Farewell, Zygmunt

Zygmunt Bauman est décédé hier. Il était une pierre angulaire de notre projet au Tank et chez Spintank. L’occasion de vous expliquer pourquoi, et de lui rendre hommage.

Nicolas Vanbremeersch
The Spin Notes
4 min readJan 10, 2017

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J’ai découvert l’œuvre de Zygmunt Bauman par hasard, dans une librairie, il y a quelques années. On est en France, et ce sociologue polonais de rayonnement anglais n’a pas eu ici l’impact et l’éclat qu’il a eu ailleurs dans le monde. La sociologie française ne lui a pas fait un accueil fantastique, sans doute très guidée par ses tabous et ses totems propres (mais ce serait un autre débat).

Son oeuvre, que je suis loin d’avoir lue entièrement, est touffue et complexe. Il est surtout connu pour son concept de modernité liquide. C’est évidemment ce qui m’a touché, comme une forme de révélation, à la lecture de la vie liquide, il y a sept ou huit ans. Mais c’est aussi un critique de la modernité, des désarrois de la modernité européenne, et un homme dont le parcours est emblématique de l’Europe du vingtième siècle et de ce qu’elle a pu produire de beau dans le monde des idées.

Je ne l’ai jamais rencontré, et ça restera un regret. J’ai failli, en 2015, faire le saut au dernier moment à Berlin pour l’entendre à Re:Publica, mais las, j’avais la restitution importante ce même jour d’une mission pour un client que je n’ai pu décaler. Je garderai ce regret.

les “infos” sont avant tout une machine à oublier, une façon de chasser les titres de la veille de l’esprit du public. Le résultat est un récit qui ressemble à une partition de Stockhausen : une chaîne d’éléments qui ne sont soumis à aucun ordre syntagmatique — Bauman in Les riches font-ils le bonheur de tous ?

Bauman est d’abord un critique de la modernité, un sociologue qui décrit, analyse et porte son regard sur l’essentiel. Après avoir lu son court ouvrage La vie Liquide (récemment réédité chez pluriel), que Spintank a offert à ses clients (avec Amusing ourselves to death, de Neil Postman) pour ses dix ans, il faut lire la modernité liquide, son ouvrage de synthèse et de tournant, très accessible, publié en 2000, alors qu’il avait 75 ans. Ce n’est malheureusement même pas traduit en français !

Modernité solide

Ce que j’aime chez Bauman est qu’il est un lucide non réactionnaire, critique puissant de la modernité, sachant trouver un langage pour caractériser le monde dans lequel nous vivons. Son image de la modernité “solide”, qui vient apporter des formes de sécurité, par ses institutions, ses normes, sa science, son contrôle de la nature, sa bureaucratie hiérarchique comme autant de moyens de réduire l’aléa, l’incertitude et l’insécurité individuelle est d’une justesse rare. Il en est critique, et il analyse clairement à quel point la modernité n’a pas laissé la liberté opérer dans ce monde. Dans la lignée de Hannah Arendt, il a caractérisé l’holocauste comme un outil logique de la modernité solide, procédurale, systématique, détachée du vivant. Il a aussi beaucoup écrit sur l’obsession sécuritaire en des termes qui changent du brouhaha habituel. Son image, par la suite, de liquéfaction de ces institutions, dans la nouvelle ère de la modernité qui est venue balayer par son mouvement, son rapport au temps, à l’absence de statut, à la critique de la science, ces mêmes institutions et repères qui nous apportaient ce semblant de sécurité, ce confort, est tout aussi révélatrice du monde qui s’est ouvert à la fin du vingtième siècle.

Liquéfaction

C’est cette métaphore du liquide qui vient emporter les structures, comme un vague menaçante, mais aussi libératoire de leur contrôle souvent plein de faux semblants que nous avons choisie comme emblème, au Tank. Dans ce lieu, nous filons la métaphore de ces flux du numérique et de la modernité qui s’invente aujourd’hui. Vous y verrez beaucoup de références au liquide (et on y boit du bon vin). La modernité liquide, dont le numérique est l’instrument clé, emporte avec elle la foi dans la science, la vérité, les institutions et les organisations bureaucratiques. Bauman y voyait une nouvelle étape, vis-à-vis de laquelle il était volontiers pessimiste : du solide resterait la surveillance, le contrôle, par les institutions, tandis que le risque du flux, de l’oubli, de la perte deviennent majeurs.

Evidemment, tout cela mérite lectures, écoutes, approfondissement. Ses livres ne sont pas simples, et peuvent désorienter. Mais on y trouve de grands moments de lucidité. Je ne peux que vous inviter à le lire.

Zygmunt Bauman est mort le 9 janvier 2017, tandis que s’ouvre une nouvelle année où l’on sent bien que la folie liquide qu’il caractérisait si bien, comme invention potentielle d’une nouvelle modernité est à l’oeuvre. Bauman ne s’adresse pas aux intellectuels : c’est aux acteurs qu’il parlait, beaucoup, dans ses dernières années.

A nous, qui agissons au coeur de ce monde liquide qui s’invente, de nous souvenir de Bauman, de conserver sa lucidité. Et savoir agir en conséquence. C’est ce que nous essaierons de partager avec vous, dans The Spin Notes, le blog que nous tiendrons désormais chez Spintank depuis le front de cette modernité.

A bientôt.

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Nicolas Vanbremeersch
The Spin Notes

CEO, @Spintank. Godfather, @letankparis and @letankmedia. Admirer, maker, thinker, mover, winelover, entrepreneur, whatever.