Le SEO peut-il devenir une sous-discipline de l’UX ?

Le temps des gourous SEO — seuls détenteurs de la magie noire des algorithmes imposant terreur et respect à leurs clients, est-il en train de prendre fin ? Dans un contexte de recomposition des métiers et d’évolution des moteurs de recherche, de nombreux signaux tendent aujourd’hui à normaliser le SEO sous l’égide de l’étude utilisateur. On vous dit pourquoi c’est possible.

Pascal Debomy
The Spin Notes
9 min readJun 28, 2019

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I. Le SXO, buzzword ou tentative d’OPA de l’UX sur le SEO ?

Si vous vous êtes déjà intéressé.e.s au nombre colossal de billets Medium parlant d’UX, vous l’aurez probablement constaté par vous-même : remixer l’UX à toutes les sauces est presque devenu un exercice de style à part entière. On invente le SCRUX quand il s’agit de réfléchir à l’implémentation d’une méthodologie UX à la méthode SCRUM. On invente le Lean UX quand il s’agit d’hybrider avec des boîtes à outils de création de startup. (Et quand on en a marre, il arrive même qu’on le tue). Et si vous avez bien investigué, vous aurez probablement constaté qu’on a récemment inventé le SXO pour faire le pont avec le SEO. Bien sûr, le “SXO” est un buzzword traduisant comme les autres néologismes l’inhérente confusion à définir précisément l’UX. Néanmoins, ce dernier interpelle car certains signaux accréditent ce rapprochement.

1. Le SEO s’est “racheté une conduite” et se rapproche de l’utilisateur

Fut un temps pas si lointain, le SEO pâtissait encore de l’image négative d’une pratique non-éthique du web. Comme né des entrailles d’un proto-web moins normé, moins formaté, moins scrupuleux. Dans une certaine mesure, le SEO faisait figure de chasse gardée des adeptes du Black Hat. Un Far West sans foi ni loi dans la quête de la première place. Aujourd’hui, la fin de l’approche keyword-centric, la prime à la qualité sur la quantité et le changement progressif des algorithmes ont rebattu les cartes et largement contribué à reformater cette image. Suivant le mouvement de l’UX et des sociétés pour un numérique plus éthique et respectueux des utilisateurs, le SEO reparticipe à faire des sites pour des humains et non pour des robots.

2. En fait, l’étude des requêtes et des souhaits des internautes, c’est déjà de l’étude utilisateurs

Aucun UX Designer ne vous dira jamais le contraire : si vous ne faites pas d’Étude Utilisateurs, vous ne faites pas vraiment de l’UX. Qu’elle soit quantitative ou qualitative, une bonne étude utilisateurs analyse et systématise les usages, elle recherche et précise les besoins dans le but d’émettre des hypothèses, les tester, les infirmer, les valider. Or qu’est-ce que la recherche sémantique du SEO sinon une discipline consacrée à la réalisation du besoin des utilisateurs ?

Inversement, si un UX ne prend pas en considération la façon dont un utilisateur peut formuler un besoin sur un moteur de recherche pour se rendre sur un site, alors il rate en grande partie son objet.

Certes, une étude utilisateurs ne se limite pas à une simple étude de requêtes. Mais, sur ce plan, les deux métiers se rejoignent assez clairement. D’autant que les nouvelles interfaces (vocales notamment) tendent chaque jour à gommer un peu plus les frontières au profit d’une expérience plus englobante et transparente entre recherche et navigation.

3. Le SEO glisse naturellement et de plus en plus vers l’UX

« Google cherche à comprendre, de mieux en mieux, le souhait réel de l’internaute. Deux changements majeurs sont à noter : la prise en compte de plus en plus forte du contexte de la recherche et l’analyse du comportement de l’internaute, a posteriori. »

Ok, vous pourrez toujours arguer que Google ≠ SEO. Néanmoins, en annonçant que Rankbrain (l’algorithme de Google) intègre des critères d’engagement comme le taux de clic organique, le nombre de pages par session, le temps moyen passé et le taux de rebond, Google amorce bel et bien un glissement du métier, en accentuant la prise en compte de l’expérience in-site sur le ranking d’un site. Bien que relativisés par un certain nombre d’experts SEO, tous ces indicateurs intéressent aussi bien l’UX que le SEO.

