettre en œuvre et très perturbatrices. Elles ne reflètent pas non plus le rythme réel et la variété des changements qui se produisent dans l’environnement commercial. Elles sont généralement conçues de manière descendante et déconnectées des réalités des personnes qui seront impactées par le remaniement.
Plutôt que d’adopter cette approche descendante, prédictive et exécutoire pour réaffecter les membres de l’équipe, les organisations doivent développer une capacité d’adaptation permanente aux événements actuels. Lorsqu’il est correctement habilité, chaque membre de l’organisation peut agir comme un capteur, discerner comment les choses se déroulent, et fournir des données précieuses pour gérer ce processus. C’est ce que nous appelons la gouvernance participative.
Qu’est-ce que la gouvernance participative ?
La gouvernance participative offre la possibilité aux individus de participer à la direction, au pilotage et à l’élaboration de l’organisation.
En appliquant ce style de gouvernance, la responsabilité de façonner le fonctionnement d’une équipe ou d’une organisation n’est plus reléguée aux seuls dirigeants. Au lieu de cela, chacun s’approprie et assume la responsabilité de résoudre les problèmes et de saisir les opportunités. Nous laissons les personnes concernées par ces opportunités façonner les règles et les contraintes du système d’exploitation de l’organisation. Cela inclut des éléments tels que la manière dont nous prenons des décisions, la manière dont nous planifions et établissons des priorités, la manière dont nous partageons l’information et d’autres politiques ou accords de travail.
Commençons par un peu d’histoire
L’idée de gouvernance participative est issue de la sociocratie, qui peut être définie comme la gouvernance par ceux qui forment une association. Cette forme de gouvernance est devenue une pratique populaire il y a plus de cinquante ans aux Pays-Bas. Mais sa première application est apparue encore plus tôt, lorsque le jeune Gérard Endenburg a fréquenté une école fondée par Kees Boeke, qui s’inspirait des principes et des pratiques des Quakers. Dans son école, Boeke a tenté de réformer l’éducation en permettant aux contributions et aux idées des enfants d’être entendues. Il appelait ce processus “sociocratique” et considérait le personnel et les élèves comme des participants égaux à la direction de l’école. Toutes les décisions devaient être acceptables pour tous ceux qui étaient concernés, qu’ils soient enfants ou adultes.
Dans les années 1960, Endenburg est devenu le directeur général de la société d’ingénierie de sa famille et a introduit cette philosophie sur son lieu de travail. Il s’est rendu compte que le consensus était non seulement impossible à l’échelle, mais qu’il ne reflétait pas le fonctionnement réel des systèmes adaptatifs. Endenburg a proposé que le consentement plutôt que le consensus soit le principe qui gouverne les organisations et les communautés. Son argument était que toutes les décisions impliquant des politiques — accords, règles, rôles, structures et ressources — devraient être prises par le biais du consentement éclairé des personnes concernées.
Les processus développés par Endenburg ont été affinés au fil des ans par les praticiens de la sociocratie. Ils ont ensuite été réintroduits sous une forme plus structurée en tant que prise de décision intégrative par les créateurs de l’holacratie (plus d’informations sur la PDI ci-dessous). Pour en savoir plus sur la vision inspirante d’Endenburg, vous pouvez regarder mon interview avec lui.
Utiliser le consentement pour favoriser le mouvement de progression
Contrairement à la recherche d’un accord unanime, l’obtention d’un consentement requiert un statut de non-objection. Cela diffère du consensus, où tout le monde doit partager la même opinion. Le consentement demande aux équipes d’adopter toute proposition qui se situe dans la fourchette de tolérance collective plutôt que dans la préférence personnelle de chaque individu.
Chacun peut exprimer ses objections, qui sont ensuite traitées par la personne qui propose l’idée (le proposant). Cependant, quiconque s’oppose à une proposition ne peut pas simplement y opposer son veto ; il doit tenter de la faire évoluer et la bonifier. La proposition est ensuite modifiée jusqu’à ce que tout le monde consente à l’essayer, pour autant qu’il soit convaincu qu’elle ne causera pas de préjudice irréversible à l’entreprise ou à l’équipe.
