« Vous pouvez me faire une vidéo à la Brut ? »

Cette phrase, vous l’avez à coup sûr entendue, car, vous aussi, vous n’avez pas pu échapper à la tendance du moment en matière de contenu social. Mais derrière le phénomène et son apparente facilité, deux risques : perdre en originalité, ou sous-estimer les savoir-faire millimétrés qu’exige chaque production.

Guillaume Bernard
The Spin Notes

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Alors : faut-il s’y mettre, et comment ? Retrouvez ici l’essentiel de ce qui a été dit lors de notre rencontre-petit-déjeuner du 18 octobre 2017.

Brut, la snapchatisation du monde !

Aux sources d’inspiration de Brut, la TV esprit Canal, les pure players comme NowThis mais aussi la campagne d’Anne Hidalgo par H5

Brut, média tout neuf — il a été lancé en novembre 2016 –, est lui-même inspiré d’une nouvelle génération de médias pure player et 100% vidéo venant principalement des Etats-Unis, notamment NowThis, PlayGround et AJ+, tous vieux d’à peine 2 ans. Tous ces médias ont en commun un langage — de la vidéo courte et surtitrée — et des canaux de diffusion : principalement Facebook, et Twitter.

Comment expliquer cette émergence soudaine ? Deux facteurs sont à l’œuvre : d’abord l’irruption de la vidéo sur Facebook — choix stratégique poussé par les algorithmes qui gèrent les flux en surpondérant l’image animée. Ensuite (oui, c’est lié) l’usage du smartphone devenu le premier média/canal pour consulter et produire du contenu. C’est d’ailleurs Snapchat qui a initié ce format de vidéo + texte.

Un nouveau langage émerge

Ces médias représentent un moment de cristallisation dans le dialogue continu (voire le rapport de force) entre les utilisateurs et les grandes plateformes et tentent de résoudre une double équation : comment émerger dans des flux saturés et s’adapter à la consultation sur smartphone. Le résultat ? Un nouveau langage, hyper interruptif, court, saccadé, qui fait sien la nouvelle contrainte : les internautes, de plus en plus présents sur les plateformes, cherchent également à être informés de plus en plus vite.

Cela étant, malgré des chiffres d’audience spectaculaires — Now This a plus de 2 millions de fans, et des vidéos vues parfois 10 ou 20 millions de fois –, ces nouveaux pure players dédiés à l’actualité en vidéo restent marginaux par rapport au phénomène d’ensemble de la vidéo sur Facebook ou YouTube où des clips, des chaînes, parfois UGC collectent des centaines de millions de vues. Reste que Brut et consorts, ayant codifié ce nouveau langage, peuvent désormais être une source d’inspiration pour les marques ou les institutions, bien contentes de s’appuyer sur ce code désormais partagé.

Brut comment ça marche ?

A l’origine de Brut, on retrouve Renaud le Van Kim, producteur de télévision issu de Canal + et à qui l’on doit notamment le Grand journal et le Petit journal. Ce nouveau média est donc au croisement de deux mondes, le numérique post-Snapchat bien sûr, mais aussi la télévision. Il est librement inspiré de NowThis, mais aussi de la campagne print d’Anne Hidalgo créée par H5 pour l’élection municipale de 2014.

Une longue préparation

Avant le lancement de Brut, plusieurs mois de préparation et de tests de formats éditoriaux, graphiques ont été nécessaires avant de fixer ces éléments graphiques « simples » que tout le monde reconnaît désormais.

Ce langage répond à deux objectifs : créer une connivence avec l’expression des réseaux sociaux, comme les flèches faites à la main qu’on retrouve sur Instagram, les gifs ou les mèmes intégrés. Et la prise en compte de contraintes de lisibilité : par exemple le choix du jaune ou du vert, deux couleurs qui se distinguent du blanc tout en restant faciles à lire, ou les calques colorés sur les photos qui impriment le style tout en donnant plus de place au texte.

Une logique de newsroom

Côté sujets, Brut fonctionne comme tout média dans une logique de newsroom. Tous les matins, une conférence de rédaction permet de décortiquer l’actualité et choisir les sujets des vidéos du jour. Des documentalistes experts se concentrent sur la recherche de sources images pointues (toutes les images sont achetées à l’INA ou à l’AFP par exemple), et les journalistes produisent un texte court qui va à l’essentiel, et se tient dans un déroulé d’1 minute 3O autant que possible. Chaque vidéo nécessite un travail important, jusqu’à réunir 4 à 6 personnes en une journée — et elle doit être produite vite pour sortir avant ou en même temps que les autres médias qui vont proposer leur regard sur la même actu.

