Chercher la sincérité, un vœu pour 2020

Nicolas Vanbremeersch
The Spin Notes
Published in
7 min readJan 16, 2020

Quel étrange début d’année ! Que peut-on se souhaiter d’un démarrage aussi étonnant ? Et si, en creux, dans ce début d’année tourmenté, nourri de fake et de dialogues impossibles, se dessinait une solution ?

La politique en carton-pâte.

Les vœux. L’exercice est imposé, rituel, formel, rarement sincère. On le respecte pourtant, jusqu’à l’absurde dans les institutions françaises, où le mois de janvier pousse à tous les moments les plus solennels et engoncés. L’exercice est impossible, un peu vain. Pourtant, il continue, et emprunte les chemins de la modernité, sans rarement se renouveler.

Les vœux des politiques nous ont souvent donné l’occasion de rire. Le moment, quand il sort de l’exercice solennel ou institutionnel, réclame de l’authenticité. Comment la produire quand l’exercice est fabriqué ? On reverra avec joie, par exemple, ces mémorables vœux 2011 d’Hervé Morin, depuis sa cuisine, prise sur le vif, sans trop de rangement (ou un savant désordre ?), en multicam quand même, et avec un jeu d’acteur subtil (le rôti sorti du réfrigérateur comme résolution de la tension narrative d’un moment riche de communication politique).

Cette année nous a apporté deux nouveautés sur le front des vœux, symptomatiques et, de fait, inquiétantes.

La première, ce sont ces vœux du dirigeant du parti majoritaire, Stanislas Guerini. Je vous laisse les regarder.

La qualité unique de cette vidéo est l’extrême cohérence de la forme et du fond. Tout semble avoir été produit par une machine pour produire quelque chose de faux. Décor homestagé rapidement, fausse briquettes, fausses plantes vertes, faux cadres portant de fausses affiches, où l’on n’essaie même pas de s’embarrasser de réussir à créer du vrai. On est dans le fake, ou, comme aurait pu le dire Jean-Laurent Cassely, dans une brooklynisation tardive et ratée, où l’on ne s’embarrasse même plus de chercher à être cohérent dans la fabrique d’authenticité. Cela tombe bien : le discours a été écrit tellement vite et mal qu’il semble, profondément, ne vraiment pas venir du cœur et des convictions de celui qui récite le texte.

C’est attristant, car on sent qu’aucun effort n’est fait. Et, de fait, cela émeut. Si les précédents voeux de Stanislas Guerini avaient été visionnés moins d’un millier de fois, ce sont plus de 80.000 personnes qui ont vu cette fabrication, réagissant avec force au mépris que transmet la langue de bois et le décor de carton qui est proposé. Le fake irrite, énerve, quand il ne cache plus qu’il ne cherche même pas à jouer le jeu. L’élite nous dit qu’elle démissionne de sa relation avec nous.

Vœux asymétriques et perturbés

En face, plus sérieuse et notable, ce sont d’autres cérémonies de voeux et discours publics, qui se sont transformées, par viralité, en de nouvelles manifestations. Cela a commencé par Nicole Belloubet, présentant la réforme du tribunal judiciaire, face à des avocats déposant en masse leur toge devant la garde des Sceaux. La continuité, toute raide et officielle, du discours de la ministre, devant le geste inédit, a créé un émoi. A cet émoi a suscité une réplication : pas un jour ne passe depuis sans qu’une cérémonie de vœux ne se déroule avec dépôt au pieds de l’institution des instruments d’exercice de fonctionnaires ou professions en protestation. La viralité est là.

Si ce geste circule aussi vite, c’est qu’il parle, qu’il raconte une histoire perçue comme juste par celui qui va le reproduire, et le retransmettre. Ce qu’il dit est simple : un peuple qui vient montrer un abandon, dans un expression manifestement sincère de désarroi. En face, l’institution, engoncée dans son protocole, dans son déroulé, lui oppose la plupart du temps l’inexorable déroulé du discours officiel, sans aucune prise en compte de son contexte. La caméra est tenue par le peuple, désormais, et la mise en scène qu’il propose dans ces événements est lapidaire, génialement virale : un pouvoir et des institutions incapables de nouer un dialogue avec une colère ou un désarroi qui s’exprime. Sincérité du geste, contre surdité du pouvoir.

Appel au réel

Ce que ces séquences nous rappellent, et la voie qu’elles nous montrent, c’est une résonance étrange avec le thème de la vérité, qui a beaucoup (trop ?) occupé nos discussions ces dernières années. Tout dans ces événements a des problèmes de fabrication, d’authenticité, de rapport au réel ou à une forme de vérité.

On a, oui, trop parlé de fake news, depuis quelques années. Ces moments, qui se déroulent sur une grosse semaine, piochés au gré de l’actualité, montrent qu’il faut sans doute reposer le problème, et chercher d’autres solutions pour le dépasser. Le problème n’est pas tant dans la vérité produite par des professionnels, ou le mensonge, mais dans un décalage relationnel.

Le problème, c’est de refaire lien. Il y a toujours une distance entre le réel et le récit, entre ce qu’on dit dans des voeux, un discours, une histoire, et le réel. Cela est même nécessaire : nous avons tous besoin d’imaginaires, pour nous projeter, rêver, construire nos convictions et guider notre action. Une institution doit le faire vivre, un dirigeant doit le porter.

Reconstruire une relation

Le problème se niche dans la relation, à deux niveaux, qu’il faut recréer.