4. Tout un pan du SEO s’est sédimenté en best practices. Et quand une discipline se sédimente, elle se fait absorber

On est d’accord : tout un champ du SEO consiste à ce que votre site soit correctement lu par les robots et indexé comme il se doit. Jadis un exercice sibyllin nécessitant une certaine maîtrise technique du web, cet art du “Bien crawlé, bien indexé” se voit désormais largement documenté, compilé et intégré comme pré-requis de base à tout design et tout pilotage de site. On parle alors de guidelines SEO. Éviter les sliders. Ne pas utiliser d’expands. Éviter autant que faire se peut que le contenu soit masqué. Mettre des balises alt. Respecter une bonne nomenclature de titres. Faire en sorte que le maillage interne soit efficient… C’est ce que les nouveaux experts appellent le SXO. Mais à partir du moment où tout le monde le sait, il n’est pas nécessaire d’en faire une nouvelle discipline. S’assurer qu’un site soit “SEO-Friendly”, c’est juste une checklist à destination des concepteurs de sites, chefs de projets, et autres rédacteurs de contenus. Ni plus, ni moins.

5. L’UX s’imprègne de plus en plus de la culture de la performance

Jadis, tout se déroulait comme si les ergonomes proposaient des interfaces et les webmarketers mesuraient l’audience. Chacun son pré carré, chacun sa mission. Or, l’émergence du métier d’UX a changé la donne et son rôle tend à s’élargir de plus en plus. Plus personne n’attend aujourd’hui d’un UX qu’il soit juste la gentille personne à lunettes qui colle des post it en atelier et propose des zonings de manière inconséquente. Soumis à KPIs et retours sur investissements, on lui demande désormais de prouver, de monitorer, de mesurer et de penser à la suite. Sur le web plus qu’ailleurs, ce qui ne se mesure pas n’a aucune valeur. Alors, il amasse les données, les feedbacks, propose la meilleure solution pour répondre aux besoins et sans cesse l’améliorer. De fait, les heuristiques et les outils ont proliféré pour “mesurer l’UX”, si bien qu’il n’est plus aujourd’hui un seul UX qui n’utilise des outils auparavant réservés aux seuls SEO et autres Audience Managers.

II. Quelques conseils pour vos projets

Que vous soyez ou non convaincu.e par ces signaux, une chose apparaît néanmoins certaine : aujourd’hui, il n’est plus un projet qui puissent se passer de SEO et d’UX ; et cette collaboration tend naturellement à se renforcer. Donc, à défaut / ou en attendant l’émergence de moutons à cinq pattes aussi doué en UX qu’en SEO, voici quelques conseils :

1. Engagez la collaboration en démarrant votre projet par une vraie phase de recherche utilisateurs qui mêle UX et SEO

Constats :

  • Le SEO est très souvent inclus tardivement (voire pas du tout) dans les projets, avec des enveloppes budgétaires réduites.
  • Tout s‘articule encore trop souvent comme si le SEO s’occupait de ce qu’il y avait « avant » le design et « après » la mise en production ; et l’UX d’à peu près ce qu’il reste « entre les deux ».
  • L’UX vendu sur les projets est souvent galvaudée voire n’est tout simplement pas de l’UX et se résume à une surcouche de conception « en mode collaboratif orienté utilisateurs », avec peu d’étude utilisateurs, voire pire, pas de tests.

Conseil : Orchestrez un vrai dialogue entre l’UX et le SEO. Laissez le SEO vous accompagner sur vos mots-clés stratégiques. Laissez-le dénicher les usages et les tendances et fusionnez ça dans une étude utilisateurs piloté par un UX. C’est au croisement de vos objectifs et des besoins utilisateurs que vous devriez trouver la lumière. Et si vous trouvez cette phase trop chère et trop longue, dites-vous que vous en verrez nécessairement les bénéfices plus tard.