Le choix des sujets n’est jamais anodin : Brut s’adresse à un public très intéressé par la politique, et profite donc d’un niveau de « contexte » élevé qui permet de ne pas traiter l’actu dans une logique d’exhaustivité, mais plutôt de complément, de rebond, en laissant les internautes aller s’informer plus précisément ailleurs s’ils le souhaitent.

Un traitement qui crée une forme de rendez-vous

L’objectif de Brut est d’imprimer, via un angle particulier, une marque et un traitement qui créent une attente, une forme de rendez-vous. Il veut nourrir une logique d’adhésion et de partage, qui dépend bien sûr du « time to market », le bon moment pour publier pour ne pas rater la séquence — il y a des horaires de publications qui tiennent compte des moments de présence sur les réseaux sociaux, la pause déjeuner par exemple.

Enfin la dimension live portée par Rémy Buisine avec un style très personnel vient en complément de cette logique de flux où le live est pensé comme un format.

Alors comment on fait ?

Quand on est une marque, on doit se poser la même question qu’un média, c’est-à-dire : comment toucher au mieux une communauté et designer de l’engagement ? Et avec son style à soi, encore. Voici notre petite check list, nourrie de notre expérience sur le terrain :

1/ Se réapproprier les codes graphiques du genre

Captain obvious, nous direz-vous ? Effectivement, mais les formats carrés, compréhensibles sans le son, surtitrés, ne sont pas qu’une affaire de style mais permettent une bonne insertion dans le flux des smartphones. Ils gagnent à être respectés et combinés avec les éléments identitaires des marques, dans une exigence de justesse. Imiter platement Brut ne va pas mener loin, et sera immédiatement repéré et décrié ; il faut qu’on puisse retrouver la marque derrière le contenu, son style, sa façon de parler.

2/ Bien se préparer pour être réactif

On l’a vu, pour que des vidéos trouvent leur public en ligne, il est primordial de publier au bon moment. Cela nécessite de se préparer en amont, afin de réduire au maximum les hésitations quand il s’agit de passer à la production. Il faut donc définir les cibles (qui ne sont pas forcément, exactement, les cibles de la marque), penser les messages à l’avance et imaginer les possibilités de rebond, disposer d’une charte graphique posée (titres, cartouches, polices, inserts, traitement des images…) et préparer des circuits de validation raccourcis pour pouvoir publier sans trop s’éloigner de l’agenda d’actualité.

3/ Choisir un sujet qui se partage

Qu’est-ce que je veux dire en tant que marque, mais aussi et surtout : « est-ce que ça va intéresser quelqu’un ? » — en repartant de vos messages et de vos obsessions (ce qui vous travaille, ce qui se joue dans votre vision de marque…). L’enjeu est de sortir des sujets « internes » pour gagner une logique de partage, pour pouvoir intéresser plutôt que de faire une transcription vidéo d’un communiqué de presse qui n’a pas de fonction d’engagement.

4/ Ecrire court

Ce qui veut dire se limiter à une idée par vidéo, vraiment, et accepter de jouer l’ellipse, de renoncer à tout dire dans un seul format, mais d’en faire plutôt une invitation à cliquer plus loin ou à attendre le prochain rendez-vous. Vouloir tout dire, c’est risquer le désengagement parce que le script devient trop compliqué ou trop long, voire la confusion et in fine le risque que personne ne retienne rien !

5/ Investir dans les images

Qu’on privilégie le stock, les reportages ou le motion design, la qualité finale de la vidéo en dépend… vous vous en doutez. Cela a une conséquence directe sur le budget de production qu’il convient d’anticiper. Quand c’est cheap, ça se voit. Sad !

6/ Sponsoriser pour émerger

Dans une économie de réseau, où les fans sont de moins en moins exposés aux flux des pages qu’ils suivent, la sponsorisation des contenus est essentielle — elle permet de toucher les bonnes personnes grâce aux réglages fins des régies sociales, et de fabriquer les premiers succès (likes ou partages) qui vont soutenir la diffusion organique. En parallèle, il faut bien entendu garder un œil sur les commentaires, autant d’amorces de conversations à prolonger.

Et en vidéo alors ??

Des vidéos de marques inspirées par les formats à la Brut

GE Reports, le Wired / NowThis corporate !