La relation entre les dirigeants, les institutions, les entreprises et leurs publics, d’abord. Quand Stanislas Guerini fabrique quelque chose d’aussi faux, le message qu’il induit est qu’il ne veut pas entrer dans une relation vraie et sincère avec nous. Ce n’est évidemment pas son monopole : le présupposé de beaucoup — trop — de la communication institutionnelle est de chercher à ne pas fabriquer de lien sensible, tangible, réel, à ne pas engager. Elle met à distance, elle verticalise, elle descend des messages. C’est mortifère, surtout dans un monde où “l’audience” est désormais active, media, et son engagement déterminant. Autoriser et chercher la relation, c’est faire preuve d’un peu de vérité dans le lien qu’on propose, entre soi et celui qui vous regarde ou à qui l’on s’adresse. Ce lien est tellement rompu qu’on s’y est habitué. Pour autant, de multiples figures, de dirigeants, de politiques, d’institutions, parviennent à recréer cette vérité de l’échange.

L’autre relation à reconstruire, c’est celle du discours et des actes, ou, pour élargir, des récits que l’on développe, et des réalités concrètes qu’ils engagent. La distance entre les discours politique et les actes est connue, problématisée depuis longtemps (ah, les promesses). Il est néanmoins un mouvement nouveau, dans l’entreprise, qui cherche cette relation neuve, juste, tangible, entre ce que sont les projets des entreprises, et leur réalité. C’est évidemment la prise au sérieux de la RSE, et du mouvement vers une meilleure accountability, qui ne s’arrête pas à la production d’états, et qui sait se connecter à la communication, pour produire un discours franc et direct, sincère, entre l’objectif, les efforts menés, et la réalité d’un changement qui n’est jamais facile.

Le changement, ici, est autant à mener dans les récits que dans les preuves. Il ne s’agit plus de promettre un rêve écologique ou social quand on se transforme peu, mais bien d’essayer de faire progresser ensemble un discours plus connecté aux réel, qui est fait de progrès, lents, complexes, de l’entreprise. Chercher à démontrer comment on essaie de progresser, de faire mieux, permet d’instaurer une relation plus juste avec ceux qui essaient de vous écouter.

Vers la sincérité

C’est en somme dans cet alignement qu’on peut chercher une voie de renouvellement de la communication : refaire relation avec ses publics, de manière vraie, et refaire relation entre les récits, les imaginaires qu’on développe, et la réalité en transformation de l’organisation, de l’entreprise, du projet.

Cet alignement, de justesse de la relation et de vérité du récit, ensemble, c’est ce que nous appelons la sincérité.

La sincérité est mise à l’épreuve. Elle se teste, se mesure ; elle est la condition d’une relation durable et engagée avec ceux dont on espère qu’ils vous écoutent, voire qu’ils vous soutiennent. La mise à l’épreuve, par des publics actifs, qui sont devenus des media, est le régime désormais normal de la communication. Il n’est pas confortable, il demande un sursaut. Ce sursaut, seul une attitude durablement sincère peut le fournir.

La sincérité n’empêche pas d’émerger, de se faire connaitre, d’engager vers des futurs, bien au contraire. L’alignement entre un projet, un engagement d’avenir, et les éléments de posture, d’actes, de relation que l’on produit chaque jour dans ses communications est la nouvelle manière de construire l’engagement dont la communication a besoin. Plus que de “ne pas mentir”, il s’agit de chercher cet alignement, de montrer avec justesse qu’il est difficile, de savoir se corriger, s’améliorer au contact, d’admettre qu’on ne progresse, dans un monde ouvert et connecté, qu’en échange avec autrui.

Les figures qui ont émergé en 2019 ont été des modèles de sincérité : songeons à Greta Thunberg, qui en est bien un exemple pur. Songeons à l’explosion dans la primaire américain d’Elisabeth Warren, qui a fait d’une relation vraie à ses soutiens sa marque de fabrique. Songeons au discours vrai de la MAIF, et de son dirigeant Pascal Demurger, qui cherche à aligner sa mutuelle autour d’un projet. Pensons à l’effort mené chez Danone pour aligner une entreprise derrière un projet sincère (donc difficile) de transformation. Voilà quelques exemples, pris dans des zones visibles de tous. Songeons, dans un autre registre, à la sincérité du projet de Veja, qui emmène dans un imaginaire très fort, tout en ne mentant pas sur le chemin difficile qu’est celui de fabriquer un sneaker responsable.

Les inspirations positives sont partout autour de nous. Beaucoup veulent appeler notre ère celle du fake, comme pour s’y résigner. Nous voulons contribuer à ce qu’elle devienne plutôt celle de la sincérité radicale.

Cette année 2020, nous allons donc beaucoup vous parler de sincérité, chez Spintank. Nous commençons ce soir en lançant le premier numéro de SPIN-OFF, notre revue, dont le premier numéro est dédié à cette thématique. On y trouve des interviews, inspirations, réflexions, cas, échanges, avec des esprits aptes à le cadrer, et des professionnels qui s’y confrontent.

N’hésitez pas à nous contacter (hello@spintank.fr) si vous souhaitez en recevoir un exemplaire, et continuer à discuter de pourquoi et comment on peut faire vivre la sincérité dans nos communications.

A bientôt.

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Nicolas Vanbremeersch
The Spin Notes

CEO, @Spintank. Godfather, @letankparis and @letankmedia. Admirer, maker, thinker, mover, winelover, entrepreneur, whatever.