Une grande partie du dysfonctionnement entourant la prise de décision dans les organisations est fondée sur une perception déformée du risque. Toutes les décisions n’ont pas le même poids et ne doivent donc pas toutes être traitées de la même manière. Certaines décisions ont des implications risquées et irréversibles, tandis que d’autres sont peu risquées et facilement réversibles. Si nous définissons la ligne de flottaison, c’est-à-dire ce qui peut être tenté sans danger (ou “safe-to-try” — Ndtr: bien qu’il s’agisse d’un Anglicisme, cette formule me semble plus courte et plus efficace), il devient plus facile de répartir l’autorité et de donner aux gens les moyens de prendre des décisions.
Dans de nombreux environnements de travail, il est courant de passer des heures à débattre de différentes options. Cela ralentit tout progrès et ne permet souvent pas d’obtenir davantage d’informations. Pour y remédier, le concept de “safe-to-try” encourage les équipes à tester quelque chose et à recueillir davantage de données. Ce n’est qu’en mettant la décision en pratique qu’elles peuvent réellement apprendre si celle-ci fonctionne.
Mise en pratique avec des réunions de gouvernance participative
L’être humain a un penchant pour la négativité : nous sommes doués pour remarquer quand quelque chose ne fonctionne pas et nous repérons facilement les failles des systèmes, en particulier celles avec lesquelles nous travaillons au quotidien. Nous appelons cela une tension, un écart que nous ressentons entre la réalité et ce que nous aimerions qu’elle soit.
Le défi consiste à trouver un moyen de canaliser cette capacité de détection et ce potentiel vers une action productive plutôt que vers des plaintes inutiles. Les réunions de gouvernance participative offrent ce forum. Au cours de ces réunions, tout membre de l’équipe peut présenter une proposition de changement, aussi minime soit-elle. La réunion fournit une structure permettant à l’équipe d’y répondre. L’objectif de la réunion est de mettre à jour, d’articuler ou de supprimer des accords de travail (règles, processus, rôles, droits de décision, etc.) qui nécessitent le consentement de l’équipe.
Le Processus Décisionel Intégratif (PDI)
Au cours de la réunion, nous utilisons le Processus Décisionel Intégratif (PDI) comme algorithme pour traiter une proposition sur la base des principes de consentement et du “safe-to-try”, comme expliqué ci-dessus. Le PDI contient une série de tours qui servent à traiter une proposition. Avant tout, la méthode donne la priorité à l’inclusion et à la dynamique de progression.
Au début, ce processus peut sembler lent, car l’équipe doit se défaire de ses mauvaises habitudes. Avec le temps, cependant, les équipes expérimentées sont capables de mener à bien ce processus assez rapidement. Même au début, la plupart des équipes trouvent que le PDI est plus efficace et plus rapide que les conversations déstructurées habituelles. N’oubliez pas que nous vous recommandons de faire appel à un facilitateur pour garder le groupe sur la bonne voie. Confiez cet honneur à un membre de votre équipe capable de diriger le groupe de manière fiable, plutôt que de vous en remettre à un leader ou au “plus haut gradé”.
Voici les étapes à suivre :
- Proposition. Invitez un membre de l’équipe à décrire une tension qu’il essaie de résoudre, suivie d’une proposition écrite de solution ou d’expérimentation. Voici un modèle que nous utilisons souvent et qui vous aidera à affiner votre réflexion sur le contexte, les faits, les hypothèses, les contraintes et les risques potentiels. Dans ce tour, tout le monde écoute sans intervenir pendant que le proposant parle.
- Clarification. En faisant le tour de la table, donnez à chaque participant la possibilité de poser des questions au proposant afin qu’il puisse bien comprendre la proposition. Le proposant réponds aux questions des participants. Aidez les participants à conserver leurs suggestions (même celles formulées sous forme de questions) pour le tour de réaction.
- Réaction. En faisant le tour de la table, donnez à chaque participant la possibilité de réagir et/ou de faire des suggestions qui pourraient améliorer la proposition. C’est l’occasion pour eux de partager leur point de vue. Le proposant écoute les réactions, mais ne réponds pas avant le tour suivant.