GE Reports, le média de marque de GE, est volontairement pensé dès l’origine comme un pur site média, inspiré évidemment de Wired et touchant la même cible de geeks et de passionnés (pensés comme relais vers les « vraies cibles » de GE comme les actionnaires). GE Reports a récemment développé ses contenus vidéo à la manière de NowThis. On notera la grande qualité des images, issues de reportages internes soignés, et le choix de sujets qui pourraient être traités par des médias d’actualité et pas juste poussés en interne. Comme le dit son rédacteur en chef, la seule question c’est : Is it newsworthy?

CH2ange, l’avènement de l’hydrogène

CH2ange, une initiative d’Air Liquide pour promouvoir la solution hydrogène comme énergie auprès des cibles geeks ou concernées par la transition énergétique, et animée par Spintank, nous permet d’illustrer ici l’importance de rebondir sur le flux, avec une vidéo publiée deux jours après l’essai nucléaire nord-coréen d’une bombe H (qui n’est donc pas à l’hydrogène mais au deuterium…), en s’appuyant largement sur des codes graphiques et stylistiques posés à l’avance et travaillés dans la durée jusqu’à ce qu’ils soient justes et bien appropriés.

Et au-delà ?

Au-delà du risque de saturation des publics (et des évolutions des algorithmes des plateformes), la vidéo est un excellent levier pour entrer en relation en interpellant ou en provoquant une réaction. En revanche, ce format n’est pas forcément le meilleur pour traiter un sujet complexe qui nécessite une analyse plus poussée.

D’ailleurs, le plus important n’est pas le format, mais le résultat attendu : designer un engagement, qui donne de l’énergie, repositionne la marque, la fait entrer dans le flux et le dialogue. Les vidéos social snack ne sont qu’un des aspects de ce système : un très bon générateur de visibilité, un signe adressé à la communauté. Il s’agit donc d’un des formats et d’une des façons de traiter vos sujets pour les mettre en partage.

La réponse se trouve comme d’habitude au croisement des usages et des algorithmes. Dans la capacité des marques à être dans le flux, là où les publics sont en demande d’échange et de surprise, et de structurer le flux pour ne pas s’y noyer dans l’indifférence.

D’autres formats qui marchent…

De nombreux autres formats sont à votre disposition, selon vos objectifs. Pour n’en citer que quelques-uns :

  • Vous voulez informer ? Mettre en valeur un chiffre, une évolution ? Parfois, rien n’est plus efficace qu’une card ou une dataviz…
  • Vous souhaitez développer un propos ? Choisissez un flow chart, ou un bon thread Twitter, comme par exemple @mr_matth sur les plan vélo à Paris
  • Vous avez un événement à partager avec vos publics ? Le live Facebook vous permet de les immerger.

Et après ?

Et comme tout bouge tout le temps sur les réseaux sociaux, voici enfin quelques tendances à observer :

  • Le 360° dans les vidéos : de plus en plus utilisé, même par les médias d’information dans les reportages…-
  • La VR, seule, ou dans le live, avec notamment le nouveau format développé par Facebook-
  • Et demain, quand l’intelligence artificielle s’hybridera encore plus avec les réseaux sociaux, que pourra-t-on faire ?

Bref, surprenez-nous et continuez d’observer la créativité infinie permise par le réseau. And surtout stay true to yourself.

A propos de ce compte rendu

Mercredi 19 octobre nous avons organisé une session d’échange avec nos clients, prospects et amis autour de cette question brûlante. Pour condenser les enseignements, voici notre vidéo à la Brut sur la vidéo à la Brut (mise en abyme OKLM) et ce compte rendu détaillé — du long pour prolonger et questionner les formats snacks, ça ne devrait pas vous surprendre :)

Ce compte rendu est avant tout le fruit d’un travail collectif : merci à Cécile Chalancon, directrice éditoriale (et ancienne de Slate), Marion Dubuc, social media strategist, Sophie Koch, social media designer et ex de Brut -notre experte de terrain ! Camille Boucher, consultante et Nicolas Vanbremeersch, président de l’agence.

Avec ce petit déjeuner Spintank souhaite inaugurer une nouvelle séquence de réflexion et d’échanges autour des questions les plus fréquentes que nos clients nous posent. Une manière de partir de la réalité de nos métiers et de faire le pont avec les enjeux stratégiques forcément liés.

Vous voulez être invité dans le carré VIP lors du prochain petit déjeuner ? Vous avez un sujet (de com) que vous aimeriez voir abordé par nos experts en viennoiserie et stratégie /design / contenus ? Pas de problème : envoyez-nous un mail à notre adresse favorite.

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