2. Pilotez le SEO et l’UX ensemble dans une stratégie globale et long-termiste

Constats :

  • Dans l’impérieuse nécessité de lancer un projet le plus rapidement possible, il arrive très souvent que les équipes se focalisent exclusivement sur les process de production et la rédaction des contenus.
  • En début de projet, l’UX et le SEO disposent rarement de KPIs fiables sur lesquels s’appuyer.

Conseil : Ok, vous faites un site. C’est bien. Mais posez-vous les bonnes questions. Un site n’est pas qu’un outil, il est souvent le premier ou le seul point de contact avec vos publics, il doit être au service de votre marque, la valoriser, ouvrir une relation. Pour qui le fait-on et pour répondre à quels besoins ? Qu’est-ce que vous souhaitez mesurer ? Sur quels critères allez-vous objectiver l’évolution de votre audience ? Avec quels outils ? Quelle expérience souhaitez-vous faire vivre à vos utilisateurs et comment s’assurer que ce que vous avez fait réponde bien à vos attentes ? Un site se monitore en permanence, en performance et en mesure de satisfaction et de qualité de la consommation des contenus. Ne l’oubliez jamais.

4. Faites en sorte que les best practices et livrables SEO soient parfaitement intégrés et compris de vos designers

Ce dernier point contredit quelque peu l’un des signaux susmentionnés mais il est vrai que dans l’esprit de beaucoup de designers, le SEO reste parfois vu comme une contrainte marketing. Globalement, un designer un peu retors le passera sous le tapis parce que “ça fait chier tout le monde et bride la créativité” (un peu comme l’accessibilité). Pourquoi s’astreindre à des guidelines d’éléments SEO-friendly quand on peut se faire plaisir et envoyer un design qui envoie-du-feu-de-Dieu pour décrocher un Awwwwards ? C’est un peu sévère, oui. Mais posez-vous cette question :

Combien de designers savent réellement ce qu’est un corpus sémantique ou une arborescence SEO ? Ne pariez pas un membre là-dessus, vous risqueriez de finir en homme-ou-femme-tronc.

Conseil : Documentez votre projet. Toujours. En permanence. Et dès le début de la phase de production, faites en sorte que tous vos designers aient parfaitement lu et intégré tous vos éléments de conclusions d’études utilisateurs, et tous les pré-requis SEO.

III. Vers un supercontinent de l’UX ?

Si vous êtes arrivé.e jusqu’ici, vous escomptez sûrement une réponse claire et limpide : le SEO va-t-il se faire absorber par l’UX ? La question n’est pas simple. Dans une certaine mesure, à partir du principe où un projet est destiné à être utile et répondre à des besoins utilisateurs, l’UX est à la fois difficile à définir et absolu. La stratégie que vous adoptez, les messages que vous rédigez, le concept que vous faites émerger, l’expérience que vous proposez, le lien avec l’utilisateur que vous tissez, l’interface que vous designez, la façon dont vous menez et améliorez un projet, d‘une certaine manière, tout a un impact sur l’utilisateur et donc tout est UX. L’UX, c’est un peu le trou noir des métiers du web. Prenez le métier de concepteur-rédacteur par exemple : aujourd’hui, on parle assez volontiers d’UX Writer. Donc, il ne serait pas étonnant que tout ou partie du SEO se fasse, lui aussi, avaler par l’UX. Alors, si on devait se risquer à quelques prédictions, voici ce que ça pourrait donner à plus ou moins court terme :

1. Le SEO ne deviendra pas “moins important”, c’est juste que la discipline finira par se fragmenter et se diluer dans les multiples composantes du métier d’UX,

2. L’analyse et la recherche sémantique du SEO finiront logiquement par entrer dans le champ de l’User Research. Il est d’ailleurs probable qu’à court ou moyen, on parle de « Data UX Researcher » focalisé l’étude des requêtes et du territoire sémantique, croisant besoins utilisateurs et objectifs de marque,

3. Toute la partie optimisation de sites pour le crawl entrera dans le champ de la conception d’interface et du développement,

4. La stratégie d’autorité et de netlinking deviendra une compétence marketing d’un product/project manager.

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