- Ajustement. En fonction des questions et des réactions, le proposant peut modifier sa proposition (ou non) et clarifier tout ce qui n’était pas clair. Le proposant peut également retirer sa proposition à ce moment-là s’il ne souhaite plus la poursuivre en raison de ce qu’il a appris.
- Consentement. En faisant le tour de la table, donnez à chaque participant la possibilité d’exprimer une objection s’il en a une. Une objection est définie comme une raison pour laquelle il serait dangereux d’essayer ou que cela causerait un préjudice irréversible à l’équipe ou à l’organisation. La barre est placée très haut, car l’objectif est de progresser — une étape sûre vers la résolution de la tension initiale. S’il n’y a pas d’objections, c’est l’étape finale.
- Intégration. S’il y a des objections, demandez à l’opposant ou aux opposants de travailler avec le proposant pour modifier la proposition, en la rendant plus petite, plus rapide, meilleure, moins chère, ou tout ce qui est nécessaire pour obtenir le consentement des deux parties. Une fois que toutes les objections ont été traitées, la proposition est acceptée.
Points à considérer
- N’utilisez pas le PDI pour chaque décision. Voici quelques exemples d’utilisation inutile : lorsque le problème est simple, lorsque la décision ne bénéficiera pas du feedback du groupe, ou lorsqu’un rôle a le pouvoir de décision ou des droits de décision pertinents. Dans ce dernier cas, utilisez le PDI pour établir des accords de travail sur les droits de décision des rôles qui font partie de l’équipe. Ainsi, la plupart des décisions quotidiennes peuvent être prises par les personnes occupant ces rôles sans avoir besoin de l’approbation des autres.
- Vous aurez besoin d’un registre transparent et accessible des politiques, rôles et autres accords qui existent actuellement. Ce registre pourrait être hébergé dans votre propre wiki interne, mais il existe plusieurs logiciels qui répondent à ce besoin. La dernière en date est Murmur, une start-up issue d’une initiative interne de The Ready et spécialement conçue pour faciliter la gouvernance participative.
- Les réunions de gouvernance participative peuvent être appliquées au niveau de l’équipe, mais pourraient tout aussi bien être organisées au niveau des “ équipes d’équipes “ pour traiter des accords à l’échelle de l’organisation. Si les personnes impliquées sont trop nombreuses pour que ce type de réunion fonctionne, nous recommandons d’élire des représentants pour y participer.
- Certains dirigeants peuvent trouver cela difficile parce que la culture d’entreprise leur a appris que leur valeur réside dans le fait de démolir les choses et de poser des questions “ pièges “. Mais en commençant par des questions, nous montrons l’importance de la compréhension. Cela donne le ton de la collaboration (plutôt que de la défense) pour le proposant. Un autre défi que présente ce processus est de donner à chacun un temps de parole, ce qui peut être difficile pour ceux qui sont coutumiers du devant de la scène.
- Des incidents isolés peuvent trop facilement conduire à la bureaucratie. Les auteurs du livre Rework décrivent ce phénomène en ces termes : “Dans de nombreuses organisations, les politiques sont des tissus cicatriciels organisationnels. Ce sont des réactions excessives codifiées à des situations qui ont peu de chances de se reproduire. Elles constituent une punition collective pour les méfaits d’un individu.” Nous encourageons une gouvernance minimum viable, c’est-à-dire, quelle est la version la plus légère des accords formels ou des procédures administratives nécessaires pour fonctionner efficacement ?
La gouvernance participative est la responsabilisation dans sa forme la plus authentique. Elle permet de faire appel à l’intelligence collective, de s’adapter en permanence et d’exercer un leadership à tous les niveaux. Êtes-vous prêt à l’essayer ?
Je travaille chez The Ready: un partenaire de design et de transformation des organisations qui vous aide à découvrir une meilleure façon de travailler. Tous les membres de notre équipe ont contribué directement ou indirectement à cet article, mais la grande majorité de ce contenu a été créée par Aaron Dignan, Ali Randel, Rodney Evans et Sharan Bal. Clare Wieck a apporté son aide en tant que rédactrice. Si vous avez aimé cet article, écoutez l’épisode sur la gouvernance participative (en anglais) de notre podcast Brave New Work.
Auteur: Jurriaan Kamer
Article original en anglais “Create an empowered organization using participatory governance” (10.05.2021)